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Intervention de Sylvia Pinel

Réunion du 8 juillet 2008 à 15h00
Modernisation des institutions de la ve république — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSylvia Pinel :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l'histoire constitutionnelle de notre pays s'accélère. Force est de constater que la Ve République est à bout de souffle : les gardiens du temple sont de moins en moins nombreux, les fondations sont atteintes, le socle vacille et le mythe s'effondre. C'est bien à sa fin programmée que nous assistons désormais. Ce projet de loi constitutionnelle n'est probablement que la dernière tentative pour sauver ce qui peut l'être et conserver une République qui n'aura dès lors de cinquième que le nom.

De ce point de vue, cette réforme est d'abord et avant tout l'expression d'un conservatisme puisqu'il s'agit de tenter de conserver une Ve République usée, fatiguée, profondément dénaturée par vingt-deux révisions et une pratique institutionnelle toujours plus éloignée de la volonté du pouvoir constituant originel. De Gaulle lui-même n'aimait-il pas répéter qu'une Constitution, c'est « un esprit, des institutions, une pratique » ? Eh bien, mes chers collègues, il faut bien admettre que l'esprit comme la pratique d'aujourd'hui – et à plus forte raison de demain –n'ont plus rien à voir avec l'esprit et la pratique de 1958.

Le temps est donc venu de sortir de la crise de régime que nous traversons et de mettre enfin en phase l'esprit et la pratique de nos institutions avec les attentes démocratiques actuelles. Cinquante après, il n'est plus possible de se contenter une nouvelle fois de changer la République : il nous faut changer de République. La vraie rupture, mes chers collègues, aurait été celle-là.

Rappelons-nous qu'aux termes de l'article 28 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui sert de préambule à la Constitution du 21 juin 1793 , « Un peuple a toujours le droit de revoir, de réformer et de changer sa Constitution. Une génération ne peut assujettir à ses lois les générations suivantes ». J'appartiens à une génération qui refuse l'héritage de 1958 et le culte aveugle de la Ve République ; j'appartiens à une génération qui entend adapter les institutions aux exigences démocratiques et citoyennes de son époque. Aussi n'est-ce pas à une quelconque modernisation des institutions de la Ve République que nous devrions nous atteler, mais plutôt à la création des institutions de la VIe République. Le Président de la République et son Gouvernement ont fait un autre choix : vous l'avez compris, ce n'est pas celui qu'auraient souhaité les radicaux de gauche. Comme mes collègues Gérard Charasse et Jean-Michel Baylet l'ont rappelé en première lecture, ici même et à la tribune du Sénat : le plus vieux parti de France réclame une VIe République présidentielle.

Peut-on revaloriser le Parlement, rééquilibrer les pouvoirs et démocratiser le régime, sans changer de République, en se contentant de suivre une logique d'ajustements et de réglages ?

Reste que toute amélioration du régime existant constitue naturellement un progrès tant celui-ci est à bout de souffle et en bout de course. Et, même si nous nous opposons à ce projet de loi constitutionnelle, force est de reconnaître que nombreuses de ses dispositions, après une première lecture dans les deux assemblées, contribuent à améliorer le système actuel. Le nier serait faire preuve d'irresponsabilité politique et d'un manque certain de discernement et d'ambition. II est toujours dangereux sur un texte qui engage l'avenir de nos institutions d'opter pour une grille de lecture partisane, inspirée de la seule actualité et inscrite dans le court terme – et ce disant, je m'adresse aussi bien à mes partenaires de l'opposition et mes collègues du groupe SRC qu'à la majorité dans son ensemble. Il faut savoir se projeter dans l'avenir, imaginer l'opposition d'aujourd'hui devenir la majorité de demain et vice-versa. II faut oublier les questions de personnes et surtout ne pas personnaliser les institutions. Bref, il faut prendre de la hauteur et se livrer à un exercice de conceptualisation pas toujours facile, j'en conviens, surtout par les temps qui courent. Mais quand il s'agit de la Constitution, l'exercice est indispensable.

C'est ainsi que les radicaux de gauche considèrent comme une avancée toutes les mesures qui permettent d'améliorer l'expression du pluralisme politique et de conférer de nouveaux droits aux minorités politiques et parlementaires. Une démocratie moderne ne peut se contenter d'une bipolarisation gauche-droite trop affirmée et organisée exclusivement autour de deux grands partis politiques. Les Français ne se retrouvent pas dans le dualisme simplificateur gauche-droite, a fortiori lorsqu'il se double du clivage très réducteur entre deux grands partis politiques, lesquels ne sauraient incarner à eux seuls la majorité pour l'un et l'opposition pour l'autre.

