Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a six ans presque jour pour jour, les électeurs de Corse s'étaient prononcés sur un projet de réforme des institutions. Le Gouvernement avait alors jugé nécessaire de demander son avis au peuple. Aujourd'hui, la question de la réforme des institutions de la Corse est posée devant la représentation nationale mais personne ici ne semble trouver opportun de saisir pour avis les élus de l'Assemblée de Corse au sujet de la réforme de son propre mode d'élection. L'Assemblée de Corse est donc l'objet et non pas l'acteur du débat.
Cela est d'autant plus regrettable, comme j'ai eu l'occasion de l'écrire au président Accoyer, que les législateurs que nous sommes n'ont pas à ignorer la loi de la République. Or nous sommes passés outre à la disposition législative qui voulait que l'Assemblée de Corse soit préalablement saisie des projets et propositions de loi qui regardent spécifiquement la Corse, disposition loin d'être accessoire puisqu'une procédure d'urgence a été prévue dans le seul but de permettre une saisine de l'Assemblée de Corse, quoi qu'il arrive. À quoi bon faire des lois et prévoir des exceptions pour n'en pas tenir compte par la suite ?
Dans ces conditions, mes chers collègues, je vous exhorte à ne pas vous prononcer de manière définitive sur la proposition de loi du sénateur Alfonsi avant que 1' avis de l'Assemblée de Corse n'ait été recueilli dans le cadre de la procédure d'urgence – elle est là pour que l'on s'en serve. Nous donnerions ainsi du temps au débat et notre décision aurait la force et la légitimité que confère le respect de la légalité républicaine. S'il en allait autrement, j'estimerais de mon devoir, au nom de la dignité du Parlement de la République et de l'autorité de la loi, de ne pas prendre part à un vote qui n'aurait pas lieu d'être. Croyez bien que je le regretterais, car il me serait pénible de ne pas participer à une décision déterminante pour l'avenir de la démocratie en Corse. Cependant, plus que jamais, le consensus est nécessaire. L'obtenir aussi rapidement est difficile, mais la difficulté est le signe du devoir.
Vous n'ignorez pas, en effet, que la démocratie est un combat. Ce combat, chers collègues, c'est celui de ma vie. C'est celui qui m'a conduit sur les bancs de l'Assemblée de Corse en 1998 au sein de la gauche plurielle et en 1999 à la tête de la liste « Corse social-démocrate ».
Au cours de ce mandat, j'ai eu l'honneur de contribuer à ce que l'on a appelé le processus de Matignon. Lionel Jospin, alors Premier Ministre, avait choisi la voie du dialogue pour donner une paix durable à la société corse. Pour ce faire, il a pu s'appuyer sur une institution voulue par un grand homme d'État, François Mitterrand, qui, le premier, avait compris que la Corse avait besoin d'un lieu pour le débat démocratique, un lieu où seraient représentées toutes les sensibilités politiques de l'île : l'Assemblée de Corse. Cette assemblée a alors effectué un grand travail de réflexion, élaboré des projets et établi un consensus, qui a abouti à un nouveau statut et à un programme exceptionnel d'investissements. Elle a su remplir sa mission. Aussi n'est-ce pas seulement illégal, mais aussi particulièrement injuste de la laisser aujourd'hui à l'écart de ce débat.
Il s'agit d'ailleurs d'un débat tronqué. Comment peut-on croire que l'on réglera le problème de la gouvernance de la collectivité territoriale par le seul biais d'une modification du mode d'élection de l'Assemblée de Corse ? Certes, cette réforme est indispensable comme en atteste l'élection chaotique de 2004, marquée par les fameuses dix-neuf listes et l'élection à épisodes du président de l'Assemblée de Corse, qui s'est étendue sur plusieurs heures. Personne ne souhaite revivre de pareils instants. J'ai beaucoup de respect pour l'ensemble de nos concitoyens et pour les élus, surtout en Corse où il est toujours plus facile de susciter une communauté d'émotions éphémère que de créer un consensus durable. Nous devons donc, en conscience, réfléchir à une solution acceptable qui ne peut résider dans le maintien du statu quo.
Le nouveau mode de scrutin doit permettre de dégager une majorité stable, validée par les électeurs, qui ne soit pas le fruit de tractations : vous voyez que nous avons des points d'accord. Mais nous devons surtout ne pas perdre de vue que ce mode de scrutin n'est pas une finalité en soi mais l'un des moyens d'améliorer la gouvernance de la Corse. Une gouvernance qui se doit d'être plus collégiale et plus ouverte à la société civile. C'est pourquoi il nous faut protéger le pluralisme de la représentation, y compris au sein du conseil exécutif, qui n'a pas vocation à être monocolore. Nous nous souvenons tous de l'assemblée de 1998 qui s'en tenait à des procédures certes légales, mais extrêmement rapides : c'était le règne du « Silence, on vote ! » (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
L'enjeu réside donc dans un système qui permette de préserver le débat démocratique, à même de produire le consensus dont la Corse a tant besoin, sans pour autant laisser de côté la question de la clarification des responsabilités. À cet égard, il convient de formuler des propositions pour améliorer les relations entre le conseil exécutif et l'Assemblée de Corse. Personnellement, je suis favorable à un renforcement des prérogatives du président de l'exécutif, afin de mettre un terme au bicéphalisme, mais à la condition expresse que soit garantie l'effectivité du pouvoir de contrôle des commissions de l'Assemblée. L'Assemblée de Corse ne saurait en aucun cas être reléguée à un rôle de chambre d'enregistrement des décisions de l'exécutif, d'où la nécessité de conserver une grande diversité dans sa composition.
La démocratie ne se réduit pas au fait majoritaire, elle tire sa force et sa légitimité du fait qu'elle est le seul système où les minorités soient représentées et respectées. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé un amendement, que je vous propose de joindre au texte que nous transmettrons pour avis à l'Assemblée de Corse. Il entend conserver les points les plus essentiels du texte du sénateur Alfonsi. Il s'agit d'abord de l'instauration d'un seuil de fusion de 5 %, afin d'éviter tout encouragement à l'éparpillement des forces. Je rappelle qu'en 1999, les seuils de maintien au second tour et de fusion étaient fixés à 5 %, point sur lequel le Conseil constitutionnel ne s'était pas prononcé car de telles procédures existaient déjà.