Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici ce soir face au projet de loi constitutionnelle revu et corrigé par la Haute assemblée. Corrections, ajouts et amendements, qui, loin de l'améliorer, l'ont rendu plus conservateur encore, qu'il s'agisse du rétablissement de l'usage du 49.3, de celui du droit de grâce tel quel, du retrait de la présence parlementaire à la commission censée cadrer certaines nominations présidentielles, de la pseudo-avancée en matière de fixation de l'ordre du jour, du refus brutal de constitutionnaliser les langues régionales et j'en passe. Tout cela nous renvoie à un statu quo ne pouvant pas dignement faire office de réforme ou, du moins, de cette réforme qu'essaie de nous vendre, bon an mal an, un gouvernement avide de faire passer ses lois plus rapidement encore.
Nous étions déjà très critiques lors de la première lecture. Ce que nous amorçons aujourd'hui, avec cette deuxième lecture, signe une fin de non-recevoir aux préalables que nombre d'entre nous, dans cet hémicycle, avions tenté de fixer fin mai. S'en remettre à la sagesse des sénateurs, comme vous l'avez fait ces dernières semaines, nous a renvoyés à une vision totalement archaïque des institutions, celles-ci devenant, pour le moins, anachroniques dans le concert des démocraties européennes : un président de plus en plus omnipotent, mais irresponsable politiquement, et un chef du Gouvernement responsable, mais impuissant.
Or cette réforme qui favorise le tout-présidentiel ne peut se faire sans qu'un certain nombre de contre-pouvoirs, essentiels à une vie démocratique saine, ait un véritable poids constitutionnel et une existence indépendante du pouvoir politique. Il devrait en aller ainsi des citoyens, de la presse et de la justice. Sans cet équilibre démocratique indispensable, la garantie de séparation des pouvoirs n'est pas établie. Mais ces contre-pouvoirs sont évidemment absents du texte que vous nous présentez. Et c'est même tout le contraire.
Loin de nous rassurer, les annonces du Président de la République à propos de la réforme de la future ex-ORTF nous remplissent d'effroi quant au régime qui est en train de se dessiner.
Alors, madame la ministre, nous sommes, certes, habitués à voir balayer nos amendements d'un revers de main par les commissions et un gouvernement qui, coûte que coûte, veut faire passer ses réformes. Nous sommes coutumiers des textes revenus du Sénat avec cette lourdeur conservatrice incapable de tenir compte de l'évolution de la société. Nous sommes tout autant habitués aux tractations politiques et politiciennes de couloirs pour que chacun arrive à ses fins. Mais là, madame la ministre, nous ne pouvons nous accommoder de ces habitudes qui nient le débat parlementaire.
D'abord, parce que cette prétendue modernisation des institutions est, à bien des égards, dans sa forme comme sur le fond, un leurre, un trompe-l'oeil, une tromperie, pour ne pas dire une fourberie, qui ne fait plus illusion. À tel point, d'ailleurs, que la majorité des trois cinquièmes ne vous est pas encore acquise, les pires difficultés pour la réunir semblant venir de votre propre camp. Ensuite, parce qu'il s'agit de notre constitution, qui, je l'ai déjà dit à plusieurs reprises en première lecture, ne signifie rien d'autre que les règles que nous nous fixons tous ensemble pour que, justement, les principes du « vivre-ensemble » résonnent en tous de la même manière. Mais surtout, parce que cette réforme est révélatrice des dysfonctionnements récurrents de la politique menée par votre gouvernement : vous êtes sourds au dialogue, qu'il soit politique ou social, sourds aux problèmes que rencontrent nos concitoyens, sourds aux conséquences déjà désastreuses des réformes menées depuis plus d'un an.
La place que vous réservez aux citoyens est d'ailleurs révélatrice : ils n'apparaissent que pour vous servir, en dernière instance, par d'improbables instruments qui ne peuvent en aucun cas s'apparenter à des initiatives populaires. Mais j'y reviendrai, car, vous vous en doutez, cette question me tient à coeur.
Si les Français ne vont pas dans votre sens, votre gouvernement sait malgré tout parvenir à ses fins. Il en était ainsi le 4 février dernier, lorsque le Parlement réuni en Congrès a été convoqué à Versailles pour ratifier le traité de Lisbonne et gommer un vote citoyen récalcitrant à l'Union européenne telle qu'elle est en train de se construire, mais certainement pas à l'Europe à laquelle les Français sont profondément attachés. Nous avons déjà eu l'occasion d'en débattre lors de la niche parlementaire que j'ai présentée en janvier dernier au nom du groupe GDR, qui entendait établir le principe selon lequel tout traité ayant fait l'objet d'un référendum devait repasser par la même procédure pour être validé définitivement.