De la même façon, la vie parlementaire doit pouvoir s'organiser autour de plusieurs groupes politiques de la majorité et de l'opposition, ce qui implique des groupes minoritaires de la majorité et des groupes minoritaires de l'opposition, mais également, le cas échéant, des groupes n'appartenant ni à l'une ni à l'autre. Plus il y aura de groupes et mieux se portera notre démocratie parlementaire car elle n'en sera que plus représentative et donc plus légitime. Chacun d'entre eux doit pouvoir disposer de droits spécifiques. Ce fut l'objet d'un amendement des parlementaires radicaux de gauche défendu en première lecture et adopté par le Sénat. Nous veillerons à ce qu'il soit conservé en deuxième lecture par notre assemblée. Il permettra à n'en pas douter un progrès de notre démocratie parlementaire. Un petit progrès certes, mais un progrès tout de même qui, s'il venait à se combiner avec l'introduction d'une dose de proportionnelle pour les élections législatives, comme nous le proposons à nouveau, changerait la physionomie de notre assemblée et l'exercice du travail parlementaire. Cela permettrait d'atténuer les effets désastreux du quinquennat associé à la simultanéité des élections présidentielle et législatives, qui ont eu pour résultat de laminer les petits partis, du moins tous ceux qui n'ont pas l'espoir de voir l'un de leurs représentants au second tour de l'élection présidentielle.

Animés d'un état d'esprit responsable et pragmatique, les radicaux de gauche entendent améliorer au maximum la situation existante, qui ne satisfait plus personne ou presque. Ils veulent pousser le plus loin possible la logique de revalorisation du Parlement, aujourd'hui parfois trop timide. Ils proposent également un encadrement plus strict de l'article 49, alinéa 3, dont l'usage par le Gouvernement serait limité aux seuls projets de loi de finances et projets de loi de financement de la sécurité sociale. Ils ont aussi déposé un amendement visant à faire référence dans la Constitution à la possibilité pour le Parlement de créer des commissions d'enquête dans le cadre de ses missions de contrôle et d'évaluation de l'action du Gouvernement, tout en renvoyant aux règlements des deux assemblées le soin d'inclure leur création dans les droits spécifiques de tous les groupes parlementaires. Là encore, l'avancée serait indéniable pour l'exercice de notre démocratie et permettrait un bien meilleur contrôle de l'exécutif.

Cette deuxième lecture peut encore être l'occasion d'apporter de nombreuses améliorations à cette réforme qui, à défaut de rompre avec le régime actuel, est susceptible de le remettre en cause, à condition toutefois que nous poursuivions le travail d'amendement entamé à l'Assemblée et continué au Sénat, sans pour autant revenir sur certaines dispositions adoptées. C'est ainsi que les députés radicaux de gauche proposeront également de mieux encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République, de donner au moins deux présidences de commissions permanentes de chaque assemblée à d'autres groupes que le groupe majoritaire, de supprimer l'instauration de députés des Français de l'étranger qui n'a aucun sens, tout comme l'inscription dans la Constitution d'un nombre maximal de députés et de sénateurs.

Nous veillerons également au maintien dans la rédaction finale de la mention de la parité professionnelle et sociale entre les hommes et les femmes. Nous souhaiterions également voir conservée la disposition visant à limiter le nombre des membres du Conseil constitutionnel aux neuf membres nommés, disposition que nous avions proposée à cette assemblée et qui a été acceptée au Sénat. Rien ne nous semble en effet justifier la présence à vie des anciens présidents de la République au sein d'une institution aussi puissante, dont il faudra d'ailleurs bien un jour revoir le fonctionnement et certaines des prérogatives. Nous souhaiterions aussi le statu quo s'agissant de l'adhésion de nouveaux États à l'Union européenne. Les radicaux de gauche ne pourront pas accepter une mesure discriminatoire à l'égard de la Turquie, grand pays laïque qui aura toute sa place dans l'Union européenne dès qu'il répondra à tous les critères de Copenhague.

Enfin, nous défendrons à nouveau un amendement ayant pour objectif de rappeler que le principe de laïcité qui fonde notre République n'a qu'une seule définition, celle contenue dans la loi de 1905. Il n'y a ni laïcité positive ni laïcité négative et les radicaux de gauche s'opposeront à toute tentative future de modifier la composition du Conseil économique et social, qui viserait à y introduire des représentants des cultes et des courants spirituels.

Mes chers collègues, pour les radicaux de gauche, la Ve République fait déjà figure d'Ancien régime. Toutefois, s'il venait à être adopté, ce projet de loi constitutionnelle, avec ses indéniables avancées mais aussi ses imperfections et insuffisances, modifiera en profondeur la Constitution de 1958. Le nouveau texte qui en résulterait ferait alors office de transition constitutionnelle car les jours de la Ve République sont comptés : la VIe est en marche, elle est inévitable.

À cet égard, elle sera la priorité de l'actuelle opposition dès qu'elle redeviendra majoritaire, et les radicaux de gauche prendront alors toute leur part dans sa construction.

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