C'est suffisamment rare pour s'en féliciter : nous débattons aujourd'hui de propositions de directive européenne avant qu'elles ne soient adoptées définitivement par le Conseil européen. J'en remercie le Gouvernement et les présidents Ollier et Lequiller. D'ordinaire, on nous demande plutôt de transposer des textes européens. Ce n'est qu'en commission des affaires européennes que nous avons l'habitude de ce genre de débat ; mais il se déroule alors entre spécialistes. Ce matin, le débat européen prend toute sa dimension politique.
Nul ne niera l'importance des mesures qui nous sont soumises pour notre cadre et notre mode de vie, pour nos industries, en Europe et dans le monde.
L'histoire de l'humanité est directement liée à l'utilisation de différentes énergies. Désormais, et malgré la crise économique, le modèle énergétique mondial est fortement débattu. Il nous faut répondre à une forte demande d'énergie pour assurer la croissance nécessaire au développement pour le plus grand nombre et à la satisfaction de besoins primaires. Il nous faut aussi préserver les énergies non renouvelables, et éviter les émissions de gaz à effet de serre, facteur d'un réchauffement inédit par son ampleur et sa rapidité.
Confrontés à de tels défis, nous devons agir. Notre planète, compte 6,4 milliards d'habitants ; elle en comptera 8 milliards en 2030, et chacun espérera légitimement bénéficier d'un meilleur niveau de vie. Or, actuellement, plus de 1,5 milliard de femmes et d'hommes n'ont aucun accès à l'électricité, 2 milliards d'être humains ne disposent que de bois pour se chauffer ou cuisiner. D'ici à 2030, il nous faudrait produire 60 % d'énergie en plus. Nous aurions alors besoin de 125 millions de barils de pétrole par jour, alors que la production actuelle se situe autour de 85 millions. De même, d'ici à 2030 – autant dire demain – près de 16 000 milliards de dollars d'investissement seraient nécessaires pour satisfaire les besoins nouveaux, dont au moins la moitié dans les pays en développement.
Les défis sont donc immenses. Si le rythme actuel se maintient, la consommation mondiale d'énergie primaire doublera d'ici à 2030, et 80 % proviendront des combustibles fossiles. Il sera alors impossible de stabiliser le taux de CO2 dans l'atmosphère, ce qui aura de très graves conséquences sur notre environnement. Songeons aussi à celles qui affecteront la biodiversité : c'est tout le cadre de vie de l'homme qui est en cause.
La situation est claire. Il nous faut agir en conséquence et, d'abord, révolutionner la production d'électricité, responsable de 40 % des émissions mondiales de CO2, les transports, qui génèrent 24 % des émissions mondiales, et la consommation domestique qui en représente 17 %.
Pour atteindre cet objectif vital pour préserver les équilibres mondiaux, l'Union européenne a un rôle crucial à jouer dans le développement de l'énergie durable. Faute de quoi, l'énergie deviendra un risque pour notre prospérité, nos emplois, la qualité de notre environnement. C'est en fait le modèle européen de développement économique et social qui serait remis en cause sans une mutation rapide et profonde de notre système énergétique et de nos modes de production.
Pour l'avenir, la politique énergétique européenne doit répondre à trois questions essentielles : comment garantir des approvisionnements sûrs en énergie à des prix prévisibles et abordables, pour les citoyens et les producteurs ? Comment rendre la politique énergétique plus respectueuse de l'environnement pour lutter contre le réchauffement climatique ? Comment partager ces objectifs avec les autres pays de la planète ?
Elle ne le fera qu'en combinant plusieurs politiques communes. Tel est l'objet des directives dont nous débattons.
Loin d'entraver le développement économique, la modification des méthodes et des technologies de production qu'implique la poursuite de ces objectifs nous permettra d'atteindre un haut niveau de développement et de bien être.
C'est une « nouvelle frontière » qui s'offre à nous. Nous devons inventer le monde de demain, les technologies de demain. C'est un formidable enjeu humain que l'Union entend relever en proposant les objectifs des directives énergie et climat.
Rien ne sera possible sans l'Europe, première puissance commerciale mondiale. Compte tenu de son niveau technologique et de son histoire, elle se doit de montrer l'exemple.
Oui, nous devons progresser, en recherchant l'harmonie, en évitant les antagonismes et les égoïsmes. Sans cela, le monde que nous connaissons court à sa perte. Il court à l'exploitation sans retenue des ressources vitales, jusqu'à leur épuisement dans peu de générations ; il court vers la disparition de nombreuses espèces vivantes sur terre et dans les mers ; l'humanité court à sa propre perte car l'équilibre naturel dans lequel elle s'est développée au fil des millénaires sera rompu par l'homme lui-même. Et les générations futures le paieront très cher, bien plus que ne pèsent les intérêts de la dette financière. Ne l'oublions jamais avant de prendre de grandes décisions.
Tout ce qui peut humaniser, réguler, rendre un peu plus harmonieux notre monde est de bonne politique. Les directives « énergie et climat », que nous présenterons cet après-midi plus en détail à la commission des affaires européennes grâce au rapport que j'ai coproduit avec Bernard Deflesselles, font partie de ces textes que l'on peut qualifier de fondateurs d'un nouveau monde.
Mes propos semblent forts, mais je peux vous assurer qu'ils sont à la mesure des enjeux que doit affronter l'humanité. L'Europe, si elle parvient à tenir son rôle, sera, comme peut-être elle ne l'a jamais autant été au cours de ces dernières décennies, un pôle majeur de la politique mondiale.
Je souhaite que nous relevions ce défi ensemble, comme, en d'autres temps, nous avons su nous rassembler pour relever nos sociétés déchirées et faire face à l'adversité, pour offrir au monde un modèle de développement économique et social, écologique. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)