Nous rejetons l'article 5 du projet de loi, qui tend à aménager les modalités d'application de l'article 16 en prévoyant l'intervention du Conseil constitutionnel saisi par le Parlement au-delà d'un délai de 30 jours. Nous pensons, pour notre part, que cet aménagement ne retire rien à la dangerosité intrinsèque du dispositif prévu à cet article par la Constitution de 1958, qui confie au chef de l'État l'ensemble des pouvoirs en cas de circonstances exceptionnelles, ce qui prive le Parlement de ses compétences législatives.
On peut comprendre l'inspiration des constituants de 1958, qui ont voulu, dans leur réflexion politique, tenir compte des graves événements auxquels la nation devait faire face, et qui allaient connaître un paroxysme de 1960 à 1962 en Algérie. Mais le caractère exceptionnel de ces événements ne légitime pas que l'on concentre les pouvoirs entre les mains d'un seul homme, fût-il le Président de la République, alors que l'ensemble des dispositifs constitutionnels, qu'ils soient nationaux comme le fonctionnement du Gouvernement, des institutions et du Parlement, ou qu'ils soient européens, sont de nature à garantir d'emblée notre souveraineté nationale et à assurer la sécurité de nos compatriotes.
Ayons le courage d'aller jusqu'au bout et reconnaissons qu'une situation exceptionnelle ne saurait être gérée par un seul homme, mais doit l'être, dans une vision moderne et progressiste, par l'ensemble des institutions : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le Conseil constitutionnel.
C'est pourquoi nous ne suivrons pas le Gouvernement et le rapporteur, qui proposent que soient contrôlées, après un délai de 30 jours, les conditions dans lesquelles ont été délivrés ces pouvoirs exceptionnels et de quelle manière ils sont appliqués. Nous, nous proposons de supprimer l'article 16. Évidemment, ce n'est pas rien, compte tenu du caractère emblématique – au même titre que la dissolution de l'Assemblée nationale – de cet instrument constitutionnel. Mais nous sommes entrés dans une ère nouvelle, sur le plan politique et institutionnel, et notre démocratie ne peut plus reposer sur un seul homme. Tous nos efforts pour moderniser la Constitution vont dans le même sens, celui du partage des responsabilités.
Nous vous suggérons donc de supprimer, purement et simplement, l'article 16 et d'en venir directement aux dispositions tendant à élargir et renforcer un pouvoir partagé en temps de crise – car personne, bien évidemment, ne remet en cause l'exigence pour notre pays d'assurer son intégrité, sa sécurité et celle de ses citoyens. Certaines d'entre elles figurent dès à présent dans la Constitution : nous les avons déjà évoquées et nous les retrouverons lors de l'examen des articles suivants.