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Intervention de Nicolas Sarkozy

Réunion du 22 juin 2009 à 15h00
Déclaration de m. le président de la république

Nicolas Sarkozy, Président de la République :

Monsieur le président du Congrès, Monsieur le président du Sénat, Monsieur le Premier ministre, mesdames et messieurs les parlementaires, mesdames et messieurs les ministres, en m'adressant à vous aujourd'hui, j'ai conscience d'inaugurer un changement profond dans notre tradition républicaine. Depuis 1875, le Chef de l'État n'avait pas le droit de venir parler devant les assemblées. Il ne pouvait communiquer avec elles que par des messages écrits qu'on lisait à sa place. Cette règle avait été posée dans un climat de méfiance, où la République se sentait fragile et menacée. Cette époque est révolue depuis longtemps. La République est solidement ancrée dans notre pays. Le temps était donc venu que s'établissent entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif des rapports plus conformes à l'esprit d'une démocratie apaisée.

Une démocratie apaisée, ce n'est pas une démocratie où tout le monde est d'accord, mais une démocratie où tout le monde s'écoute et où tout le monde se respecte.

Si j'ai voulu m'exprimer devant vous aujourd'hui, c'est pour montrer l'importance que j'attache au Parlement, à son rôle, à son travail.

C'est un moment important, je le sais. Je l'aborde avec gravité, avec humilité, tant la situation que nous vivons est sans précédent. Nul, dans ces circonstances, n'est assuré de détenir la vérité.

J'ai voulu venir vous dire les conséquences que je tire de la crise. J'ai déjà eu l'occasion de parler de la politique européenne de la France et de ce que celle-ci souhaitait pour réguler la mondialisation. Aujourd'hui, c'est de notre pays, de l'avenir qu'il peut se construire, que je suis venu vous parler.

La crise n'est pas finie. Nous ne savons pas quand elle se terminera. Nous devons tout faire pour que ce soit le plus rapidement possible. En attendant, nous devons continuer à soutenir l'activité, nous devons continuer à garantir la stabilité de notre système bancaire, nous devons protéger nos concitoyens les plus fragiles, ceux qui souffrent le plus – et il y a beaucoup de souffrance dans notre pays.

Nous devons tout faire pour éviter que les victimes de la crise ne deviennent des exclus que nous ne pourrions plus, ensuite, réinsérer dans l'économie et dans la société.

L'exclusion, c'est sans doute ce que la crise peut engendrer de plus grave.

Relâcher notre vigilance, nos efforts pour conjurer ce danger au prétexte que la crise serait finie, ce serait irresponsable. Ce ne serait pas seulement compromettre la reprise, ce serait surtout hypothéquer lourdement notre avenir.

L'idée selon laquelle nous pourrions nous en sortir en laissant une partie des Français sur le bord du chemin, c'est une idée injuste et par-dessus tout une idée fausse.

L'idée selon laquelle nous pourrions nous en sortir en abandonnant une partie de nos territoires et de nos quartiers, c'est une idée fausse.

L'idée selon laquelle, parce que la crise serait prétendument terminée, nous ne devrions plus nous préoccuper de ses conséquences sociales, de ses conséquences humaines, c'est une idée dangereuse.

Je vais aller plus loin.

Considérer la crise comme une parenthèse qui sera bientôt refermée, faire comme si tout devait recommencer comme avant, comme si nous allions pouvoir penser comme avant, nous comporter comme avant, avec les mêmes critères, les mêmes méthodes, serait une erreur fatale.

Rien ne sera plus comme avant.

Une crise d'une telle ampleur appelle nécessairement une remise en cause profonde. On ne peut pas assister à une telle catastrophe sans remettre en cause les idées, les valeurs, les décisions qui ont conduit à un tel résultat.

En nous obligeant à tout remettre à plat, en ébranlant les dogmes et les certitudes, la crise nous rend plus libres d'imaginer un autre avenir.

Depuis la fin de la guerre froide, la mondialisation semblait imposer à tous l'idée qu'il n'y avait qu'une seule voie à suivre, qu'il n'y avait qu'un seul modèle possible, qu'il n'y avait qu'une seule logique. La crise ayant fait la démonstration que cette voie était une impasse, nous voici désormais tous ensemble contraints de trouver d'autres chemins.

Je l'ai dit il y a quelques jours à la tribune de l'Organisation internationale du travail, il y a en définitive deux types de mondialisation : celle qui privilégie la croissance externe, chacun cherchant par tous les moyens à prendre les emplois et les marchés des autres, et celle qui privilégie la croissance interne, c'est-à-dire un modèle de développement dans lequel chacun, produisant plus et consommant davantage, contribue au développement de tous.

