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Intervention de Delphine Batho

Réunion du 23 juin 2009 à 21h30
Lutte contre les violences de groupes — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDelphine Batho :

…si la gauche était au pouvoir et que des policiers s'étaient fait tirer dessus à l'arme de guerre à La Courneuve, si la gauche était au pouvoir et qu'en dépit de la mobilisation de 14 200 policiers et gendarmes lors de la nuit de la fête de la musique, il y avait eu six blessés par balle et arme blanche, vous ne seriez pas là en train de parler de consensus, d'unanimité, de large approbation, vous seriez en train de demander la démission de plusieurs ministres. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

Oui, les problèmes sont graves et, je l'affirme pour commencer, l'évolution des phénomènes de bandes délinquantes est la conséquence directe de la politique menée depuis 2002.

Ces bandes violentes ne sont pas à proprement parler un phénomène nouveau. « L'éradication des zones de non-droit livrées à l'économie souterraine et à la loi des bandes constitue un devoir prioritaire », proclamait Nicolas Sarkozy ici même en juillet 2002 en présentant son projet de loi d'orientation pour la sécurité.

Honnêtement, l'opposition, comme tout le monde, comme chaque Français, aurait préféré que cet objectif soit atteint et que vous ayez réussi. Hélas, c'est un fait que les zones de non-droit n'ont pas été éradiquées et que la République continue de reculer.

Pourquoi ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Avez-vous dégagé les moyens nécessaires ? Au bout de sept ans, ne pensez-vous pas que le moment soit venu de tirer quelques leçons de cet échec ? Et ce d'autant plus que de nouveaux paliers sont franchis dans la gravité des actes, quand on en est à tirer sur des policiers ?

Tous les acteurs de terrain que nous avons auditionnés ont souligné le caractère protéiforme des phénomènes de bande, en distinguant celles liées à l'économie souterraine et à la délinquance mafieuse, et les groupes beaucoup moins structurés, plus spontanés, dont les affrontements sont le plus souvent fortuits mais peuvent être d'une extrême violence.

Derrière ces violences de bandes, il y a bien sûr de graves carences dans la socialisation des adolescents, marqués par l'échec scolaire, le racisme, la pauvreté, le ghetto. S'y ajoute votre échec sur trois fronts majeurs : l'économie souterraine, les zones de non-droit, l'impunité.

C'est l'économie souterraine, tout d'abord, qui structure les bandes, par l'organisation des trafics mais aussi par le modèle de comportement qu'elles véhiculent : consumérisme, argent roi, contre-société où la violence est omniprésente. Le combat contre cette économie souterraine n'est pas réellement mené, notamment contre les petits trafics. Les GIR étaient un dispositif utile, mais, trop éloignés du terrain, ils ne peuvent se substituer à une stratégie méthodique de police judiciaire à l'échelle locale d'un territoire pour démanteler les réseaux d'économie souterraine, stratégie qui fait actuellement défaut.

En ce qui concerne les zones de non-droit, loin de la reconquête promise, un partage territorial a été acté, ces territoires étant désormais traités comme des territoires extérieurs à la République. Non seulement la police de proximité a été supprimée, mais encore le terrain a été abandonné. La police tourne, fait parfois des incursions, des opérations coup de poing superficielles, mais ne protège pas la population au quotidien.

Nous assistons aussi à l'exacerbation des tensions et à une logique d'affrontement ; la police est harcelée et fédère désormais contre elle bien au-delà des délinquants, ce qui n'est pas le moindre des problèmes de la situation actuelle. Cette situation est d'ailleurs telle, madame la ministre d'État, que vous avez tenté de mettre en place un dispositif correctif, avec les UTEQ.

Enfin, alors que l'impunité était au coeur de votre campagne en 2002 – vous en aviez même fait un slogan : « L'impunité zéro » – rien n'est réglé de ces situations que tous les élus de terrain dénoncent depuis des années et qui pèsent lourdement sur le moral des policiers, situations dans lesquelles la police intervient, interpelle, défère à la justice, sans qu'aucune sanction soit prononcée ou sans que la peine soit jamais exécutée. La seule réponse que vous avez apportée à ce problème a été une inflation législative sans précédent pour durcir les peines.

Toute votre politique repose sur l'idée fausse que durcir les peines serait dissuasif et efficace. Or ce n'est ni l'un ni l'autre. Refusant toute analyse objective, tout examen pragmatique des résultats de votre politique, la majorité parlementaire sacrifie régulièrement à une fuite en avant dans l'inflation du droit pénal, comme on sacrifie à une croyance religieuse.

Peu importe que toutes les recherches scientifiques récentes en criminologie montrent que le recours renforcé à la prison et des peines plus lourdes n'ont pas d'impact sur la criminalité et augmentent la récidive. La politique que vous menez depuis sept ans s'avère contre-productive ; elle contribue en fait à structurer une criminalité encore plus endurcie. J'en veux pour preuve l'évolution récente la plus marquante, qui est le passage d'une délinquance de rue au banditisme.

