En effet, ce recours en manquement introduit par la Commission européenne fait peser sur la France la menace d'une condamnation par la Cour de justice des Communautés européennes ! Il convient donc d'écarter ce risque. Voici deux raisons tendant à vous le prouver :
D'une part, la navigation sous pavillon français n'est pas contradictoire avec la présence à bord d'officiers étrangers ;
D'autre part, dans le contexte de la présidence française de l'Union européenne, ne vous paraît-il pas surprenant de s'opposer à une mesure qui vise à favoriser un développement harmonieux, équilibré et durable des relations et activités économiques à l'échelle européenne ?
J'entends déjà les arguments s'appuyant sur la nationalité française, sur le fait que les pouvoirs conférés au capitaine ou à son second en qualité d'officier ministériel et d'officier d'état civil restent des prérogatives de puissance publique, sur la question de la langue et du lien navire-État, etc.
Permettez-moi de vous faire part de quelques réflexions.
Au-delà des aspects juridiques et de souveraineté, il convient de garder à l'esprit ce que représente notre marine marchande en termes d'activité économique, d'emplois et de mise en valeur. Comme l'a rappelé Charles Revet, rapporteur du projet de loi au Sénat, la France, « dotée du troisième domaine maritime mondial et de 5 000 kilomètres de côtes, dont la Manche, » – qui constitue le passage le plus fréquenté du monde – « a une responsabilité particulière » en matière de valorisation et de maintien de la filière maritime.
Or, on ne peut nier l'état des lieux actuel : les armateurs de nos navires ont de graves difficultés à recruter des officiers français, tandis que nos écoles de marine marchande connaissent une crise des vocations. Les conséquences en sont un « dépavillonnement » forcé de certains navires, qui ne trouvent plus de capitaines français.
Ainsi, les trois premiers articles du projet de loi viennent contourner ce problème et tendent à le résoudre en partie, puisqu'ils ouvrent l'accès aux fonctions de capitaine et de second sur l'ensemble des navires immatriculés sous pavillon français aux ressortissants de la Communauté européenne, de l'Espace économique européen et de la Confédération suisse.
Cet accès est subordonné à certaines conditions : la maîtrise de connaissances linguistiques indispensables à la tenue des documents de bord et à l'exercice des prérogatives de puissance publique, ces connaissances étant bien évidemment contrôlées.
Concernant les prérogatives du capitaine, ce dernier n'est en aucun cas officier de police judiciaire ou encore juge d'instruction. Une nationalité étrangère n'apportera donc pas de changements significatifs de ses fonctions. De plus, les décisions prises en matière de surveillance et de sécurité ne sont pas de nature à justifier le maintien de la réserve de nationalité.
Enfin, et j'espère ainsi pouvoir apaiser l'esprit échauffé de certains ici, le lien entre marine marchande et défense nationale est indirect : un capitaine de la marine marchande n'est en aucun cas collaborateur actif de la marine nationale. De toute façon, un commandant étranger ne peut-il pas déjà recevoir l'habilitation au secret défense ?
L'article 4 du projet de loi redéfinit et encadre les pouvoirs du capitaine en matière de mesures de sécurité et d'enquêtes. Ainsi, celui-ci devra désormais recueillir l'accord du procureur pour mettre en détention une personne à bord du navire si la préservation du navire, de sa cargaison ou la sécurité des personnes se trouve mise en péril.
Revenons aux conditions d'accès aux postes de capitaine ou de second pour les ressortissants européens. Au-delà des connaissances linguistiques, le Sénat a adopté un amendement visant à intégrer, parmi les exigences requises, des connaissances juridiques en matière civile et pénale. L'ensemble de ces compétences sera sanctionné d'un diplôme.
Pour finir, permettez-moi de répondre à l'argument selon lequel permettre l'accès, sur des pavillons français, aux fonctions de capitaine et de second aux ressortissants étrangers de la Communauté européenne risque de pousser les jeunes de notre pays au désengagement ou au découragement.