…cette pénurie n'est pas propre à la France : elle est européenne et même mondiale. Elle est contemporaine et ne fera que s'aggraver si aucune disposition significative n'est adoptée. Or ce texte n'en comporte pas. Selon l'International Shipowner Federation, les offres d'emplois d'officiers et de marins qualifiés non pourvues représentent environ 2 % des effectifs mondiaux, soit 10 000 officiers, dont 4 000 en Europe et 600 en France. Ce véritable problème de fond contribue à expliquer le dépavillonnement et le recours des armateurs à une main-d'oeuvre étrangère.
Nous savons, monsieur le secrétaire d'État, qu'en matière de formation professionnelle maritime, il est urgent d'agir. À cet égard, je rejoins ce qui a été dit tout à l'heure. Au niveau de l'enseignement supérieur, le statut et le mode de fonctionnement des quatre écoles nationales de la marine marchande sont inchangés depuis 1958, alors que les professions ont beaucoup évolué. Le Conseil supérieur de la marine marchande a d'ailleurs demandé que l'enseignement soit modernisé et mieux adapté à la problématique de l'emploi dans le milieu maritime. La profession a, je le cite, « besoin d'un enseignement supérieur moderne, réactif et du meilleur niveau, ouvert sur l'ensemble des métiers maritimes et à l'international, cultivant les partenariats avec son environnement pour créer les synergies performantes ». De l'aveu même des professionnels, la dispersion en quatre écoles, de surcroît de petite taille, leur fonctionnement et leur financement les rendent plus proches d'un lycée que d'une école supérieure.
En outre, l'absence de politique maritime et d'ambition pour la formation conduit souvent à un déséquilibre entre filières professionnelles. Il est fréquent que des patrons, des capitaines ou lieutenants de pêche, au terme de plusieurs années de travail pénible, bifurquent vers la filière « pont commerce », qui bénéficie ainsi de leur expérience et de leurs qualités professionnelles d'officier maritime de pêche, accentuant ainsi la carence rencontrée par la filière pêche !
Par ailleurs, comment ne pas évoquer, ici, puisque l'occasion m'en est donnée, la très forte crainte éprouvée au sein des lycées maritimes ? Cette inquiétude est d'ailleurs nourrie par de récentes et régulières rumeurs qui jettent le doute sur l'autorité de tutelle des personnels des services chargés des questions maritimes. De même, les lycées maritimes sont souvent les délaissés du système éducatif. Il paraît indispensable de mettre un accent particulier sur l'information au sein des établissements scolaires et des CIO, notamment sur la filière maritime complète – du CAP au baccalauréat professionnel –, voie privilégiée pour la formation de futurs officiers et capitaines.
Pour se convaincre du peu de cas réservé à cette question centrale qu'est la formation, il suffit de voir le sort qui a été réservé à l'article 6 de la loi RIF. Cet article prévoit, en effet, que, pour promouvoir la filière nationale de formation maritime, chaque armateur assure la formation embarquée nécessaire au renouvellement des effectifs. L'article 6 précise, par ailleurs, qu'une convention ou un accord de branche détermine, pour les navires enregistrés au RIF, les conditions d'embarquement sur des postes de lieutenant des élèves officiers des écoles de marine marchande, la programmation des embarquements et les conditions de formation. À défaut de conclusion de convention ou d'accord avant le 1er janvier 2006, un arrêté devait fixer les modalités d'application de ces dispositions. Or ni la convention, ni l'arrêté n'ont été pris et, faute de dispositif contraignant, cet article a été vidé de toute substance.
De plus, la nécessité de renforcer significativement la formation des marins qui naviguent est aussi indispensable à la sécurité maritime de notre pays, notamment celles des côtes de la Manche et de l'Atlantique, particulièrement exposées aux risques. Je rappellerai la position de l'Association française du droit maritime, qui considère que renforcer le lien unissant le navire à l'État dont il relève, dont la nationalité du capitaine est un élément, n'est pas seulement une problématique purement juridique, mais « est surtout une condition de la sécurité entendue au sens le plus large ».
Les dispositions contenues dans le texte ne sauraient faciliter l'application des normes de sûreté du code ISPS et la collaboration traditionnelle entre marine marchande et marine nationale. On ne peut qu'être dubitatif devant le système mis en place par le texte qui, certes, vise à éviter toute contrariété juridique entre l'existence de prérogatives de puissance publique et la présence d'un capitaine et d'un second de nationalité extranationale, mais qui, dans les faits, a peu de chance d'être véritablement effectif et efficace. Un capitaine de navire devra, en cas de menace pour la sécurité du navire, de son équipage, éventuellement par gros temps, au milieu d'un océan à l'autre bout du monde, attendre l'autorisation du procureur de la République – dont on sait qu'on en a toujours un sous la main, facile à joindre à tout moment de la journée ou de la nuit – pour prendre des mesures d'urgence !