Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 27 novembre 2008 à 9h30
Reconnaissance et indemnisation des victimes des essais ou accidents nucléaires — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristiane Taubira, rapporteure de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales :

Monsieur le président, monsieur le ministre de la défense, chers collègues, c'est à l'occasion d'un séjour en Polynésie, début 2005, que j'ai été sensibilisée par l'association « Mururoa et tatou » à la situation des vétérans des essais nucléaires, de leurs veuves, ayants droit et descendants, et à la situation des populations ayant résidé à proximité de sites d'essais nucléaires.

Certains parlementaires sont entrés dans ce combat par d'autres voies, mais nous avons tous appris à apprécier et à respecter le sens de la responsabilité, la rigueur, la maîtrise des données disponibles, la pertinence des demandes, la cohérence des argumentaires, et même la patience des membres de l'association « Mururoa et tatu », de l'AVEN – l'Association des vétérans des essais nucléaires français –, de l'ANVEN – l'Association nationale des vétérans victimes des essais nucléaires –, de l'Association des vétérans d'Algérie et de l'Association française des malades de la thyroïde.

Sur tous ces bancs, nous partageons la certitude de l'importance du sujet, de l'urgence de légiférer, et nous le faisons avec une profonde estime à l'égard du travail collectif engagé depuis plusieurs années par des parlementaires de toutes sensibilités, en accord étroit avec les associations nommées et en partenariat avec quelques-uns des organismes qui leur sont proches, notamment la CRIIRAD – Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité.

Pour saluer cette mobilisation sur plusieurs années et rendre hommage à ce travail collectif, les neuf propositions de loi déposées à l'Assemblée nationale ont été réunies pour faire l'objet d'une discussion commune. Elles sont explicitement signalées dans le rapport, avec mention des références et des premiers signataires. Il en est de même pour les quatre propositions de loi et la demande d'enquête parlementaire déposées au Sénat.

En amont de nos débats au Parlement, plusieurs colloques ont été organisés, dont un à l'Assemblée nationale en janvier 2006, qui a accueilli les membres de la commission d'enquête de l'Assemblée territoriale de Polynésie. Des rencontres ont également eu lieu à Paris et à Papeete. Un comité de soutien, « Vérité et justice », a été mis en place récemment. Une pétition ayant recueilli 12 000 signatures a été déposée le mois dernier à la primature. Des figures éminentes ont prêté leur notoriété, notamment le grand résistant Raymond Aubrac ou Monseigneur Gaillot. Des vétérans ont livré une bataille judiciaire depuis plusieurs années, souvent adossée aux associations, et les cabinets d'avocats qui les accompagnent ont acquis du recul sur la diversité des réponses apportées par les différentes juridictions civiles ou militaires. Mais ces procès sont longs, pénibles et aléatoires, même si, ces dernières années, s'est constituée une jurisprudence qui tend à reconnaître le bien-fondé de ces plaintes et si le ministère de la défense, tout en maintenant le principe d'un examen au cas par cas, ne fait plus systématiquement appel des décisions qui lui sont défavorables.

Le temps presse, parce que des enquêtes et des études ont démontré, dans ces catégories de populations, la prévalence de certains cancers, un taux de morbidité plus élevé que la moyenne et un taux de mortalité supérieur. Sur les 210 essais nucléaires français effectués au Sahara et en Polynésie de février 1960 à janvier 1996, dix-sept essais, dont quatre atmosphériques, ont eu lieu au Sahara, les 193 autres en Polynésie – essais atmosphériques et souterrains –, incluant quinze opérations de sécurité.

Il ne s'agit pas de dresser l'acte d'accusation des essais nucléaires français, nonobstant les témoignages sur les conditions de décontamination et de réhabilitation des sites, témoignages corroborés par des éléments provenant non seulement du ministère de la défense – notamment à propos des tirs sur barge –, de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, du groupe opérationnel des essais nucléaires, mais également d'extraits d'études du délégué à la sûreté nucléaire, de l'INSERM, de l'OMS, de l'AIEA, auxquels on pourrait ajouter les travaux de la CRIIRAD et du CDPRC.

Il s'agit en fait de réaffirmer que le risque zéro n'existe pas, que les citoyens doivent être dûment informés des précautions à prendre avant ou après, et recevoir réparation des préjudices éventuellement subis. Ce n'est donc pas une mise en cause ; c'est une démarche de justice, d'équité, et même de loyauté de l'État à l'égard de citoyens aujourd'hui affectés par les conséquences d'actes publics éminemment stratégiques.

D'autres pays, comme les États-Unis depuis une vingtaine d'années, la Grande-Bretagne, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada, ont reconnu les effets sur la santé et sur l'environnement des essais nucléaires et des décontaminations de centrales. Ils ont créé des fonds d'indemnisation, organisé un suivi médical, parfois publié la liste des personnes affectées aux sites, commandité des études épidémiologiques ou radiobiologiques et intégré les progrès de la médecine nucléaire, en élargissant la liste des pathologies concernées, passée de treize en 1988 à vingt-neuf en 2002.

