Jusqu'à ce jour, même un accord entre l'ensemble des organisations syndicales – situation théorique – et une entreprise de transports publics qui restreindrait, fût-ce partiellement, l'exercice du droit de grève, n'aurait aucune validité.
D'autre part, toute réglementation du droit de grève doit satisfaire une forte exigence de proportionnalité, la restriction apportée au droit de grève devant être effectivement susceptible de préserver la continuité du service. La pondération dans la mise en cause du droit de grève, ainsi que le souci d'adapter la réglementation aux réalités environnantes – lieu, état des rapports sociaux au moment considéré, état des techniques – conditionnent ainsi la conformité du système aux principes constitutionnels. On pourrait par exemple estimer que le service minimum doit s'appliquer à 100 %, trois heures le matin et trois heures en début de soirée, pour que les usagers puissent se rendre sur leur lieu de travail et en revenir. Mais ce n'est pas la proposition qui nous est faite aujourd'hui.
C'est le juge constitutionnel, et lui seul, qui apprécierait par rapport à un service quotidien normal de dix-neuf heures, et en fonction du trafic tout au long de la journée, si l'exigence de proportionnalité est respectée ou non.
Enfin, le principe de la libre administration des collectivités territoriales est aujourd'hui appelé, lui aussi, à être intégré à la conciliation qu'exige la Constitution. Le caractère décentralisé de la France d'aujourd'hui nécessite qu'une part importante du pouvoir d'aménagement du droit de grève soit exercée par les autorités locales en vertu de la loi. Ainsi, selon les termes du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution, la loi est indispensable pour régir au plan national le fonctionnement des services de transports locaux, même si la mesure concernée ne met aucunement en cause le droit de grève. La contrainte vient ici de ce que les transports publics de personnes sont, pour une très large part, des transports locaux, et que l'organisation des services publics locaux relève par principe du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Mais il est loisible au législateur, et à lui seul, de statuer sur une question relevant en valeur absolue de l'échelon local. De même, il lui revient exclusivement de permettre qu'une telle question soit réglementée – ou le cas échéant, conventionnellement élaborée – par d'autres que lui.
En ce qui concerne le renvoi à des accords collectifs, le législateur est, selon une récente décision du Conseil constitutionnel du 29 avril 2004, dans l'obligation d'exercer pleinement les pouvoirs que lui confie la Constitution ; il lui est donc interdit de déléguer ou d'abandonner à d'autres des compétences normatives qui n'appartiennent qu'à lui. Ainsi, la place potentiellement laissée à l'accord collectif pour compléter les dispositions de la loi n'est pas illimitée.
Au regard des compétences et des limites fixées par la Constitution et la jurisprudence, comment se présente le projet de loi soumis par le Gouvernement ? Votre texte, monsieur le ministre, vous l'avez rappelé, comporte deux dispositifs. L'un concerne, en amont, la prévention du conflit, l'autre consiste, en aval, à organiser le service public en cas de grève.
En ce qui concerne le premier objectif, le projet de loi pose le principe d'une négociation obligatoire dans les entreprises de transports publics, qui doit aboutir à la signature d'un accord-cadre avant le 1er janvier 2008. Cet accord d'alerte sociale fixe une procédure de prévention des conflits prévoyant une négociation préalable à organiser avant le dépôt de tout préavis de grève.
Pour atteindre le deuxième objectif, le projet de loi prévoit plusieurs principes d'organisation du service des transports publics en cas de grève : définition d'une priorité de desserte et des besoins essentiels par les sociétés organisatrices de transports, c'est-à-dire par les collectivités locales, responsables de l'organisation des transports publics ; mise en place de procédures qui permettront aux entreprises de transports de connaître, en anticipant davantage, les moyens en personnel dont elles vont disposer pendant la grève ; possibilité d'organiser une consultation indicative sur la poursuite de la grève au bout de huit jours ; renforcement des droits des usagers en matière d'information sur le service pendant la grève.
Ce projet ne retient donc pas une définition uniforme du service minimum, qui rendrait, par exemple, obligatoire un service normal entre six heures et neuf heures et entre dix-sept heures et vingt heures, sur l'ensemble du territoire national. En outre, le texte prévoit qu'après consultation des représentants des usagers, les autorités organisatrices définissent des priorités de desserte concernant essentiellement les déplacements quotidiens de la population. Il renvoie donc à une définition de la meilleure continuité du service public, dans le respect des principes indiqués, par les autorités à même de prendre en considération les spécificités et les réalités des situations locales.
Le projet qui nous est soumis est donc un texte de responsabilisation des différents acteurs du service public des transports : les autorités organisatrices, qui sont essentiellement des collectivités locales représentant les citoyens et définissent les priorités de la desserte correspondant aux besoins essentiels de la population ; les entreprises de transports, qui sont responsables de la meilleure gestion au meilleur coût du service et arrêtent le plan de transport décidé par l'autorité organisatrice ; les organisations syndicales représentant les salariés, qui négocient la procédure de prévention des conflits ; les organisations d'usagers, enfin, dont les avis ont été jusqu'ici assez peu sollicités, et qui seront désormais consultées par l'autorité organisatrice avant la définition des priorités de desserte.
Tout ceci concourt à une meilleure organisation de la continuité du service public, et ce dans le plus grand respect de l'exercice du droit de grève, au même titre que les deux dispositifs controversés lors de nos échanges au sein de la commission spéciale qui s'est réunie la semaine dernière. Il s'agit, d'une part, de la déclaration préalable par laquelle un salarié informe l'entreprise de ses intentions quarante-huit heures avant le début de la grève, et qui permet à l'entreprise d'organiser le service le meilleur, car le plus prévisible pendant la durée de la grève.