Si tel est le cas, il nous faut former le voeu que « Monsieur Heures supplémentaires » et « Monsieur Rachat des jours de récupération du temps de travail » voyagent ensemble – l'État fera des économies – et se rendent de conserve dans les entreprises afin d'expliquer en quoi telle mesure peut être préférable à telle autre. De grâce, ne les faites pas voyager séparément ! Les entreprises ont déjà du mal à s'y retrouver : que serait-ce alors ?
La mesure que vous proposez, mal conçue, est également très temporaire, puisqu'elle est en réalité votée pour les premiers mois de l'année prochaine et doit prendre fin dès l'été prochain. Pourquoi se donner tant de mal pour si peu ? S'il ne s'agit que de franchir le cap des six premiers mois de l'année 2008, pourquoi une telle urgence pour présenter ce projet de loi et, le cas échéant, le faire adopter par notre assemblée et, probablement, par le Sénat ?
Mal conçue et temporaire, cette disposition est aussi partielle, et sans doute l'est-elle beaucoup trop. Je dois avouer, monsieur Bertrand, qu'en vous entendant expliquer quels seraient les salariés qui en bénéficieraient, j'ai admiré la façon dont vous présentiez les choses, exposant ce qu'il adviendrait selon que les entreprises avaient ou non conclu des accords, qu'elles comptaient plus de 50 ou de 100 salariés ou qu'il existait ou non des jours de récupération du temps de travail et, s'il en existait, pour quel montant. J'ai toutefois remarqué que, lorsque les pourcentages sont décevants, vous vous exprimez en millions et, lorsque les millions sont insuffisants, vous vous exprimez en pourcentage. (Rires sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.) En additionnant millions et pourcentages, je me suis dit tout d'abord que vous deviez avoir raison et que tous les salariés seraient concernés. Toutefois, je me suis repris et, en regardant ces chiffres en détail, je me suis rendu compte que, là où vous parliez de millions, les pourcentages étaient décevants et que, là où vous parliez de pourcentage, le nombre de salariés concernés était relativement faible.
En réalité, si un salarié sur deux est concerné par ce dispositif, ce sera déjà beaucoup, car celui-ci ne s'applique évidemment pas aux salariés d'entreprises dans lesquelles les modalités des 35 heures ont été mises en oeuvre avec une vraie annualisation, c'est-à-dire où le temps de travail, qui peut varier selon les semaines, est toujours de 35 heures en moyenne. Les salariés qui travaillent dans les entreprises où il n'y a eu aucun accord de 35 heures, c'est-à-dire la quasi-totalité des petites entreprises, ne sont pas davantage couverts par cet accord.
En outre, la mesure est d'autant plus partielle que, si le secteur marchand est concerné, les fonctions publiques ne le sont pas – ou du moins pas dans le cadre du projet de loi que nous examinons, de telle sorte que, si elles doivent l'être, il faudrait, monsieur le ministre, nous indiquer quand, de quelle façon et selon quelles modalités.
J'ignore si les déclarations que nous avons entendues et les chiffres avancés par M. Lefebvre, député des Hauts-de-Seine, rassurent ou inquiètent nos collègues de la majorité, car ces chiffres sont proprement extravagants. Les milliards d'euros pleuvent, et cela naturellement au détriment du budget de l'État, qui n'a pas de quoi les financer. Rien n'est prévu en effet à cette fin dans la version définitive du budget 2008 que nous venons d'adopter. Cela signifie donc qu'à supposer que les mesures prises en faveur des fonctionnaires de l'État aient bien le coût évoqué, elles ne seront financées que par la dette, et que les deux promesses de respecter les déficits publics et de ne pas augmenter, à terme, les prélèvements obligatoires ne pourront pas être tenues.
Quant à la fonction publique hospitalière, dont vous vous êtes occupé longtemps, monsieur Bertrand, comment pourrait-on y estimer le coût de ce que vous appelez joliment le « rachat des jours de récupération du temps de travail » ? Le budget des hôpitaux s'élève à environ 55 milliards d'euros, sur lesquels la masse salariale compte environ pour 70 %, les jours de RTT représentant environ, selon la Fédération hospitalière de France, 3 % de ce montant. En d'autres termes, 3 % de 70 % de 55 milliards d'euros représenteraient, si l'on devait supposer que tous les jours de récupération du temps de travail étaient transformés en heures supplémentaires – ce qui sera sans doute loin d'être le cas –, une charge supplémentaire de 1 à 1,2 milliard d'euros pour les hôpitaux. Or, je le rappelle, le déficit cumulé des hôpitaux se situe à ce jour entre 500 et 600 millions d'euros. Je ne vois donc vraiment pas comment, à supposer que les directeurs n'aient pas la possibilité de s'opposer à ce que les comptes épargne temps soient « décrémentés » des jours de récupération du temps de travail afin que ceux-ci soient transformés en heures supplémentaires, les hôpitaux pourraient assumer un tel coût – et nous savons tous très bien, d'ailleurs, qu'ils ne le pourraient pas.
La mesure proposée est donc tout à fait partielle car, en réalité, pour la fonction publique d'État comme pour la fonction publique hospitalière, ni l'État, ni les hôpitaux n'ont aujourd'hui les moyens de votre politique et, s'ils ne les ont pas, c'est parce que les 15 milliards d'euros du paquet « Travail, emploi et pouvoir d'achat » pèsent lourdement et grèvent d'une manière tragique et inquiétante les finances publiques de notre pays, qu'il s'agisse du budget de l'État ou des finances de la sécurité sociale.