La première mondialisation pousse à l'extrême la logique de la compétitivité à tout prix en recourant à toutes les formes de dumping, à des politiques commerciales agressives, à l'écrasement du pouvoir d'achat et du niveau de vie.

La deuxième s'appuie sur l'augmentation de la productivité, l'élévation du niveau de vie, l'amélioration du bien-être.

La première est conflictuelle, la deuxième est coopérative.

La première oppose le progrès économique et le progrès social. La deuxième, au contraire, lie l'un à l'autre.

Tout l'enjeu aujourd'hui est de faire passer la mondialisation de la première logique à la seconde.

La crise va y contribuer parce qu'elle annonce un monde où la demande de justice, de régulation et de protection sera plus forte. Qui peut croire que les peuples subiront sans rien dire les conséquences douloureuses de la crise, qu'ils ne réclameront pas plus de protection, plus de justice, qu'ils supporteront de nouveau, comme si de rien n'était, les parachutes dorés et les gains mirobolants des spéculateurs ?

Le monde d'après la crise sera un monde où le message de la France sera mieux entendu et mieux compris.

Ce sera un monde dans lequel, compte tenu de sa culture, de ses valeurs, la France sera mieux armée que beaucoup d'autres pour réussir.

Le modèle de la croissance interne dans lequel le progrès social, le progrès humain vont de pair avec le progrès économique, c'est celui qui a toujours permis à la France de remporter ses plus beaux succès.

Fonder sa compétitivité, non sur des politiques sacrificielles qui dégradent le niveau de vie, mais sur la recherche d'une productivité globale par la qualité de son éducation, de sa santé, de sa recherche, de ses services publics, de sa protection sociale, de ses infrastructures, par sa qualité de vie, par la mobilisation de toutes ses ressources matérielles et humaines, par une complémentarité réussie entre l'initiative privée et l'action publique, c'est au fond ce que la France a toujours voulu faire.

C'est ce qui correspond le mieux à son génie.

C'est ce qui correspond le mieux à son idéal.

C'est ce qu'au fond nous voulons tous, au-delà des divergences que nous avons sur les moyens à mettre en oeuvre, sur les réformes nécessaires pour y parvenir, sur l'importance de la responsabilité individuelle ou sur la définition de l'égalité.

Nous aimons tous notre pays.

Nous partageons les mêmes valeurs fondamentales.

Nous voulons que chacun ait les mêmes droits et les mêmes devoirs, que chacun se sente respecté, que chacun ait sa place dans la société.

Le modèle républicain reste notre référence commune. Et nous rêvons tous de faire coïncider la logique économique avec cette exigence républicaine.

Ce rêve nous vient, pourquoi ne pas le dire, du Conseil National de la Résistance qui, dans les heures les plus sombres de notre histoire, a su rassembler toutes les forces politiques pour forger le pacte social qui allait permettre la renaissance française.

Cet héritage, j'en ai conscience, est notre héritage commun.

Nous devons même nous souvenir des Trente Glorieuses, non avec nostalgie, mais pour nous rappeler que ce miracle d'un idéal républicain en prise avec les réalités de son temps et tirant de la France ce qu'elle a de meilleur est toujours possible quand nous sommes rassemblés.

Ce que nos pères ont fait avant nous, il ne tient qu'à nous de savoir le faire à notre façon et à notre époque.

Bien sûr, le monde a changé et nous ne reviendrons pas au monde des Trente Glorieuses.

Bien sûr, pendant trente ans les valeurs françaises ont été à contre-courant de celles qui dominaient 1'économie et la politique mondiales.

Mais qui ne voit que la crise mondiale crée de nouveau des circonstances favorables à cette aspiration française à mettre l'économie au service de l'Homme, et non l'inverse ?

Tout nous y ramène : la crise économique, la crise sociale, la crise écologique.

Au moment même où il redevient évident pour tout le monde que le développement économique ne peut être durable que s'il respecte l'Homme et s'il respecte la nature, au moment même où le monde redécouvre les limites d'une logique exclusivement marchande, au moment même où s'impose à tous la nécessité de réguler la mondialisation et les marchés, le modèle français a de nouveau sa chance.

Le modèle de croissance de demain ne sera pas celui des Trente Glorieuses – la révolution écologique et la révolution numérique vont transformer radicalement les modes de consommation et les modes de production – mais il aura des ressorts semblables.

Sans même nous en rendre compte, responsables politiques de droite et de gauche, nous avons laissé faire la part trop belle au capital financier et sans doute trop écouté les leçons de ceux qui, en même temps qu'ils se scandalisaient de l'endettement public, mettaient de gigantesques leviers d'endettement au service d'une spéculation effrénée. (Applaudissements.)

