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Intervention de Delphine Batho

Réunion du 23 juin 2009 à 21h30
Lutte contre les violences de groupes — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho :

En fait, ce texte n'a pas été écrit à partir des besoins concrets de ceux qui sont sur le terrain et qui font un usage quotidien de la loi. En termes d'efficacité, ce texte n'est pas à la hauteur.

Mais le devoir du législateur, c'est aussi de respecter les règles qui lui sont imposées. Or ce texte ne respecte pas les règles constitutionnelles. C'est pourquoi nous défendons cette motion, non pas comme un exercice formel, mais sur le fond, car les motifs d'irrecevabilité sont nombreux.

Premier motif d'irrecevabilité : la légalité des délits et des peines, qui impose au législateur de définir précisément les éléments constitutifs d'une infraction. Or la lecture de l'article 1er est délicate. L'incertitude est partout et la précision nulle part.

Incertitude sur la notion de participation « en connaissance de cause » : la connaissance doit-elle concerner le fait de participer à un groupe, ou le fait de participer à un groupe qui poursuit un but violent ?

Incertitude sur la notion de groupement : quelle est la nature du groupement visé ? Cet article ne le précise pas, contrairement aux textes définissant la bande organisée ou l'association de malfaiteurs.

Incertitude sur le but poursuivi. La rédaction « un groupement qui poursuit le but » suppose qu'un groupement en lui-même serait capable d'avoir une volonté distincte de celle des membres qui le composent.

Incertitude sur cette formulation « qui poursuit le but, caractérisé par un ou plusieurs faits matériels » alors que l'article 450-1 du code pénal fait référence, lui, en ce qui concerne les faits matériels, à des actes préparatoires.

Incertitude quant aux termes « dissimulant volontairement en tout ou partie son visage », termes qui ne sont pas dans le décret du 19 juin sur les cagoules, pris, lui, après avis du Conseil d'État.

Le législateur n'exerce pas non plus pleinement les compétences que lui confère l'article 34 de la Constitution.

L'article 1er prévoit des peines identiques sans distinguer selon la gravité des violences ou des dégradations projetées. Que les violences soient aggravées ou pas, que les dégradations entraînent un danger pour les personnes ou pas, la peine prévue est identique. Que le groupement ait projeté de dégrader des nains de jardins dans le voisinage, de déchirer des affiches publicitaires dans le métro, ou, fait beaucoup plus grave, que ce groupement ait décidé d'une expédition punitive dans un lycée à coup de batte de base-ball comme à Gagny, la peine encourue est la même.

Deuxième motif d'irrecevabilité : cette proposition de loi méconnaît le principe selon lequel « nul n'est punissable que de son propre fait ». Ce principe a été rappelé dans la décision du Conseil constitutionnel du 16 juin 1999. Or ce texte prévoit bien de punir pour le fait d'autrui.

L'article 2 prévoit ainsi qu'un tiers, par exemple un simple manifestant, qui ne porte pas d'arme et qui n'aura pas forcément vu qu'une ou plusieurs personnes à proximité de lui sont des casseurs qui portent des armes de façon apparente, sera passible de la même peine que celui qui porte une arme.

De même, l'article 1er instaure de fait une responsabilité pénale collective. Évidemment, monsieur le rapporteur et vous-même, madame la ministre d'État, vous vous en défendez. Mais, si telle n'était pas votre intention, vous auriez procédé différemment, vous auriez, par exemple, abaissé le seuil de l'association de malfaiteurs aux délits punis de trois ans d'emprisonnement.

Ce n'est pas ce que vous avez fait et toute la rédaction de la proposition montre bien cette volonté qu'une personne puisse être jugée pour des intentions ou des actes commis par un groupe, donc par des tiers, sans qu'il soit besoin d'établir que la personne en a été coauteur ou complice.

L'article 1er supprime ainsi la nécessité d'établir l'élément intentionnel : être vu dans le groupe prouvera l'intention d'en faire partie. Et si je prends l'exemple de ce que nous avons vécu pendant les violences urbaines de l'automne 2005, le père de famille qui se trouve près d'un groupe, qui essaie, par ses propos, de calmer, d'empêcher qu'une voiture soit incendiée, ne pourra voir, avec ces dispositions, sa responsabilité pénale exonérée.

Ce texte est en fait un texte idéologique.

Il est tout entier construit autour de cette mystification du rétablissement d'une responsabilité pénale collective. C'est le vieux rêve de la droite de rétablir la loi anticasseurs de 1970.

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