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Intervention de Michel Vaxès

Réunion du 23 juin 2009 à 21h30
Lutte contre les violences de groupes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vaxès :

L'intrusion violente d'une bande de jeunes encagoulés et armés le 18 mars dernier dans un lycée de Gagny a suscité chez chacun une vive émotion. Il est en effet inacceptable, intolérable, que des élèves puissent être menacés dans les écoles de la République, là où ils vont pour apprendre et non pour être agressés.

À la suite de ce fait divers spectaculaire, la réaction prévisible du Président de la République ne s'est pas fait attendre. Comme à son habitude, la seule réponse qu'il nous a proposé était une énième loi sécuritaire. Le calendrier parlementaire ne lui offrant pas la possibilité de la faire examiner dans un délai lui permettant de satisfaire son souci d'affichage – à moins qu'il ne s'agisse de la crainte des observations du Conseil d'État –, il a passé commande à sa majorité qui porte aujourd'hui cette proposition.

Nous discuterons donc, puisque vous l'avez voulu ainsi, de la dix-huitième loi sécuritaire de votre majorité, de votre gouvernement, de votre président.

Probablement parce que vous sentez confusément qu'un fait divers ne peut raisonnablement justifier à lui seul la modification d'une législation, l'une des plus répressives au monde, le Gouvernement et les porteurs de ce texte nous livrent des chiffres inquiétants sur les phénomènes de bandes. Ils sont d'une précision surprenante : sur notre territoire, 5 000 personnes, mineures pour la moitié, appartiendraient à l'une des 222 bandes connues en France, se décomposant en 2 500 membres « permanents » et autant « d'occasionnels ».

Mais vous taisez que ces chiffres qu'on nous annonce en augmentation sont largement contestés. Ainsi, Laurent Mucchielli, sociologue spécialiste de la délinquance, estime qu'« il n'y a aucune donnée pour étayer l'augmentation du phénomène des bandes ». Un constat partagé par Christophe Régnard, président de l'USM, l'Union syndicale des magistrats : « Il y a en ce moment un leitmotiv prétendant que ce phénomène serait en augmentation. Mais rien ne le montre ! »

Un récent rapport du Parquet de Paris, rédigé par un commissaire de police et un membre de la Protection judiciaire de la jeunesse, exprime le même scepticisme.

Ce fait divers, combiné à ces chiffres, est suffisant à vos yeux pour justifier une nouvelle modification du code pénal, qui viendra s'ajouter à la quarantaine de celles qui ont déjà été effectuées depuis 2002. Pourtant, notre législation pénale est aujourd'hui largement suffisante pour punir les infractions que vous prétendez viser.

L'incrimination supplémentaire créée par l'article 1er et concernant les violences commises en bande, passibles de trois ans de prison et de 45 000 euros d'amende, va venir s'ajouter à l'arsenal juridique dont disposent déjà les juges pour sanctionner les faits commis en bande. Faut-il rappeler l'existence de l'incrimination de complicité, celle d'association de malfaiteurs, celle d'actes commis en réunion, celle enfin de bande organisée ?

Les intrusions dans les établissements scolaires visées à l'article 7 sont, elles aussi, déjà sanctionnées par le code pénal, de même que les personnels de l'enseignement sont, en leur qualité de « personnes chargées d'une mission de service public », déjà protégés par notre législation.

Enfin, le délit de port d'armes, introduit par la commission à l'article 7, est déjà sanctionné d'une peine de trois à cinq ans d'emprisonnement, selon les caractéristiques de l'arme détenue.

Ainsi, pour reprendre le cas de l'agression commise à Gagny, la législation actuelle a-t-elle permis de répondre par des sanctions, puisque les auteurs ont été déférés et sont aujourd'hui incarcérés. Ils encourent, au regard de notre droit, au moins trois ans de prison, voire dix ans pour violences contre un membre du corps enseignant.

Quant à faire croire à l'opinion publique que ce nouveau texte aurait permis d'empêcher le meurtre du jeune Halimi, c'est particulièrement choquant et insultant pour sa famille ! Comment osez-vous prétendre devant ses parents que la nouvelle incrimination prévue par l'article 1er aurait pu sauver leur enfant ?

Vous le savez, l'article 1er, qui crée un délit préventif sera inapplicable. Ce nouveau délit de participation à une bande violente vise « le fait de participer, en connaissance de cause, à un groupement, même formé de façon temporaire, qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels, de commettre des violences volontaires contre les personnes ou des destructions ou dégradations de biens ». Cette qualification du délit est bien trop floue et imprécise, et la présomption d'appartenance à une bande sera, pour les juridictions, quasiment impossible à démontrer. Notre collègue Christian Estrosi, devenu ministre depuis ce soir, n'a d'ailleurs à aucun moment donné de détails sur les « faits matériels » censés caractériser l'infraction.

