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Intervention de Daniel Paul

Réunion du 30 janvier 2008 à 15h00
Nationalité des équipages de navires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Paul :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je l'ai déjà dit en défendant l'exception d'irrecevabilité, la position selon laquelle le vote de ce texte ne serait que raison pour éviter une défaite supplémentaire face à la Commission européenne est fort contestable.

En effet, le caractère permanent de l'exercice de prérogatives de puissance publique par le commandant de bord est facilement démontrable. Vous ne voulez pas le reconnaître et vous vous alignez, comme nous le disions tout à l'heure. Vous avez donc refusé de mener jusqu'au bout la bataille juridique, alors même que les enjeux de ce texte sont importants pour notre pays et pour sa marine marchande.

En effet, en introduisant la possibilité pour les armateurs d'embaucher des officiers non nationaux à bord de navires battant pavillon français, vous ne manquerez pas de créer des difficultés supplémentaires dans le secteur maritime, sans résoudre les problèmes de fond qui s'y posent.

Il s'agit d'abord d'enjeux de sécurité. Nous avions déjà évoqué cette question lors des débats relatifs au RIF : lorsque des difficultés surgissent, la bonne connaissance de la langue dans laquelle s'exprime l'équipage influe sur le niveau de sécurité à bord du navire.

Moi qui en ai eu la possibilité en tant que président de la commission d'enquête parlementaire sur l'affaire de l'Erika, je ne saurais trop vous conseiller d'écouter l'enregistrement de communications entre les CROSS et les navires en difficulté lors de tempêtes. C'est édifiant ! Il est clair que la mauvaise connaissance de la langue complique la situation le long de nos côtes, en particulier lorsque la situation est tendue ou dangereuse. Car la difficulté n'est évidemment pas la même lorsque la mer est calme ou lorsqu'elle est déchaînée au large d'Ouessant ou dans le détroit du Pas-de-Calais.

Aussi, pour communiquer avec l'équipage, qui reste encore composé d'un certain nombre de marins français, est-il préférable d'avoir à bord des commandants français. Un message délivré dans un anglais parfois aléatoire, parlé avec des accents divers, ne sera pas aussi clair qu'un échange entre des personnes parlant la même langue. Vous en êtes d'ailleurs suffisamment convaincus pour envisager, face au nombre insuffisant de marins et d'officiers, de créer des écoles de formation dans les pays du Maghreb afin, précisément, de contourner l'obstacle linguistique. Mais développez donc la filière maritime en France, monsieur le secrétaire d'État ! Avant de chercher à créer des écoles ailleurs, faites en sorte que les jeunes Français soient plus nombreux à s'orienter vers ces métiers, en améliorant la formation, les conditions de travail et la rémunération !

Les questions de sécurité touchent également d'autres domaines, notamment le contenu des lois nationales. Certes, le Sénat a adopté un amendement précisant que l'accès aux fonctions de commandement est subordonné à la possession de qualifications professionnelles et à la présentation d'un diplôme attestant d'une maîtrise de la langue française et de la possession de connaissances juridiques permettant la tenue des documents de bord et l'exercice des prérogatives de puissance publique dont le capitaine est investi. Mais nous serons vigilants quant au contenu du décret d'application de cette disposition, car l'enjeu est de taille. J'ajoute que la maîtrise du corpus juridique nécessaire ne sera sans doute pas aisée pour un non-national.

Mais les difficultés risquent de ne pas se cantonner à ces aspects linguistiques et juridiques. Ainsi, avec l'autorisation d'embauche de marins étrangers, un problème se profile, à long terme cette fois, celui de la pérennité de la filière d'encadrement du secteur maritime national. Alors même que celle-ci a prouvé sa fiabilité – dont témoigne notamment la reconnaissance à l'étranger de la qualité des commandants formés en France –, votre dispositif vient hypothéquer l'avenir d'un secteur déjà en difficulté. Selon un récent rapport international, la demande en officiers et marins qualifiés excède aujourd'hui largement l'offre au niveau mondial. Les dernières estimations de la Fédération internationale des armateurs du commerce maritime mondial font ainsi état d'un manque de 10 000 officiers en 2005, dont au moins 600 pour la France et 4 000 pour l'Europe.

Vous vous êtes félicité des vertus de votre texte, censé résoudre les problèmes d'embauche de la filière. Mais l'analyse est courte. En effet, le ver a été introduit dans le fruit avec l'adoption de la loi sur le RIF, qui a très probablement adressé un message négatif quant au développement de l'emploi des marins français – je dis « probablement » car nous ne disposons, à l'heure actuelle, d'aucune évaluation précise des effets de cette loi, contrairement à ce qui avait été promis par votre prédécesseur.

Ainsi que le rappelait Jean Gaubert, il devient habituel, avec la droite, de légiférer sans évaluation sérieuse des mesures votées. Vous parlez d'évaluation des politiques publiques, mais vous faites preuve d'un activisme parlementaire qui ignore les conditions d'une action publique réfléchie et prudente, qu'il s'agisse du secteur de l'énergie ou de la législation sur la nationalité, où les textes se succèdent et corrigent les erreurs des précédents.

L'autorisation du recours à la main-d'oeuvre étrangère dans le cadre du RIF a substantiellement diminué le réservoir de candidats aux postes d'officiers, et la situation ne fait que s'aggraver. En effet, pour occuper le poste de capitaine, il est nécessaire d'avoir acquis pendant de nombreuses années une expérience dans des fonctions intermédiaires. La loi sur le RIF, censée résoudre les problèmes de la flotte française, a soigneusement évité le problème de l'avenir de la main-d'oeuvre nationale en permettant aux armateurs d'embaucher des marins moins « coûteux ». Ainsi peut-on lire, dans la Revue maritime de septembre 2003, que le recrutement de substitution, que vous entérinez avec ce texte risque de faire diminuer la demande de marins en provenance de l'OCDE, menaçant par là même l'avenir des écoles d'enseignement maritime en Europe.

Or vous indiquez que la flotte française a gagné des unités grâce au RIF. Près de 250 navires, nous dit-on, seraient inscrits à ce registre.

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