Je vais livrer à notre assemblée la réflexion de mon excellent collègue Paul Giacobbi sur cet article 26. Réflexion qui, je l'espère, amènera Mme la garde des sceaux à nous apporter quelques précisions.
Voici que les citoyens français pourraient obtenir devant un juge qu'une loi contraire à la Constitution ne puisse leur être opposée. Si la présente révision allait jusqu'à son terme – ce que personne ici ne saurait garantir –, ce droit fondamental, établi dès 1803 aux États-Unis, aurait donc mis plus de deux siècles à parvenir en France, après qu'il eut été depuis bien longtemps généralisé à la plupart des démocraties.
Ce droit nous arriverait donc enfin, mais dans quel état ! Question préjudicielle, renvoi éventuel réservé aux seules cours de dernier ressort, monopole du Conseil constitutionnel, exclusion des lois antérieures à 1958 et de toutes les dispositions législatives qui ne portent pas atteinte aux droits et libertés. Avec toutes ces restrictions, ce n'est pas un droit qui est ici accordé pleinement au citoyen ; c'est une lucarne presque inaccessible qui s'entrouvre.
En 1803, la Cour suprême des États-Unis, sous la présidence de John Marshall, établissait lumineusement dans la célèbre espèce Marbury versus Madison que tout juge avait la compétence et le devoir de dire ce qu'était la loi et d'écarter l'application d'une loi parlementaire contraire à la Constitution.
Ses arguments reposaient, non pas sur de subtils raisonnements juridiques, mais sur le simple exposé d'évidences telles que, selon sa formule, il serait extravagant de soutenir le contraire. « Un acte législatif qui serait contraire à la Constitution n'est pas une loi » dit-il, « et soutenir le contraire ferait des constitutions écrites d'absurdes tentatives, de la part du peuple, pour limiter un pouvoir législatif qui ne serait pas limitable de par sa nature même. Je ne vois pas très bien ce que l'on pourrait ajouter dans ce sens ni ce que l'on pourrait y opposer.
Si l'on veut ne se référer qu'à des précédents français et sans remonter jusqu'à la reconnaissance, dès l'ancien régime, de la suprématie de la loi fondamentale par rapport à la loi royale, il suffit de lire notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 pour comprendre que le droit du citoyen de contrôler la constitutionnalité des lois est consubstantiel à notre République.
Cette déclaration est présentée en effet « afin que les actes du pouvoir législatif […] pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution... »
Le rapport de M. le président de la commission des lois nous présente longuement tous les risques d'engorgements, d'incohérences, d'abus que ferait courir à notre malheureux pays un contrôle de constitutionnalité des lois ouvert à tous les juges.