On a cherché des fenêtres de tir, comme disent les militaires, c'est-à-dire des moments où les marins étaient moins mobilisés, où il n'y avait pas d'élections, notamment régionales, ce qui ne vous a d'ailleurs pas empêché de perdre du terrain. Bref, vous avez reporté l'examen du texte. Celui-ci n'est ni plus ni moins malmené que beaucoup de ceux qui arrivent devant nous. Je l'ai dit il y a quelques semaines à propos d'un énième projet de loi qu'on nous présentait sur l'énergie.
Je pourrais aussi évoquer les lois relatives à la sécurité, ou celles sur l'immigration. Au passage, je remarquerai que l'orateur qui m'a précédé à la tribune, et qui a fait de ce dernier sujet son dada, défend une position à géométrie variable selon que ceux qui veulent entrer en France sont riches ou misérables.
Les textes concernant la consommation ou les grandes surfaces subissent le même sort que celui relatif à l'énergie : ils vont et viennent. La majorité les vote – pas nous –, puis ils doivent être revus et corrigés. Aujourd'hui, nous en sommes précisément à ce stade : ce projet de loi constitue un amendement à la loi du 3 mai 2005 relative à la création du Registre international français.
Au moins pensions-nous, à l'occasion de l'examen de ce texte, bénéficier de certaines informations. Vous nous en avez certes fournies, monsieur le secrétaire d'État, mais je me trouve dans l'obligation de noter qu'elles sont plus ou moins contradictoires avec des chiffres que donne le rapporteur. Vous deviez nous présenter un rapport à la fin du mois de mars 2007 ; l'aurons-nous pour la fin du mois de mars 2008 ? Ce document devait nous fournir des chiffres fiables, sur le nombre de bateaux immatriculés, les tonnages, les transferts du pavillon TAAF – transferts dont on ne peut se contenter car ils n'apportent pas de réelle « valeur ajoutée » au territoire national. Nous n'avons aucunes de ces informations que nous sommes en droit d'exiger, monsieur le secrétaire d'État, puisque François Goulard, votre successeur et prédécesseur, nous les avait promises. Nous sommes aujourd'hui contraints d'entendre se succéder des discours présentant des données contradictoires qui ne nous sont d'aucun intérêt.
Une partie de la loi votée en 2005 est donc de retour à l'Assemblée nationale en raison de ses dispositions concernant la réserve de nationalité. Cette question avait pourtant été largement soulevée à l'époque, en particulier par nous. En effet, aujourd'hui, vous invoquez comme motif, pour modifier la loi de 2005, une jurisprudence française de 2004 ! J'ai déjà dit ce que je pensais de cette jurisprudence mais, en tout état de cause, elle est antérieure à la loi. Pourtant, en 2005, M. Besselat nous expliquait que la jurisprudence n'était pas la loi, que nous pouvions passer outre et que mieux valait modifier la loi.
Les instances européennes ne l'ont pas entendu ainsi, mais nous le savions et vous le saviez. La libre circulation des personnes et des biens n'avait pas été inventée en 2005, elle est inscrite dans l'ensemble des traités adoptés par vous, et souvent par moi. À partir du moment où nous avons adopté des traités, il est préférable de les appliquer, ce que vous n'avez pas voulu faire en 2005.
Je trouve tout à fait anormal qu'aujourd'hui les institutions européennes soient mises en cause. Elles nous pressent, dites-vous ; elles feraient presque du chantage en utilisant le GIE le fiscal. Non ! Monsieur le secrétaire d'État, les institutions européennes se contentent en réalité de vous rappeler aux décisions que vous avez prises, que nous avons prises. Bon sang ! Soyons cohérents ! Cessons de tenir un discours à Paris et une autre à Bruxelles ; ne continuons pas à vouloir, en même temps, promouvoir la belle idée européenne et, chaque fois que nous avons une difficulté, à dire : « C'est à cause de l'Europe ! »
Nous aurons d'autres débats sur le sujet, mais la défense de l'idée européenne à laquelle je crois – je pense sans doute à une Europe un peu différente de celle qui se construit aujourd'hui – passe aussi par l'esprit de conséquence des responsables politiques français, et ni vous, ni les promoteurs de ce texte n'en font preuve.
Par ailleurs, pourquoi faire croire qu'il y aurait un chantage au GIE fiscal ? Vous savez vous-même que les difficultés sont déjà si nombreuses sur cette question qu'il serait vain de la part des institutions européennes d'en faire un objet de chantage. Beaucoup de travail reste à faire pour rendre ce GIE fiscal euro-compatible, et vous en avez déjà accompli une part. Mais, de grâce, ne continuez pas les uns et les autres, et je m'adresse à ceux qui croient à la construction européenne, à avoir une attitude à Bruxelles et une autre à Paris !
La modification apportée par le projet de loi que nous examinons est d'autant plus facile à accepter que chacun a constaté la pénurie, sur notre territoire, de capitaines et de seconds. Les chiffres ont été cités, je n'y reviendrai pas. Mais nous pouvons nous interroger sur les moyens qui ont été employés pour pallier cette difficulté. Voilà six ans que vous êtes au pouvoir et nous savons que, ces dernières années, les écoles de la marine marchande n'ont pas été les mieux dotées. Je reconnais que la situation antérieure n'était pas plus favorable mais, après six ans, votre responsabilité est bien en jeu. Nous ne pouvons nous contenter de constater la pénurie, il faut aussi reconnaître l'imprudence d'une politique qui n'a pas su anticiper sur l'avenir.
La véritable question posée aujourd'hui est non pas celle de la nationalité des capitaines, mais celle de leur statut social. Nous avions déjà abordé le problème en 2005. Après tout, nous sommes heureux, nous aussi, de voir des Français obtenir un contrat de travail dans un autre pays de l'Union européenne, quel que soit le secteur d'activité. En réalité, nous savons que le dumping social ne se joue pas sur la nationalité, mais sur le statut social de ceux qui sont embauchés. Quand, dans ma circonscription, l'armateur de pêche que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'État, et qui a beaucoup souffert il y a quelques semaines, embauche des Polonais, des Portugais ou d'autres ressortissants européens, je me réjouis parce que je sais qu'il les paie exactement de la même façon que les Français. La difficulté est là, et j'aurais aimé aller plus loin avec ce projet de loi. L'article 40 de la Constitution nous a été opposé, à mon avis à tort, alors que je souhaitais qu'à côté de notre ouverture sur la question de la nationalité, nous puissions rester très fermes sur le statut social et les conditions de rémunération. Sur ce point, il n'y a aucune avancée, aucune précision alors que c'est là que se situe le dumping !