Cela est d'autant plus inquiétant que l'article 1er entend punir la simple « intention », laquelle, ne pouvant être étayée par des faits précis, ouvrira la porte à l'arbitraire. Concrètement, ce dispositif n'aboutira qu'à augmenter le nombre de gardes à vue, qui n'a jamais été aussi élevé que ces derniers temps : 577 816 personnes résidant en France et âgées de plus de treize ans ont été placées en garde à vue en 2008 !

Les sanctions prévues à l'article 1er seront « également applicables à toute personne qui, sans être elle-même porteuse d'une arme, participe volontairement à un attroupement dont une ou plusieurs personnes portent des armes de manière apparente ». Cet article 2, qui s'ajoute au premier article, crée une nouvelle catégorie de délit, celui de mauvaise fréquentation. Ils introduisent tous deux dans notre droit un principe de responsabilité collective inédit – si l'on excepte la loi anticasseurs des années soixante-dix, abrogée en 1981. Dans cette logique du risque, qui ne consiste plus à s'intéresser aux seuls délinquants mais à tous les présumés délinquants, ce sont tout simplement les principes généraux du droit qui sont remis en cause.

Les deux premiers articles de ce texte ne sont pas les seuls à ouvrir la porte à des dérives. Prenons, pour autres exemples, le nouvel article 4 ter sur les halls d'immeuble, ou encore l'article 4 quinquies sur la vente forcée dans les lieux publics : ils sont non seulement inutiles mais dangereux, car ils ne contribueront concrètement qu'à augmenter, là encore, le nombre de gardes à vue, sans résultat.

Sans compter que, quoi que vous puissiez nous garantir la main sur le coeur aujourd'hui, ce texte contribuera à la répression de la contestation sociale, les articles 2 et 7 étant tout à fait transposables aux manifestations ou aux occupations d'établissement par les élèves ou leurs parents.

Loin de sanctuariser l'école, votre texte élargit le cercle des délinquants sans hésiter à venir les chercher dans les cours de récréation, Avant même la sortie de ce texte, M. Bertrand Rothé, qui a revisité La Guerre des boutons dans son livre Lebrac, trois mois de prison, avait fait le constat que Petit Gibus et ses copains seraient de nos jours considérés comme de dangereux délinquants.

En 2009, ce sera cinq ans de prison pour un petit canif taille-crayon dans son cartable ! Les sanctions prévues par cette proposition de loi sont, en effet, surréalistes, pas très éloignées des peines infligées aux criminels ! La punition toujours plus lourde est devenue une sorte de tranquillisant devant la grande peur des enfants qui s'est emparée de notre société et de son Parlement.

Qui aurait pu imaginer il y a encore quelques années que six policiers seraient envoyés à la maternelle pour arrêter un enfant de six ans soupçonné à tort d'un vol de bicyclette ? Qui aurait pu croire que des élèves seraient fouillés dans une classe, tenus en respect par des chiens policiers ? Auriez-vous imaginé, chers collègues, vous qui avez connu les cours de récréation, qu'un jour un petit bagarreur de huit ans serait entendu pour coups et blessures volontaires ? Cette intolérable banalisation du passage de l'enfant dans la sphère policière et judiciaire a été dénoncée à juste titre le 27 mai dernier, dans un communiqué commun de l'Association des régions de France et de l'Assemblée des départements de France.

Non, ce texte n'assure en rien la sanctuarisation de l'école ; il instaure au contraire un climat de peur et de méfiance généralisées qui ne pourra que rendre plus pesante l'atmosphère dans les établissements scolaires. Il s'inscrit dans une logique d'alourdissement des peines qui a pourtant fait la démonstration de son inefficacité.

Loin du glorieux bilan brandi par le chef de l'État et votre majorité, les chiffres officiels témoignent des insuffisances et des impuissances de la politique sécuritaire que vous menez depuis sept ans : si les atteintes aux biens ont diminué de 22 % entre 2003 et 2008, les agressions contre les personnes ont, elles, progressé de 14 %. L'arsenal invraisemblable de lois, tout terrain, tous azimuts, tout public, se révèle à la fois inutile et dangereux. Il est grand temps que vous vous interrogiez sur la philosophie, la méthode et les moyens qu'appelle la résolution des problèmes auxquels notre société est confrontée. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)

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