Voilà encore un article – l'article 17 – emblématique de la Constitution de 1958.
L'abandon du droit de grâce collective qu'exerçait le Président de la République est sans nul doute une bonne chose.
Pour le droit de grâce individuelle, pourquoi ne prenons-nous pas comme structure de consultation pour avis le Conseil supérieur de la magistrature, comme c'était le cas lors de l'exercice du droit de grâce en faveur d'un condamné à mort avant que la peine de mort ne soit abolie ?
Même si nos amendements n'étaient pas acceptés, l'avis du Conseil supérieur de la magistrature serait d'autant plus pertinent qu'après cette révision constitutionnelle, il sera plus encore considéré par le corps judiciaire mais également par les citoyens comme l'institution qui préserve les grands enjeux de l'autorité judiciaire. On contournerait ainsi l'objection de M. Debré selon laquelle ce serait un appel. Le droit de grâce individuelle, on peut imaginer qu'il s'exercera tous recours épuisés – la loi d'ailleurs y oblige – et que la peine pourra être dans sa phase d'exécution.
Nous proposons donc que l'avis soit demandé au Conseil supérieur de la magistrature plutôt qu'à une nouvelle institution, une commission dont le fondement et peut-être même l'inspiration seront décalés par rapport au Conseil, dont la vocation, dans sa nouvelle composition, sera renforcée par les dispositions que nous allons adopter.
Cela dit, madame la garde des sceaux, si l'on renonce aux grâces collectives à l'initiative du Président de la République, il faut s'interroger sur la situation dans les prisons. On ne peut pas supprimer un instrument sans considérer les effets. Actuellement, 66 720 personnes sont sous écrou alors qu'il y a environ 50 000 places. Vous avez annoncé la semaine dernière un décret sur l'encellulement individuel, qui a été voté dans notre pays il y a huit ans, et sans nul doute était-ce la présence du commissaire européen aux droits de l'homme qui vous incitait à rappeler cette exigence. Nous sommes collectivement totalement incapables d'offrir un cadre carcéral répondant aux exigences de la dignité humaine. La prison, c'est seulement la privation de liberté, et pas, en plus, la maladie ou, éventuellement, la violence ou l'absence de lien affectif de toute nature.
J'appelle votre attention sur le fait qu'on ne peut supprimer la grâce collective sans s'interroger sur notre capacité à réguler la population carcérale. En 2004, 9 000 détenus avaient été libérés dans le mois de la décision de la grâce collective, 6 000 en 2006. C'est dire qu'elle était utilisée pour décompresser au sens quasi vital le monde carcéral.
La suppression du droit de grâce collective jusqu'à présent reconnu au Président de la République ne doit pas intervenir sans que la nation s'interroge sur les conditions dans lesquelles elle exécute les peines privatives de liberté et qui font que la France sera à nouveau condamnée dans quelques années si l'on n'y prend garde.