…une décision de la CJCE condamnant le maintien d'une clause de nationalité pour les marins comme étant contraire à l'article 48 du Traité de Rome. Mais en 1996, le législateur réserve le cas du capitaine et de l'officier en second en justifiant la dérogation à l'article 39, paragraphe 4, du traité CE, réaffirmant que l'absence à bord d'un capitaine ou d'un second de nationalité française constitue une infraction pénale réprimée par l'article 69 du CDPM. Ce fut encore le cas lors de l'adoption de la loi relative au RIF.
Contrairement à ce que certains prétendent, la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes n'a pas été d'une grande linéarité. Dans un arrêt du 1er décembre 1993 – Commission contre Belgique – la Cour affirme : « En laissant subsister dans sa législation des dispositions en vertu desquelles certains emplois de marins autres que celui de capitaine et de second, sont réservés aux ressortissants belges, le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 48 du Traité. »
A contrario, la clause de nationalité est confirmée pour les postes de capitaine et de second. Les juridictions internes n'ont d'ailleurs pas eu d'autre interprétation jusqu'en 2004.
Il a été fait référence aux arrêts Anker et Anave du 30 septembre 2003. Mais qu'a dit à cette occasion la Cour de justice des communautés européennes ? Elle n'a fait que confirmer la légalité d'une réserve de nationalité pour les fonctions de capitaine et de second, en la conditionnant toutefois à l'exercice habituel de prérogatives de puissance publique, dès lors que celles-ci ne représentent pas une part très réduite de leur activité.
Mais la Cour de cassation, dans un arrêt du 23 juin 2004, a retenu une interprétation très large de la position de la CJCE. Elle a considéré que l'exigence de nationalité française d'un capitaine n'était pas conforme au droit communautaire, sans reprendre la condition relative à l'exercice habituel de prérogatives de puissance publique ni tenir compte de la part qu'elles doivent prendre dans l'activité du capitaine et du second. Le juge français, sur la position duquel vous nous demandez aujourd'hui de nous aligner, a ainsi retenu une interprétation plus exigeante que celle de la CJCE, qui ne laisse plus aucune marge d'appréciation quant à l'intensité des prérogatives exercées ou à la nature de la navigation maritime concernée. Quoi que l'on puisse en dire, l'incertitude juridique perdure, et un recours préjudiciel auprès de la CJCE aurait eu le mérite d'y mettre fin. Car là où certains y voient une obligation née de la jurisprudence européenne, la proposition d'évolution législative qui nous est aujourd'hui soumise n'est finalement due qu'à l'interprétation extensive d'un juge national. Bref, sous prétexte d'interprétation, la Cour veut se substituer au pouvoir normatif. Mais adapter notre législation à ses revirements jurisprudentiels, ce serait ôter au Parlement la réalité de ses pouvoirs !
D'ailleurs, lorsqu'elle met la France en demeure de se conformer à l'article 39 du traité CE, la Commission ne dit pas autre chose que la CJCE : à ses yeux, en effet, la réserve de nationalité n'est applicable que lorsque les capitaines et seconds de navires exercent de façon effective et habituelle des prérogatives de puissance publique et que celles-ci ne représentent pas une part réduite de leur activité.
S'en est suivi, pendant quatre années, des échanges entre les autorités françaises et la Commission. Devant l'absence prolongée de réforme, cette dernière a introduit, sur le fondement de l'article 226 CE, une requête en manquement devant la CJCE qui risque fort de se conclure par une condamnation de la France.
Pour autant, les missions confiées au capitaine n'ont pas changé ; elles relèvent bien, pour certaines d'entre elles, de prérogatives de puissance publique liée à l'exercice de la souveraineté nationale. Le commandant de navire bénéficie en effet d'un certain nombre de prérogatives régaliennes justifiant, dans certains cas, la clause de nationalité. Sur ce point, monsieur le rapporteur, je vous ai bien entendu.
Est-il nécessaire de le rappeler ? Le capitaine est représentant de l'État à bord et exerce à ce titre non seulement des fonctions d'officier d'état civil, mais aussi d'officier de police judiciaire. C'est pourquoi on ne saurait dissocier la loi applicable au pavillon de la nationalité du commandant, au nom du lien juridique qui existe entre le navire et l'État. Les textes de droit interne – et même les plus récents, notamment le décret du 28 mars 2007 sur les plans de sûreté des navires – ne retiennent pas d'autre conception.
Par ailleurs, le capitaine d'un navire battant pavillon français se trouve titulaire de pouvoirs importants dans le cadre de ses missions de sûreté et de sécurité. Le décret auquel je viens de faire référence, mais aussi différents articles du code disciplinaire et pénal donnent notamment au capitaine, en tant qu'officier de police judiciaire, le pouvoir de prendre des sanctions pénales ou d'ouvrir toute information à l'égard de crimes et de délits commis à bord. Confier pareils pouvoirs à des navigants étrangers, même membres de l'Union, poserait des problèmes juridiques évidents.
