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Intervention de François Fillon

Réunion du 4 février 2008 à 16h00
Projet de loi constitutionnelle modifiant le titre xv de la constitution

François Fillon, Premier ministre :

Personne, ne peut l'accuser de ne pas s'être efforcé de rassembler le camp du « oui » et le camp du « non ».

Et à ceux qui, pour des raisons de forme, contestent les modalités d'adoption du traité de Lisbonne par la voie parlementaire, et à ceux qui, pour des raisons de fond, s'opposent à ce traité, je pose une question simple : voulez-vous réellement relancer l'Europe (« Oui ! » sur quelques bancs) ou préférez-vous son enlisement ? (Exclamations sur plusieurs bancs. – Applaudissements sur de nombreux bancs.)

La stratégie du Président de la République a reçu le soutien des Européens, après avoir reçu celui de la majorité des Français. À son invitation, et à celle d'Angela Merkel, alors présidente de l'Union européenne, vingt-sept pays sont venus inscrire dans un texte nouveau leurs espoirs de paix et d'intégration.

Le traité de Lisbonne satisfait à nos responsabilités vis-à-vis de l'Europe. Et il satisfait à nos devoirs vis-à-vis des Français. (« Non ! » sur quelques bancs.) Au blocage, à l'opposition, il substitue la synthèse et l'initiative. En votant cette révision constitutionnelle, vous permettrez à la France de devenir le quatrième pays à ratifier le traité de Lisbonne.

Cette révision nous est commandée par la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre dernier afin d'autoriser un certain nombre de transferts de compétences vers l'Union et d'élargir les pouvoirs de notre parlement.

J'ai déjà eu l'occasion, à l'Assemblée nationale puis au Sénat, de vous présenter ce traité et de vous en décliner les dispositions. Il adapte et complète les traités précédents sans se placer au-dessus d'eux. Il ne s'agit donc pas d'une constitution. Il reconnaît, de manière explicite, le contrôle de subsidiarité dévolu aux parlements nationaux vis-à-vis de la Commission. Il garantit la compétence exclusive de chaque État dans la définition de sa sécurité nationale, le rôle déterminant de ses autorités dans l'organisation des services publics, la mission des partenaires sociaux de chaque pays dans la défense de ses traditions et de ses ambitions sociales. Il préserve ainsi, partout où elles nous paraissent intangibles, nos exigences de liberté.

Mais surtout, le traité de Lisbonne redonne corps au rêve français d'une Europe agissante et efficace. En prévoyant l'élection d'un président du Conseil européen, il offre à cette institution une force et une stabilité qui lui faisaient défaut.

En politique extérieure, il donne au haut représentant les moyens nécessaires. Au Parlement européen, il confère des pouvoirs renforcés. Les procédures de décision seront désormais plus souples grâce à l'extension du champ de la majorité qualifiée, et la démocratie sera renforcée grâce à une meilleure prise en compte de la population de chaque État. Nos valeurs seront garanties par une Charte des droits fondamentaux. À une Europe plus vaste et plus nombreuse, le traité rend la capacité de se déterminer. En cet instant, j'ai une pensée pour le général de Gaulle, qui nous invitait, il y a plus de quarante ans, à penser l'Europe élargie. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Et voici qu'elle est là, réalisée dans le cadre d'une Union qui, non contente d'avoir instauré la paix sur notre continent, a contribué à faire tomber le rideau de fer et à libérer nos frères européens. Vingt-sept nations volontairement et librement unies, sans un coup de feu, sans aucune contrainte, par la seule force d'un projet et d'un idéal communs : dans l'histoire humaine, aucune autre entreprise n'est comparable à celle-ci.

Mais cette entreprise ne peut prendre tout son sens que si elle s'inscrit dans un dessein politique. Cette conviction inspire la France depuis plus de cinquante ans. Ni l'intégration économique ni l'intégration financière ne suffiront à affronter le monde complexe, qui subit des ruptures soudaines, où l'Europe d'aujourd'hui doit choisir sa place. Ni sa richesse ni sa population ne protégeront l'Europe de ces fractures, nées de la démographie, de la course aux matières premières, des affrontements ethniques, des tensions religieuses, des déséquilibres environnementaux, qui affectent le globe. Permettez-moi de redire ici une conviction personnelle ancienne : plus ces fractures s'accuseront, plus la valeur d'un espace européen de stabilité, de concertation et de décision sera appréciée. Le futur de l'Union ne dépend plus que de sa capacité à définir et à projeter une vision politique originale.

L'Europe a déjà pu mesurer les bénéfices qu'une volonté concertée pouvait lui valoir. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, elle a réussi le prodige de rompre avec mille ans de conflits armés, de mobilisation permanente, d'affrontements sanglants. Avons-nous pris toute la mesure de ce succès ? Grâce à l'Europe, nous jouissons tous les jours, depuis soixante ans, de ce qui reste, pour tant de régions du monde, une utopie encore bien lointaine. Partout encore, des hommes et des femmes meurent en rêvant de ce qui est pour nous un acquis, une garantie, une évidence.

Dès l'origine, l'Europe a voulu se prémunir contre les crises économiques et monétaires qui avaient scandé la première moitié du XXe siècle. Elle a fondé sur ses politiques communes – agricole, industrielle, douanière – une prospérité durable, largement partagée au sein de son espace continental.

Aujourd'hui, avec le traité de Lisbonne, l'Europe retrouve le « droit de vouloir », le pouvoir de mettre sa puissance au service de ses priorités politiques. Politique commune de l'énergie et de l'environnement, politique étrangère et de défense commune, politique commune de justice et de sécurité, politique commune d'immigration et de codéveloppement, voilà les grands projets sur lesquels les Européens se rejoignent. Le traité de Lisbonne nous offre la possibilité de les concrétiser.

Ce qui se joue aussi, c'est notre capacité à promouvoir un modèle de société. Qu'on la nomme culture, héritage ou civilisation, une société européenne existe, dont l'essentiel à mes yeux est d'en sentir la force et le prix. Elle donne à nos parentés européennes leur évidence. Elle s'enracine dans un passé d'expériences et de lectures communes, et se nourrit des contacts permanents de nos patrimoines artistiques, philosophiques et moraux. Oui, moraux, car la civilisation européenne, c'est plus que l'évocation sentimentale de quelques monuments, textes et symboles partagés. C'est un répertoire de valeurs qui, aux frontières de l'Union, signent notre différence : l'humanisme, la tolérance, la liberté de conscience ; l'individu pris comme référence de toute justice ; l'État de droit, seul fondement légitime du pouvoir ; la reconnaissance d'un droit du travail et d'un droit au travail ; la prise en charge publique de la solidarité ; la considération accordée à la force du savoir et aux transmissions familiales et spirituelles ; la confiance placée dans la science, l'innovation industrielle et le progrès ; l'attachement au marché, cadre où se valorisent, par la libre concurrence, le capital et le talent.

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