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Intervention de Philippe Tourtelier

Réunion du 8 octobre 2008 à 15h00
Grenelle de l'environnement — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Tourtelier :

…qui disent que l'expression « développement durable » est souvent un alibi pour des acteurs qui continuent leurs pratiques habituelles, ce qui peut être malheureusement vrai, justement à cause des ambiguïtés qu'il faut lever. Il faudrait donc entrer en « décroissance » généralisée. Et c'est là que le bât blesse, car les premières victimes de la décroissance seront les plus pauvres. S'il est vrai que, pour les ressources non renouvelables, il faudra une décroissance en attendant une substitution éventuelle, on ne peut confondre « croissance » et « développement ».

La confusion entre les deux termes s'explique : pendant toute la deuxième partie du XXe siècle, on a assimilé développement et croissance, mesurée par le PIB, mesure quantitative. On a parlé alors de pays en voie de développement lorsque leur PIB augmentait.

Le rapport Brundtland introduit une rupture et nous amène à revenir sur cette assimilation abusive du développement à la croissance. La croissance est de l'ordre du quantitatif : croître, c'est augmenter en taille, et cela se mesure objectivement. Le développement est de l'ordre du qualitatif. L'étymologie nous le rappelle : développer, au XIIe siècle, c'est le contraire d'envelopper. C'est dérouler, déplier, révéler. Et, au XVIIIe siècle, se développer signifiait s'épanouir. C'est un terme profondément humaniste, qui réinvente la notion de progrès : il y a de l'infini dans le développement. Le développement durable n'est un oxymore que pour ceux qui confondent croissance et développement.

Mais ce concept de développement durable est aussi attaqué par une approche restrictive : dans beaucoup de conversations, d'articles de journaux, d'émissions de radio ou de télévision, l'expression est employée comme signifiant simplement la prise en compte de l'écologie. Faire du développement durable devient alors simplement concilier le développement économique et les ressources de la planète.

Le développement durable est alors réduit à une « croissance durable ». Cette exclusion du social conduit à l'échec : de même qu'au XXe siècle, l'exclusion de l'écologie menait à une impasse, au XXIe siècle, l'exclusion du social et du culturel ne permettrait pas de trouver les solutions permettant de concilier économie et écologie. En effet, cette conciliation nécessite des changements culturels profonds. Dans les pays occidentaux, c'est en particulier la remise en question du quantitatif avec la consommation comme seul horizon. C'est passer de la croissance au développement. Dans d'autres pays, ce peut être la réhabilitation de cultures locales mieux adaptées aux défis du XXIe siècle. Le développement durable suppose une modification des comportements, ce qui relève du social et du culturel.

Il est donc essentiel de ne pas affaiblir la portée du concept de développement durable et éventuellement, lorsqu'il concerne plus spécialement un des trois points de vue, de parler de « développement économiquement durable », ou « écologiquement » durable, ou « socialement durable ».

Or, le texte de loi que nous examinons est parfois ambigu, en particulier quand on parle de formation au développement durable pour les agents de l'État ou pour les entreprises. Des précisions sur la définition du « développement durable » étaient indispensables au début du texte. En juin, nous les avions souhaitées, vous les avez proposées et nous nous en félicitons. Mais l'intitulé même de votre ministère est ambigu : « Ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire ». Ce nom résulte de l'histoire récente de notre organisation institutionnelle. L'ancien ministère de l'écologie était déjà celui du développement durable, mais ne représentait qu'un pourcentage infime du budget et, en conséquence, avait très peu de poids au sein du Gouvernement.

Parmi les conclusions de la « Mission effet de serre », que nous avons votées, madame la secrétaire d'État, on trouve la proposition d'un grand ministère regroupant l'environnement, l'énergie, les transports, dont le ministre en charge, appuyé sur une administration dédiée, devait avoir un statut renforcé par l'attribution du titre de ministre d'État.

C'est fait, et on peut dire que votre ministère désormais « pèse » au sein du Gouvernement. On remarque cependant que le logement n'est pas dans le périmètre de votre ministère, alors qu'on connaît l'importance de ce secteur dans la lutte contre les gaz à effet de serre.

Intervenant dans une réunion sur la révision des politiques publiques organisée par « Acteurs publics », où je faisais remarquer cette exclusion du logement qui pouvait apparaître comme une anomalie, le représentant de votre ministère me répondait : « Oui, mais on s'arrête où ? ». Effectivement, il n'y a pas de réponse à cette question si vous restez le ministère du « développement durable ». En fait, sur le logement, il y a eu arbitrage et on a considéré que l'aspect social du logement était plus important que l'approche écologique. C'est le type même d'arbitrage en termes de développement durable, arbitrage qui évidemment n'est pas fait au sein du ministère dit du « développement durable ». Levons donc l'ambiguïté et supprimons le terme « développement durable » de l'intitulé de votre ministère. C'est au-dessus – Premier ministre ou Président de la République, c'est un autre débat – que se font les arbitrages, en particulier budgétaires, et il faut qu'ils soient explicités en termes de développement durable.

Il faudra donc un jour revenir sur cette organisation institutionnelle ambiguë, source des dysfonctionnements qu'a connus l'élaboration de cette loi. Dans un entretien paru dans la revue Politique et Parlementaire d'avril 2008, vous déclarez, monsieur le ministre : « Nous présenterons au Parlement une grande loi Grenelle, reprenant les principes du Grenelle Environnement, et comprenant un chiffrage détaillé de chaque programme, ainsi que des mesures concrètes ».

Vous nous avez dit depuis, en juin d'abord, puis en septembre, qu'on pourrait travailler avec trois documents : le Grenelle 1, le Grenelle 2 et la loi de finances. Malgré votre promesse, nous n'avons pas pu le faire, le Grenelle 2 étant devenu un peu l'Arlésienne, et la commission des affaires économiques n'ayant pas eu le temps, ou la volonté – le président pourra nous le dire – de rapprocher le texte que nous examinons des moyens mis en oeuvre dans la loi de finances, ce qui aurait permis un travail efficace. On est très loin de la « grande loi Grenelle » que vous aviez annoncée. Et pourtant, effectivement, dans les premières versions du texte Grenelle 1, nous avions des calendriers, des autorisations de programmes budgétaires. Bref, c'était une vraie loi de programmation, permettant un débat démocratique sur les priorités retenues. Dans la version que vous nous proposez aujourd'hui, il n'y a pratiquement plus d'autorisations de programme et la plupart des délais ont disparu ou ont été allongés. On n'est plus dans une loi de programmation. Nous sommes à peine dans une loi d'orientation. C'est plutôt une vague loi d'intention. Cela explique d'ailleurs en partie l'excellent climat dans lequel nous avons travaillé en commission. Je voudrais, à ce point, remercier le président de la commission et le rapporteur d'avoir accepté quelques uns de nos amendements…

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