Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 4 juillet 2005 réforme le régime de la filiation. Cette ordonnance résulte de la loi du 9 décembre 2004 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit par voie d'ordonnance. Le projet de loi restructure le titre VII, « De la filiation », du Livre premier du code civil, dont il bouleverse le plan et la numérotation. Il est le fruit d'un important travail de clarification, de mise en cohérence avec les diverses réformes récentes – autorité parentale, nom de famille – et de simplification, puisque le nombre d'articles est réduit de moitié et certaines notions sont redéfinies.
Ce projet de loi, qui a été adopté par le Sénat avec quelques modifications, prend en compte : l'évolution sociologique – le nombre de naissances hors mariage rejoint actuellement celui des enfants nés de parents mariés –, la place plus importante de la vérité biologique – aujourd'hui plus facilement accessible, notamment pour ce qui concerne l'établissement de la paternité, laquelle reposait jusqu'ici sur une présomption – et l'évolution du droit interne et du droit européen, qui rend inacceptable que le statut de l'enfant soit dépendant de la situation matrimoniale des parents.
Le projet de loi tire ainsi les conséquences de l'égalité de statut entre les enfants, quelles que soient les conditions de leur naissance. Il vise également à unifier les conditions d'établissement de la filiation maternelle, à harmoniser le régime procédural de l'établissement judiciaire de la filiation et précise les conditions de constatation de la possession d'état, laquelle consiste, je le rappelle, à réunir suffisamment de faits établis, tangibles, indiquant qu'un enfant peut être rattaché à tel père ou telle mère. Cette possession d'état doit être continue, « paisible, publique et non équivoque ». Le texte vise par ailleurs à sécuriser le lien de filiation, à préserver l'enfant des conflits de filiation, à simplifier et à harmoniser le régime des actions en contestation de maternité et de paternité.
J'en viens maintenant aux principales évolutions du droit de la filiation.
Tout d'abord, la distinction juridique entre enfants légitimes et naturels est supprimée. La distinction entre ces deux types de filiation, présente dans le code civil depuis 1804, avait en effet perdu toute portée. Désormais, tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun d'eux, ainsi que le précise le nouvel article 310 du code civil.
Ensuite, les règles de dévolution du nom de famille sont simplifiées. L'ordonnance reprend les règles issues de la loi du 4 mars 2002, modifiée par la loi du 18 juin 2003. Quand la filiation est établie à l'égard des deux parents, les pères et mères choisissent le nom de leur enfant : celui du père, celui de la mère ou les deux.
J'ajoute que les sénateurs ont autorisé le changement de nom de famille des enfants nés avant le 1er janvier 2005 et encore mineurs à la date de la ratification de l'ordonnance.
Par ailleurs, je rappelle que l'article 310-1 fixe les quatre modes d'établissement de la filiation : par l'effet de la loi, par reconnaissance, par la possession d'état et par jugement.
En ce qui concerne l'établissement de la filiation par l'effet de la loi, le texte unifie les conditions d'établissement de la filiation maternelle et maintient la présomption de paternité du mari. L'indication du nom de la mère dans l'acte de naissance de l'enfant établit la filiation à son égard. La mère de l'enfant né hors mariage, dont le nom est indiqué dans l'acte de naissance, bénéficie de plein droit de l'autorité parentale. Par ailleurs, l'ordonnance reprend les deux hypothèses où la présomption de paternité est écartée : quand l'enfant a été conçu en période de séparation légale des époux et quand il y a séparation de fait entre ces derniers.
En ce qui concerne l'établissement de la filiation par la reconnaissance, l'ordonnance du 4 juillet 2005 consacre la pratique des reconnaissances prénatales, maintient l'exigence d'un acte authentique et rappelle que la reconnaissance n'établit la filiation qu'à l'égard de son auteur.
S'agissant de l'établissement de la filiation par la possession d'état, la loi du 3 janvier 1972 avait ouvert la possibilité d'apporter la preuve de la possession d'état, en dehors de toute action judiciaire, par un acte de notoriété. Dans un souci de sécurité juridique, l'ordonnance du 4 juillet 2005 a transformé cette faculté en une obligation.