Mais les Français se seraient trompés ! Ils n'auraient pas compris l'enjeu du débat ! Qu'à cela ne tienne ! Dans ces cas-là, le peuple doit être pris par la main, ou plutôt, repris en main, afin qu'il entende la voix de la raison, votre voix, la seule qui compte, celle qui détient la vérité, votre vérité, que vous ne cessez d'ériger de manière dogmatique afin d'éteindre tout discours quelque peu constructif ne vous convenant pas. Je ne compte plus le nombre de références à cette vérité proclamée haut et fort depuis le début de la législature, lors des questions d'actualité ou des débats parlementaires. Ces chiffres souvent tronqués, ces données transformées, ces réalités revisitées et qui, martelées tant et tant de fois, deviendraient des vérités indiscutables, inéluctables, annihilant tout principe d'opposition.
Le droit d'initiative populaire tel que voté par les députés n'avait de populaire que le nom, tant les garde-fous visant justement à empêcher toute réelle capacité d'initiative étaient importants : un dixième des citoyens, un cinquième des membres du Parlement... Autant de conditions rendant inaccessible cette initiative, la faisant plus ressembler à un référendum d'initiative parlementaire qu'autre chose. Mais les sénateurs, de peur de se faire déborder sans doute, l'ont encore plus bordé. Et à en croire certaines rumeurs, ce droit populaire, à peine consenti, est déjà complètement dévoyé en étant instrumentalisé par le pouvoir politique au motif qu'il serait le seul moyen de faire passer le fameux amendement refusant l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne.
Peut-être est-il ici utile de rappeler les fondements d'une initiative réellement populaire : elle est, dans une démocratie moderne et respectueuse de sa population, une procédure par laquelle un groupe de citoyens peut obtenir par pétition l'organisation d'un vote au Parlement ou un référendum sur un projet de loi, une révision constitutionnelle, ou une demande d'abrogation d'une loi. Elle peut éventuellement être encadrée, régulée en fonction du poids que l'on entend accorder au peuple souverain. Mais elle ne peut en aucun cas être un outil d'instrumentalisation du peuple en fonction des intérêts politiques d'un gouvernement qui ne saurait faire accepter ses idées autrement. Or, votre proposition révèle très clairement que les parlementaires n'accepteront l'initiative citoyenne qu'à la condition que les élus décident eux-mêmes de l'objet de cette initiative, voire de son devenir.
Ce débat était censé replacer le citoyen au coeur des institutions. Mais rappelons qu'il a d'abord été oublié pour mieux être récupéré, parce que dérangeant. Cette stratégie est symptomatique et révélatrice de votre politique, de votre manière de faire et surtout de votre mode de gouvernance, aux antipodes d'un réel débat démocratique. Au contraire, alors que la seule question qui devrait prévaloir était celle de savoir comment en finir avec le divorce de plus en plus marqué entre les citoyens et leur République – ce dont nous ne pouvons nous accommoder –, nous voilà en train d'essayer de colmater des brèches, de boucher des fissures.
Or, c'est l'ensemble des facettes politiques, de l'architecture institutionnelle à la participation citoyenne, dans toutes ses dimensions, qui doit être pris en compte pour redonner sens et goût au politique, à la chose politique, à ce qui fait et doit faire sens collectivement. Voilà ce qui devrait fixer notre ligne de conduite et notre mission. Nous en sommes évidemment très loin, tout comme nous sommes très loin des préalables indispensables qui auraient dû participer de ce projet de loi constitutionnelle, et sans lesquels toute discussion, toute volonté de modernisation des institutions ne peut réellement être prise au sérieux.
Il en va ainsi de l'inscription du mode de scrutin proportionnel, seul garant du pluralisme politique ; de la réforme du Sénat dont on voit bien la capacité d'inertie et de blocage institutionnels ; de la question du cumul et de la durée des mandats, qui constituent aujourd'hui un obstacle à un renouvellement de la classe politique, transformant petit à petit une fonction en un métier ; de la question, qui en est le corollaire, du statut de l'élu ; du droit de vote des étrangers, reconnaissance indispensable du rôle qu'ils jouent depuis des décennies dans la vie économique et sociale de notre pays ; enfin du pluralisme des médias, seul garant d'une vie démocratique non inféodée à un pouvoir politique. Ce sont autant de points que nul ne peut omettre, voire éviter, comme vous l'avez fait pendant les longues heures de débats auxquelles nous avons participé.
Et ces questions, loin d'être des lubies, sont fondamentales. Leur prise en compte révélerait de votre part, une véritable volonté de réconcilier les citoyens avec la politique en se donnant les moyens d'une représentation nationale plus équilibrée, reflet de la diversité, de la jeunesse et de la vivacité de la société française du XXIe siècle.
Madame la ministre, il serait grand temps que le Gouvernement se ressaisisse et se souvienne que la Constitution, c'est d'abord l'établissement de règles et de procédures démocratiques touchant à la séparation des pouvoirs, au respect et au renforcement des contre-pouvoirs, à la diversité des expressions publiques, à la valorisation de la citoyenneté.
Il est par ailleurs troublant de voir à quel point vous maniez l'art et la manière de créer les conditions de votre réforme avant qu'elle ne soit votée, adoptée et décrétée. Que dire, en effet, des rendez-vous à la chaîne que M. Marleix organise place Beauvau, avec une partie des acteurs politiques, en vue de redessiner la carte des circonscriptions, quand le Parlement planche sur la création d'une commission censée encadrer ce processus ?