Dans le nouveau modèle de croissance que la France appelle de ses voeux, qu'elle cherche à construire, une place plus grande doit être faite au travail, aux entrepreneurs, aux inventeurs, aux créateurs, à la production.

Dans le monde qui vient, nos ingénieurs, nos savants, nos artistes, notre culture du service public, notre savoir-faire dans l'articulation entre le secteur privé et le secteur public qui s'inscrivent dans une longue tradition vont redevenir des atouts considérables.

Raison de plus pour ne pas éluder quelques questions cruciales.

Pourquoi le fossé est-il si grand entre nos idéaux et la réalité sociale ? Pourquoi ce fossé n'a-t-il cessé de se creuser depuis plusieurs décennies ?

Pourquoi – et personne, quelle que soit son appartenance politique, ne peut s'abstenir de se poser la question – l'avenir est-il à ce point vécu comme une menace et si peu comme une promesse ?

Pourquoi les parents ont-ils si peur pour l'avenir de leurs enfants ?

Pourquoi un tel malaise ? Car il y a bel et bien un malaise, et ce malaise est profond.

Ces questions, il nous faut avoir le courage de nous les poser et d'y répondre.

La crise a remis le modèle français à la mode. Hier décrié, il se trouve aujourd'hui reconnu pour son rôle d'amortisseur social. Mais la crise est aussi un puissant révélateur de nos défaillances et de nos faiblesses. Faire le dos rond en attendant que ça passe serait une faute.

Rien n'était moins propice aux grands changements que l'inertie des temps ordinaires. Ce que nous ne ferons pas maintenant, nous ne le ferons pas plus tard. Nous manquerions une chance historique.

La crise ne peut pas déboucher seulement sur la remise en cause des autres. C'est aussi le moment ou jamais de nous remettre en cause nous-mêmes.

Notre avenir se décide maintenant.

Comment l'affronter si nous ne sommes pas assurés de nos valeurs ?

Où en sommes-nous avec le principe d'égalité ?

Ne sommes-nous pas progressivement passés sans toujours nous en rendre compte de l'égalité républicaine à l'égalitarisme ?

La République, c'est la promotion sociale fondée sur le mérite et le talent. L'égalitarisme, c'est donner la même chose à tout le monde.

La République tire tout le monde vers le haut. L'égalitarisme, c'est le nivellement par le bas.

Qui ne voit que notre modèle d'intégration ne fonctionne plus ?

Au lieu de produire de l'égalité, il produit de l'inégalité.

Au lieu de produire de la cohésion, il produit du ressentiment.

Je ne veux pas rouvrir le débat sur le terme de discrimination positive dont j'ai conscience qu'il renvoie à des histoires, à des traditions différentes des nôtres. Mais je veux dire que pour atteindre l'égalité, il faudra savoir donner plus à ceux qui ont moins, il faudra savoir compenser les handicaps de ceux auxquels la vie a donné d'emblée moins de chances de réussir qu'à tous les autres.

Il ne faut pas le faire sur des critères ethniques : ce serait contraire à nos principes les plus fondamentaux. (Applaudissements.) Il faut le faire sur des critères sociaux. Mais il faut le faire : ce sera la priorité du prochain Gouvernement.

Nous avons fini par prendre à bras-le-corps le problème de la rénovation urbaine. Nous nous sommes occupés des bâtiments : c'était absolument nécessaire. Maintenant, nous devons nous occuper des personnes. Je sais bien qu'il y a des réticences, qu'il y a des inerties. Sachez que ma détermination est totale. Nous ne pouvons pas continuer à proclamer des valeurs et à tolérer qu'elles soient à ce point contredites par les faits. Cette contradiction est destructrice : elle est destructrice moralement, elle est destructrice socialement. Je ne peux d'ailleurs pas parler de l'égalité sans penser à nos compatriotes d'outre-mer. Comment pourraient-ils se sentir pleinement citoyens de notre République si notre République tient si peu à leur égard la promesse d'égalité qu'elle fait à tous les citoyens ? Je parlerai avec eux des moyens par lesquels la République pourra tenir ses engagements. Je parlerai avec eux des moyens juridiques et des moyens matériels qui sont nécessaires pour y parvenir. Nous ne pouvons pas, là non plus, au nom d'une conception exclusivement formelle de l'égalité, laisser perdurer une situation aussi contraire à nos principes. Je ne m'y résignerai pas.

Où en sommes-nous avec la laïcité ? Je ne réemploierai pas l'expression de laïcité positive pour ne pas alimenter une polémique inutile.

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