L'ordonnance apporte également deux innovations. Elle précise en effet que l'acte de notoriété doit être demandé dans les cinq ans suivant la cessation de la possession d'état alléguée et elle envisage expressément le cas où le décès du parent prétendu est survenu avant la déclaration de naissance.
Enfin, le nouveau régime des actions en justice relatives à la filiation comporte deux innovations principales. La première consiste à chercher à prévenir les conflits de filiation. La seconde est la réduction du délai de prescription de droit commun des actions relatives à la filiation, qui passe de trente à dix ans à compter du « jour où la personne a été privée de l'état qu'elle réclame ou a commencé à jouir de l'état qui lui est contesté ».
Les sénateurs ont précisé le point de départ des délais pendant lesquels la possession d'état d'un enfant peut être constatée ou contestée. Je ne m'attarderai pas sur les actions en contestation de la filiation.
Madame la secrétaire d'État, la réforme opérée par l'ordonnance du 4 juillet et son adoption par le Sénat constituent, pour l'ensemble des députés du Nouveau Centre, qui vous apportent tout leur soutien, une avancée certaine, notamment en faveur de l'égalité des enfants, indépendamment de la situation matrimoniale de leurs parents. Toutefois, certains considèrent qu'elle ne va pas assez loin.
À ce propos, je souhaite réagir, à titre personnel et sans engager mon groupe, aux propos du rapporteur concernant le maintien de la possibilité pour la mère d'accoucher sous X, afin de conserver le secret de son identité lors de l'accouchement.
Les sénateurs ont supprimé la fin de non-recevoir de l'action en recherche de maternité tenant à la décision de la mère d'accoucher sous X. Depuis la loi du 8 janvier 1993, le juge devait rejeter systématiquement une action en recherche de maternité si une demande d'établissement forcé de la filiation maternelle lui était présentée. La suppression votée par les sénateurs ne remet pas en cause la possibilité pour la mère de demander la préservation du secret de son admission à la maternité et de son identité, garantie par l'article 325 du code civil. Elle permet uniquement à l'enfant d'engager une action en recherche de maternité, dont on sait très bien qu'en l'état actuel des choses, elle aura peu de chances d'aboutir.
C'est pourquoi, à titre personnel, je ferai référence à la proposition de loi n°3790 que j'ai déposée sur le bureau de l'Assemblée le 27 mars 2007. Je considère en effet que l'un des premiers droits de l'homme est le droit à connaître ses origines. Le secret des origines peut constituer la source d'une souffrance pesant tout une vie durant. En l'état, la loi n'est pas satisfaisante, car elle ne répond pas aux attentes de nombreuses personnes en quête de la connaissance de leurs origines. Comme vous y avez fait allusion, monsieur le rapporteur, notre droit contrevient à la convention internationale relative aux droits de l'enfant, qui reconnaît à celui-ci le droit de connaître ses parents.
Au-delà de cette discussion sur la modification du droit de la filiation, je souhaite que l'on ne referme pas les débats sur cette question humainement très sensible consistant à trouver comment concilier les intérêts de la mère avec la possibilité de remédier aux souffrances que certaines personnes ressentent toute leur vie du fait de ne pas connaître leurs origines.
Dans la mesure où vous représentez aujourd'hui Mme la garde des sceaux devant notre assemblée, je vous demande, madame la secrétaire d'État, de faire en sorte que nous puissions, après l'adoption de ce projet de loi, continuer à réfléchir dans le cadre d'une commission élargie sur cette question comportant des enjeux qui peuvent paraître contradictoires. Il me semble que, au-delà des clivages, nous devrions pouvoir, après avoir procédé aux consultations et aux auditions nécessaires, apporter certaines améliorations au dispositif législatif en vigueur. En tout état de cause, les députés du Nouveau Centre qui m'ont demandé d'intervenir à cette tribune vous apporteront leur soutien.