Même si le phénomène des bandes en France n'est en rien comparable avec celui des 24 500 gangs qui sévissent aux États-Unis ni avec celui des gangs de rue du Canada, responsables à eux seuls de 20 % des homicides dans ce pays, nombreux sont les acteurs de terrain qui soulignent que la montée en puissance des bandes délinquantes, notamment en Île-de-France, constitue une véritable bombe à retardement.

C'est ma deuxième affirmation dans ce débat. Il y a urgence à agir. Une autre politique de sécurité est nécessaire et doit être mise en place.

Nous avons bien entendu le rapporteur initial, M. Estrosi, en appeler désormais à une adaptation permanente de la politique de sécurité et même parler de « sécurité durable », reprenant ainsi, ce qui ne manque pas d'ironie, le concept central inscrit dans le projet socialiste de 2006, qui proposait de « garantir une sécurité durable pour tous et partout ».

Mais il ne suffit pas de reprendre nos mots et de s'inspirer de nos concepts ; il faut aller jusqu'au bout du raisonnement et opérer quatre changements stratégiques dans la politique de sécurité.

Nous défendrons au cours de la discussion quinze propositions concrètes sous formes d'amendements. Elles s'appuient sur l'expérience de nos élus locaux, mais aussi, pour une part, sur l'exemple du plan d'intervention québécois sur les gangs de rue pour la période 2007-2010, qui prévoit trente-quatre mesures concrètes auprès des jeunes à risque ainsi qu'un budget de 92,3 millions de dollars.

Premier changement à opérer : celui de la présence de la police sur le territoire et de ses modes d'interventions. Contre l'économie souterraine et les zones de non-droit, il faut déployer partout où cela est nécessaire une véritable police de quartier, une police, j'allais dire, « normale », présente au quotidien, disposant du panel des différents services et, en priorité, des moyens de renseignements et d'investigation judiciaire permettant de mener les enquêtes à même de casser l'organisation des trafics qui mettent les quartiers en coupe réglée.

Nous proposons donc un dispositif bien différent, bien plus conséquent que celui du saupoudrage des UTEQ. Nous proposons très concrètement de redéployer 8 000 policiers sur les territoires d'insécurité prioritaires ; c'est le nombre de policiers que le Gouvernement considère comme inutiles et prévoit de supprimer d'ici à 2013 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.

Dans chaque commune où ce dispositif de police de quartier sera mis en place, nous proposons également de généraliser des groupes opérationnels chargés des violences urbaines et des phénomènes de bandes, avec tous les partenaires concernés, afin d'inscrire le travail de la police dans une stratégie territoriale globale.

Deuxième changement : contre l'impunité, il faut un système de sanction précoce, permettant de sanctionner les primo-délinquants de façon ferme, solide, avec un suivi intensif et de réelles prises en charge alternatives à la prison, pour qu'ils ne récidivent pas. Plusieurs amendements seront présentés, notamment par mon collègue Dominique Raimbourg, afin de réduire les délais de jugement des primo-délinquants et d'instaurer un système de tuteur référent chargé de la sanction comme de la prise en charge globale du délinquant.

Troisième changement : contre les violences juvéniles, nous proposons une grande politique de prévention précoce. Absentéisme, décrochage scolaire, enfants à la dérive et incontrôlables, parents désemparés, crispation des jeunes garçons sur leur identité masculine, absence de repères : voilà les facteurs clefs qui favorisent l'entrée dans une culture de la rue et de la violence. Alors que le besoin d'éducation n'a jamais été aussi fort, la majorité parlementaire n'évoque la prévention que comme une formule de politesse, que vous répétez rituellement dans chaque débat de ce genre.

Jamais les dispositifs et les moyens nécessaires n'ont été déployés. J'en veux pour preuve que le budget interministériel de prévention que vous aviez vous-même créé, madame la ministre d'État, avec la loi de 2007, a été presque entièrement détourné de sa vocation initiale, qui était de soutenir les actions préventives de terrain, pour financer l'installation de systèmes de vidéosurveillance. Nous ferons également des propositions sur les phénomènes de déscolarisation et de violences scolaires ; elles seront présentées par ma collègue Sandrine Mazetier.

Le quatrième et dernier changement à opérer porte sur le combat, qui n'est pas réellement mené aujourd'hui, contre la loi du silence et pour soutenir les victimes. Nous proposerons une mesure très simple, j'allais dire élémentaire : le droit pour chaque victime de violence d'avoir un avocat dès le dépôt de plainte.

Voilà les solutions que nous mettons sur la table, avec sérieux et méthode. Si la majorité choisit d'aller dans cette direction, nous le dirons et nous nous en féliciterons. Malheureusement, le débat en commission a montré que vous étiez prisonniers d'une vision dogmatique.

Dans le débat de ce soir, deux conceptions, deux stratégies s'opposent : l'une moderne, pragmatique, autour de la démarche nouvelle de fermeté et de précocité d'action ;…

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