En outre, la responsabilité d'un capitaine est de plus en plus importante : elle concerne tant la préservation de l'environnement et les mesures qui y sont liées que la sûreté et la sécurité du navire ou les conditions de travail. De même, la nécessité de lutter contre la piraterie, les trafics illicites ou le terrorisme a amené l'OMI à adopter le code ISPS. Le décret du 15 mai 2007 a pour sa part renforcé les obligations exercées à bord d'un navire par le capitaine. Il ne s'agit donc pas de prérogatives exercées sporadiquement, étrangères à la mission fondamentale du capitaine ou de son second. Enfin, le décret relatif à la sûreté des navires en mer et au port contient nombre de mesures préventives pour assurer la sûreté des navires et des installations portuaires. Il permet même au capitaine de refuser d'embarquer des passagers ou leurs effets ainsi que les marchandises. Si nous suivons votre raisonnement, le maire d'une petite commune qui ne prononce qu'un petit nombre de mariages n'est officier d'état civil que par intermittence ! Cela n'a pas beaucoup de sens.
Si nous avons décidé de poser cette question préalable, c'est bien parce que loin de régler un problème juridique, le texte que vous nous soumettez ne fait que l'aggraver. Au nom d'une sorte de principe de précaution appliqué à l'inconstitutionnalité, vous mettez sur pied une procédure étonnante à laquelle, j'espère, aucun commandant de navire ne devra se soumettre.
Vous laissez entier le problème de constitutionnalité tout en essayant de le contourner. Par ce texte, vous généralisez la possibilité – voire l'obligation –, pour des ressortissants non français, d'exercer des prérogatives régaliennes. Or, vous le savez, le Conseil d'État a déjà eu à se prononcer sur cette question. Dans un avis du 25 novembre 2004, prenant appui sur le principe ayant valeur constitutionnelle selon lequel la défense de l'ordre public et la protection des libertés relèvent des seules autorités nationales, il a conclu qu'un acte de police, dès lors qu'il implique l'usage de la contrainte et qu'il est susceptible de conduire à une privation de liberté, relève de l'exercice des conditions essentielles de souveraineté nationale.
Nous regrettons qu'en dépit du retard pris par ce texte le Gouvernement n'ait pas eu l'occasion de soumettre au Parlement un véritable plan d'avenir pour la filière maritime. Conçu pour assurer l'eurocompatibilité des dispositions relatives à la nationalité des équipages et notamment des fonctions de capitaine et de second de navire, ce projet de loi ne règle malheureusement pas les questions connexes, et pourtant si importantes, comme celle de la formation professionnelle maritime. Il risque même d'aller à l'encontre des attentes formulées en ce domaine. Plus grave, il ne répond qu'imparfaitement aux exigences de la sécurité maritime, voire renforce les risques.
Mais, avant d'aborder ces différents points, je tiens tout d'abord à revenir sur ce qui, finalement, n'est aujourd'hui que le prolongement du Registre international français adopté le 3 mai 2005. Que ne nous a-t-il pas été promis, à l'occasion des discussions sur le RIF, pour légitimer la libéralisation à outrance des règles du pavillon français ?
À cette époque, plutôt que de réformer de façon ambitieuse le registre existant, le Gouvernement n'a pas hésité à créer un pavillon dégradé. Sous prétexte d'améliorer la compétitivité, de concurrencer les autres registres internationaux et de combattre les pratiques d'immatriculation sous des pavillons de complaisance, le texte RIF, en simplifiant les règles internes, a en fait permit de s'affranchir des dispositions protectrices de la législation française. Le Registre international français permet en effet d'embaucher des navigants non nationaux et d'avoir recours à l'intermédiaire de société de manning, véritables sociétés de marchandisation de main-d'oeuvre, en les faisant échapper à la législation française. Ce dumping social permet, dans un navire battant pavillon français, d'appliquer non la loi unique du pavillon mais deux droits différents : celui applicable aux navigants résidant en France et celui des navigants résidant hors de France. Avec le RIF, on a tiré vers le bas les dispositions de protection sociale, puisque les navigants extra-communautaires ne pourront bénéficier que des minima prévus par les conventions de l'OIT.
S'il faut agir, s'adapter, nous ne pouvons pour autant accepter de nous engager dans la voie, que nous dénonçons par ailleurs, du pavillon de complaisance et du dumping social. Or le Gouvernement, reprenant la logique qui inspirait la loi RIF, favorise le moins-disant social à coups d'exonérations fiscales ou sociales. Nous avons présenté des amendements visant à permettre à tous les salariés d'un navire battant pavillon français de jouir des mêmes protections en termes de salaire et de protection sociale. Ces amendements vont probablement être déclarés irrecevables – ce qui est tout à fait contestable, et mon collègue Gaubert y reviendra dans quelques instants. Nous ne pourrons pourtant pas voter ce texte s'ils ne sont pas adoptés.
Nous aurions par ailleurs été curieux de prendre connaissance du rapport d'évaluation qui, en vertu de l'article 35 de la loi sur le RIF, aurait dû être publié avant le 31 mars 2007. Je conçois que la période actuelle ne soit pas des plus favorables, mais près d'un an après cette date, nous ne voyons toujours rien venir… Or, contrairement à ce qui nous fut soutenu à l'époque, le RIF semble ne pas être l'instrument miracle susceptible de maintenir la filière maritime française. Il s'est même illustré en étant considéré comme un pavillon de complaisance par l'ITF, la Fédération internationale des ouvriers du transport ! Par ailleurs, il semble que l'agrément du GIE fiscal prévu par le RIF n'ait toujours pas été délivré par la Commission.