Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le signe d'une démocratie solide est évident : soit elle n'a pas de Constitution – la tradition suffit –, soit elle n'en a pas changé. La France en est à sa quatorzième Constitution et encore l'a-t-elle modifiée vingt-trois fois déjà. Si c'est d'une main tremblante que l'on doit modifier la loi, c'est une secousse convulsive qui doit saisir cette même main lorsqu'elle s'approche de la Constitution, a fortiori lorsqu'il s'agit d'une Constitution qui fonctionne bien mieux que celles qui l'ont précédée.
Il faut des circonstances exceptionnelles, des changements importants dans la société et dans le monde ou encore une impossibilité de conserver le texte précédent pour se résoudre à modifier notre texte fondamental. L'origine de la réforme qui nous est proposée tient cependant tout entière dans la modification précédente : l'instauration du quinquennat. La coïncidence du quinquennat législatif avec le quinquennat présidentiel, dont il semble totalement dépendre, ne peut que renforcer le déséquilibre institutionnel déjà trop important entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.
Il aurait été sans doute plus opportun de résoudre cette difficulté en instituant un régime clairement présidentiel qui aurait mieux séparé les pouvoirs et permis au Parlement d'être autre chose que la chambre d'enregistrement des projets de loi gouvernementaux. Cette solution n'a pas été retenue. On en reste donc à une addition de demi-mesures et de faux-semblants qui risquent d'affaiblir la Ve République, sans accroître le pouvoir réel du Parlement.
Certes, une plus grande maîtrise de l'ordre du jour et une plus grande importance donnée au travail en commission vont dans le bon sens. Il faut saluer l'esprit de la réforme qui tend à permettre au Parlement de consacrer plus de temps aux études d'impact de la loi, au contrôle de son application et moins au rituel des débats dans l'hémicycle. Il faut également se féliciter de l'introduction du référendum d'initiative populaire, qui a le mérite de constituer une synthèse entre la modernisation de nos institutions et le respect de l'esprit de celui qui les a fondées.
Malheureusement, force est de constater que l'ensemble des propositions n'atteignent pas l'objectif visé – quand elles ne favorisent pas l'évolution contraire.
C'est ainsi que l'on pouvait s'inquiéter de trois types de réformes dont certaines ont heureusement été amendées au Sénat.
En premier lieu, dans le but de parvenir à un plus grand consensus, certaines dispositions portent atteinte à l'esprit de la Ve République. Au premier rang de celles-ci figurait la limitation de l'usage du 49-3, qui représente pourtant une protection légitime à l'encontre de l'obstruction excessive à laquelle l'opposition ou une partie de la majorité peuvent être tentées de se livrer. Le Sénat a heureusement corrigé le texte issu de l'Assemblée. Mais on peut regretter la reconnaissance de droits spécifiques pour les groupes d'opposition – comme si le Parlement n'était pas avant tout composé d'élus qui ne dépendent d'aucun mandat impératif et qui sont avant tout les représentants des Français, et notamment de ceux qui les ont élus, avant d'être les membres d'un groupe. De la même façon, la possibilité pour un ministre démissionnaire de retrouver son siège au Parlement affaiblit l'exigence de la cohésion gouvernementale et celle de la responsabilité des membres de l'exécutif. Contrairement à ce qui se dit ici ou là, notamment au plus haut niveau, ce n'est pas au Gouvernement d'exprimer la diversité de la majorité dans l'espace médiatique ; c'est au Parlement, lieu du débat, d'exprimer la richesse des opinions, quand le Gouvernement doit être le lieu de la décision et de l'action.
En second lieu, d'autres propositions ne peuvent que susciter l'inquiétude et éveiller les soupçons quant aux objectifs véritables de la réforme. Le retour des résolutions, après le vote du Sénat, en fait partie.
Le Parlement a pour vocation de voter la loi. Il doit en voter moins et les voter mieux. À cette fin, il doit prendre le temps de l'élaboration, de la mesure de l'impact, du débat serein en commission et du contrôle de l'application de la loi. Les résolutions, qui devront être très encadrées pour ne pas mettre en difficulté le Gouvernement, correspondent à une dévaluation du travail parlementaire. Il s'agit de combler le vide créé par une diminution du temps consacré au vote de la loi par des débats stériles suivis de voeux pieux. C'est le procédé bien connu de la catharsis ! Si on va libérer notre énergie, on va surtout nous faire perdre notre temps quand nous devons élaborer la loi avec le plus grand sérieux possible.
De la même façon, le souhait de voir les Français de l'étranger représentés spécifiquement à l'Assemblée nationale ne pouvait que dénaturer profondément le rapport personnel entretenu par un député envers ses électeurs. Il n'aurait conduit qu'à une introduction malheureuse de la proportionnelle ou à une représentation absurde de la moitié d'un continent par une seule personne. Il faut à tout prix éviter la proportionnelle ! J'aurais aimé que le mode de scrutin soit inscrit dans la Constitution et que l'on entérine le mode de scrutin uninominal, pourquoi pas à un tour, comme le souhaitait Édouard Balladur.