Cette proposition de loi tend à reconnaître et à indemniser les personnes ayant exercé ou résidé à proximité de sites nucléaires. Y ont été ajoutées, depuis l'accident de Tchernobyl, des dispositions visant les victimes d'accidents nucléaires. Il ne s'agit pas de confondre dans une même analyse le nucléaire militaire et le nucléaire civil, ni même de permettre un raccourci entre l'état de la centrale ukrainienne et l'état du parc nucléaire français, indépendamment des observations et des injonctions de l'Agence de sûreté nucléaire. Mais, du point de vue de la santé publique, il faut considérer que les populations exposées aux essais ou accidents nucléaires, si elles ne bénéficient pas de protection, sont vulnérables et démunies. Et, pour ne pas ignorer le débat que soulève la question des accidents, je demande simplement que, bien que la loi de 1968, deux fois modifiée, réponde bien aux situations en cause, tant du point de vue de la responsabilité de l'exploitant que du point de vue du régime assurantiel qu'elle institue, cela soit précisé et que les décrets d'application soient publiés.

Cette proposition de loi comprend six articles. Le premier établit le principe de présomption de causalité entre les maladies radio-induites et les essais et accidents nucléaires. Autrement dit, il crée les conditions d'un droit à l'indemnisation, sans que la victime ait besoin de fournir la preuve de ce lien : sa présence suffit. Il s'agit, bien entendu, des pathologies inscrites sur la liste qui sera arrêtée par un décret du Conseil d'État.

Les catégories visées sont les personnels civils ou militaires, y compris le personnel du CEA et des entreprises sous-traitantes, ayant exercé au Sahara ou en Polynésie entre 1960 et 1996, les populations ayant résidé aux abords des sites d'essais nucléaires – la législation américaine retient un rayon d'action de 700 kilomètres –, et les personnes qui ont été exposées aux retombées de l'accident de Tchernobyl, soit essentiellement à l'est de la France et en Corse.

L'estimation des effectifs présumés est, bien sûr, difficile, parce qu'il n'existe pas d'étude épidémiologique, que chaque armée gérait ses personnels et qu'il n'y avait pas de centralisation des données. Elle est d'autant plus difficile qu'il y a des contestations sur le suivi médical, y compris sur les relevés dosimétriques. On peut cependant considérer que la prise en compte des personnes qui ont pu se trouver aux abords de sites d'essais et des personnels mobilisés et recrutés pendant ces trente-six années fixe le rayon d'action possible, la cartographie présumée. Il s'agit non pas de toutes les personnes qui ont été présentes, mais de celles – quelques milliers – qui développent, même plusieurs décennies après, des pathologies radio-induites.

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques propose quelques indications chiffrées. En tout état de cause, des injustices ont été commises, par ignorance ou par négligence, et elles doivent être réparées. L'accident de 1986 concernerait essentiellement une population d'enfants de moins de quinze ans et de femmes enceintes de quelques semaines.

L'objet de cette proposition de loi est de mettre en place, par l'article 2, un dispositif de réparation intégrale visant à réparer l'ensemble des préjudices patrimoniaux, c'est-à-dire économiques, et extrapatrimoniaux, c'est-à-dire personnels, à l'aide d'un fonds d'indemnisation créé sur le modèle du Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante – le FIVA – créé en 2001. Pourraient également émarger à ce fonds les ayants droit et les descendants lorsqu'ils sont affectés par les effets transgénérationnels.

Ce fonds d'indemnisation, créé par l'article 3, doit être autonome et pourrait – ce n'est pas aberrant – profiter de l'expérience et du savoir-faire du FGAO – le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages – qui, d'une certaine façon, a parrainé la mise en place du FIVA.

L'article 4 crée auprès du Premier ministre une Commission nationale de suivi des essais nucléaires, qui devra donner son avis sur la liste des maladies radio-induites et sur les lieux. Elle devra également effectuer le suivi des questions épidémiologiques et de celles relatives à l'environnement, ainsi que veiller à l'application de la loi.

Ce principe élargit aux militaires le champ d'application de la présomption d'origine ; il l'assouplit pour les salariés et il gomme une différence de traitement au détriment de la population polynésienne qui relève d'un régime indemnitaire moins favorable, aggravé par des délais de prescription plus sévères. Sans compter la différence de qualité des abris construits pour les militaires et de ceux réservés à la population. Il s'agit donc d'un principe qui établit la justice et l'égalité.

L'article 5 crée le gage et l'article 6 élargit le champ d'application de la proposition de loi aux collectivités d'outre-mer qui ne relèvent pas de l'identité législative.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion