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Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 15 juillet 2009 à 21h30
Formation professionnelle tout au long de la vie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVictorin Lurel :

J'aurai décidément tout entendu ce soir, même M. Schneider citant Karl Marx :« De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins » ! Nous aurions pu bien avancer sur la voie du consensualisme si vous étiez allé jusqu'au bout de votre démarche…

Beaucoup ayant déjà été dit sur ce texte, je ne ferai que répéter, marteler, ce qui a déjà été dénoncé avec maestria par mes collègues, mais ce texte répond si peu aux attentes de nos concitoyens que je ne puis faire autrement.

Personne ne peut le contester, le système de formation professionnelle est frappé d'une lourde embolie, au point qu'il n'y a pas si longtemps, le sénateur Carle avait parlé à son sujet de la crise des trois « C » : complexité, cloisonnement, corporatisme.

Complexité puisqu'une multitude d'acteurs – l'État, la région, les entreprises, les partenaires sociaux, les organismes collecteurs, l'AFPA et autres organismes privés de formation – interviennent dans le domaine de la formation professionnelle.

Cloisonnement, car il est bien difficile, et un président de région en sait quelque chose, de fédérer et de mettre en synergie les différents acteurs.

Corporatisme enfin car, le rapporteur l'a rappelé, « les OPCA forment un maquis totalement incontrôlable » et les statistiques sont là pour nous rappeler qu'en pratique, l'argent des salariés faiblement qualifiés finance la formation des cadres, celui des PME celle des grands groupes et celui des demandeurs d'emplois celle des salariés.

Face à l'injustice du système, l'on ne peut accepter le statu quo.

Chez moi, en Guadeloupe, 55 % des quinze–vingt-quatre ans sont au chômage – c'est le taux le plus élevé d'Europe – et 33 % quittent le système scolaire sans le moindre diplôme !

Le taux de sous-qualification est très élevé avec 70 % des demandeurs d'emploi inscrits à fin décembre 2008, de niveau 5 et infra, dont 32 % de niveau 5 bis, contre respectivement 57 % et 18% dans l'hexagone. Le taux de chômage exceptionnellement élevé de la Guadeloupe – 22 %, voire 25 % – fragilise sa stabilité sociale : près de 30 000 personnes « disqualifiées » sont aujourd'hui particulièrement exposées à la grande précarité. Transposez ces données à l'échelle de l'hexagone et vous serez stupéfaits des chiffres astronomiques que vous obtiendrez !

Il est donc urgent de mettre en place un véritable plan Marshall pour la formation professionnelle et l'emploi des jeunes, pas seulement en Guadeloupe, mais dans tout l'outre-mer, ainsi que l'a préconisé le rapport de la mission d'information sénatoriale conduite par Serge Larcher.

Malheureusement, votre projet de réforme n'est pas à la hauteur des enjeux. Il ne fait que reprendre en grande partie l'accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009, signé par l'ensemble des partenaires sociaux. Sa finalité, selon l'exposé des motifs, est "d'améliorer la transparence et les circuits de financement" de la formation professionnelle pour "mieux les orienter vers ceux qui en ont le plus besoin", mais, face à la menace brandie par l'État de décider sans eux, les partenaires sociaux ont dû se mettre d'accord dans la précipitation et, selon les syndicats eux-mêmes, la différence est grande entre ce qu'ils ont signé et le projet de loi.

Certes, nous relevons quelques avancées comme la portabilité du droit individuel à la formation, le développement des contrats en alternance ou la volonté de faire bénéficier de la formation professionnelle ceux qui en ont le plus besoin – demandeurs d'emploi, ouvriers, salariés des très petites, petites et moyennes entreprises.

Nous ne pouvons qu'adhérer à de tels principes mais qu'en sera-t-il concrètement ? Les deux axes principaux de la réforme nous laissent quelque peu perplexes.

La sécurisation des parcours professionnels se traduit par la création d'un fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels qui permettra à l'Etat de remettre la main sur les 900 millions d'euros des partenaires sociaux.

Ce nouveau fonds paritaire est, malgré son nom, une manière de recréer une enveloppe destinée aux demandeurs d'emploi et salariés les moins qualifiés, qui sera mise à disposition de Pôle emploi : cela revient à réintroduire le financement des stages non rattachés à un contrat de formation, que la loi Borloo avait supprimés. Nous aurons l'occasion de revenir plus longuement sur le coeur de ce texte à son article 9, mais je crains fort que les crédits de ce fonds ne retournent pas vers ceux qui en ont le plus besoin, notamment chez moi en Guadeloupe. L'enveloppe de Pôle emploi, jusqu'à présent gérée par les ASSEDIC, n'est consommée qu'à 22 %. Tout le reste revient en métropole.

Quant à la simplification du système actuel de gouvernance et de financement de la formation professionnelle, chacun s'accorde pour regretter que ce texte complexifie encore le dispositif. Nous aurons l'occasion d'y revenir, mais il est évident que cette recentralisation assumée est en contradiction frontale avec les conclusions de la mission Ferracci selon lesquelles la région aurait dû être confirmée comme « pilote » de la formation professionnelle.

Au final, ce projet de loi s'illustre essentiellement par de nombreuses désillusions. L'une de ses lacunes principales, en matière d'insertion des jeunes, concerne le droit à la formation initiale différée – cela a été dit, mais il faut le marteler. C'est bien là l'oubli le plus important, à nos yeux, alors que 150 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans le moindre diplôme. On aurait pu espérer que ce texte propose les moyens de les récupérer, grâce à une formation soutenue.

Un système équitable doit permettre à ceux qui ont manqué le wagon de la formation initiale de s'y raccrocher par des droits différés. Il ne doit pas se contenter de reporter la formation qu'ils n'ont pas eue au départ, il doit leur ouvrir des droits complémentaires. Nous avons déposé des amendements en ce sens.

Pour tous les membres de la commission Hirsch, la question de l'orientation est primordiale et doit être revue de fond en comble. La commission propose ainsi de créer un service public de l'orientation territorialisé – Spot –, service autonome de l'éducation nationale qui implique de «pouvoir s'engager sur une production de services homogènes sur le territoire national mais construite avec les acteurs régionaux et municipaux qui n'oppose pas l'Etat et les collectivités territoriales mais cherche à les réunir sur des objectifs partagés et définis en commun".

Or, vous nous proposez la voie d'une convention État-régions-partenaires sociaux mettant en place un service national unique de première orientation.

Alors que le projet de loi passait sous silence la problématique de l'insertion des jeunes, des mesures « d'affichage » ont été introduites en commission. La commission des affaires sociales, consciente de cette faiblesse, a souhaité mettre l'accent sur l'insertion et l'emploi des jeunes en ajoutant un titre IV bis contenant une dizaine d'articles proposant des expérimentations en la matière.

Rédigés alors que la commission Hirsch sur la politique de la jeunesse n'avait pas terminé ses travaux, ces articles, qui ne sont pas du domaine législatif, relèvent plutôt de l'incantatoire et cherchent à pallier l'absence d'une véritable réforme de fond du système de l'orientation et de l'insertion des jeunes.

Un autre sujet aurait mérité une place de choix, celui de la structuration de l'offre de formation et les modalités de la commande publique. Il y a là un sujet de fond sur la qualification du secteur de la formation professionnelle au regard, notamment, du droit communautaire, pour que celle-ci puisse au moins, pour partie, relever du régime des services sociaux d'intérêt général, et l'illustration d'une urgence absolue à travers l'AFPA.

Le code des marchés publics ne saurait être l'outil unique adapté pour structurer une politique publique de formation inscrite dans la durée et répondant aux problématiques particulières de l'AFPA.

Les procédures de mise en concurrence, quelle que soit la qualité des cahiers des charges, n'apportent pas toujours toutes les garanties qu'une autorité publique attend. En tant que président de région, j'en sais quelque chose. Ma région est la seule de France où une AFPA a été liquidée pour mauvaise gestion, et je suis peut-être sous le coup d'une mise en examen pour une procédure juridique que même la chambre régionale des comptes n'a pas pu qualifier. Aujourd'hui, la région a dû se faire habiliter par le Parlement et créer un centre régional de formation professionnelle pour faire face aux obligations.

Dernière grosse désillusion: l'instauration d'une gouvernance éclatée. Ce texte marque en effet le grand retour de l'État dans le dispositif. Plutôt que de simplifier, il ajoute encore plus d'État aux acteurs existants, sans accorder de moyens supplémentaires. Nous savons ce que valent les systèmes de copilotage : soit l'organisation sera encore plus opaque, soit l'État deviendra le patron de l'ensemble. En tout état de cause, il est regrettable que les régions soient reléguées au rang de partenaires ordinaires, alors que la loi de 2004 leur avait donné la responsabilité pleine et entière de la formation continue. C'est un mauvais procès que l'on nous fait. Lorsque l'on élabore un PRDF, on voit tout le monde, on passe des accords, des conventions annexes sont même signées avec le préfet : pourquoi ajouter une signature supplémentaire qui prend l'allure d'une tutelle qui n'ose pas dire son nom ?

Cette orientation n'était ni justifiée ni demandée par les partenaires sociaux. La seule ligne directrice qu'on y voit est celle d'une reprise en main par l'État. La répartition des rôles n'est même pas réglée, et on ignore quel sera le lieu de la coordination. La question essentielle du rôle de l'éducation nationale et du Pôle emploi est à peine évoquée.

À notre sens, ce texte est donc une occasion manquée – on l'a dit bien avant moi –, celle de repenser l'organisation et le pilotage de l'ensemble d'une chaîne : information-orientation-formation-emploi.

Je pense sincèrement que, entre la fusion ANPE-UNEDIC, le présent projet et les travaux en cours sur l'orientation, ainsi que ceux de la commission Hirsch, nous avons « saucissonné » un sujet qui aurait dû être traité dans sa globalité pour gagner en cohérence et donc en efficacité.

Les enjeux de la formation professionnelle portent aujourd'hui sur la capacité collective des acteurs à coordonner leurs actions après avoir défini des objectifs partagés. Or la contractualisation est une pratique courante en région, qui peut tout à fait être généralisée et portée par des conférences des décideurs-financeurs. Ces partenariats se sont du reste considérablement développés au cours des dernières années dans le respect des prérogatives des uns et des autres, et ces rapprochements entre régions et partenaires sociaux chargés de la gestion paritaire de dispositifs sont incontestablement appelés à devenir la norme. La récente conversion du Président de la République aux initiatives locales que sont les écoles régionales de la deuxième chance en est une des meilleures preuves. Or nous aurons bientôt une troisième école de la deuxième chance en Guadeloupe, mais nous n'avons pas reçu un kopeck de l'État.

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