Si ce n'est pas vous, c'est un autre membre du Gouvernement ! C'est un mensonge, car les grèves ne représentent que 2 % des perturbations du service de transport ferroviaire de voyageurs. Vous n'ignorez certainement pas que le nombre de jours de grève n'a cessé de décroître ces dernières années, et que les organisations syndicales représentatives des salariés des transports n'ont cessé d'oeuvrer à une meilleure prévention des conflits. Ainsi, à la SNCF, on ne compte plus aujourd'hui que 0,4 jour de grève par agent et par an, contre 0,8 dans le secteur privé des transports ; à la RATP, ce chiffre est de 0,13, le plus bas niveau depuis 1990. Ces éléments attestent votre mauvaise foi et lèvent le voile sur vos motivations strictement idéologiques.
Vous appuyant sur des sondages effectués à des fins douteuses, vous profitez de l'occasion pour discréditer les cheminots, les salariés de la RATP et leurs organisations syndicales, c'est-à-dire les agents supposés « privilégiés », pour mieux les opposer aux salariés du privé, moins protégés, et qui, selon vos propres termes, sont « pris en otages ». Vous limitez leur possibilité de recourir à la grève, fût-ce, comme c'est le plus souvent le cas, pour la nécessaire amélioration du service public. En réduisant toute cette problématique aux conditions d'exercice du droit de grève, vous refusez de répondre à une demande sociale et vous déminez le terrain pour les futures réformes.
La rapporteure de la commission spéciale du Sénat a été très explicite. Pour elle, il s'agit d'éviter que des agents de la SNCF ou de la RATP s'engagent dans une grève pour des motifs qui ne les concerneraient pas directement : une grève interprofessionnelle sur le pouvoir d'achat ou encore une grève de solidarité du type de celles qui ont eu lieu contre le CPE, par exemple.
Demain, vous étendrez le service minimum à tous les modes de transport, et pourquoi pas à d'autres services publics comme l'éducation nationale ; le débat qu'a provoqué le Premier ministre est loin d'être clos. En commission, nos collègues de l'UMP ont d'ailleurs présenté des amendements pour que le texte aille encore plus loin, s'agissant notamment de la réquisition et du service normal aux heures de pointe...
En écho aux déclarations de Nicolas Sarkozy qui, en août 2006, prêchait devant les convertis du MEDEF sur l'urgence d'en finir avec « la dictature de certaines minorités », ce texte vise à détourner l'attention des usagers afin que leur colère légitime envers la dégradation continue du service public ne se retourne pas contre les vrais responsables !
Cette dégradation réelle de la qualité du service public des transports vous gêne. Les enquêtes de satisfaction menées auprès des usagers montrent bien que ce n'est pas la grève qui figure en tête de leurs préoccupations, mais l'amélioration de la qualité du service public sur des points comme la ponctualité, la gestion des pannes, les horaires, l'information en cas de perturbation, la propreté et la lutte contre les malveillances.
La déréglementation du service public des transports s'est traduite, faute de moyens humains et de crédits, par la multiplication des défaillances matérielles – comme l'incendie de ce week-end sur la ligne 13 – et les insuffisances de la maintenance. La suppression de nombreuses dessertes, la fermeture de gares, la généralisation du travail précaire et les suppressions d'emploi massives, enfin l'extension exponentielle de la sous-traitance sont la cause directe de 98 % des dysfonctionnement dans les transports publics.
Prenons pour exemple la situation de Réseau ferré de France. Vous savez comme nous que RFF, qui croule sous les dettes, n'a plus les moyens d'entretenir les voies ferrées. Ainsi, pour éviter les déraillements, la vitesse est limitée sur certains tronçons à 50 kilomètres-heure, parfois à 10 kilomètres-heure ! La SNCF, quant à elle, économise sur tout et, non contente d'avoir supprimé 16 000 emplois depuis 2002, elle laisse aujourd'hui les trains et la qualité du service se dégrader.
Nous l'avons compris, votre stratégie consiste à faire des salariés des boucs émissaires pour les exposer à la vindicte publique, et à gommer les intérêts convergents des usagers et des agents tout comme leur exigence commune d'un service public de qualité.
Malgré vos dénégations, nous avons compris aussi que l'essentiel de ce texte résidait dans sa seconde partie, et que le service minimum était pour vous un prétexte pour restreindre le droit de grève individuel.
Si le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse pondérer ce droit par d'autres principes de valeur constitutionnelle, tels que la protection de la santé, la sécurité des personnes et des biens, la continuité du service public, vous admettez l'interdiction du droit de grève quand la satisfaction des besoins essentiels du pays sont compromis, et vous franchissez un pas supplémentaire en instaurant un service minimum dans les transports afin, dites-vous, de garantir la satisfaction des besoins essentiels de la population. Le Conseil constitutionnel appréciera la disproportion entre l'atteinte au droit de grève que représente ce texte et l'hypothétique amélioration de la prévisibilité du service.
Plusieurs dispositifs phares de ce projet de loi nous apparaissent inacceptables, en totale contradiction avec le droit et la jurisprudence, à l'instar de la déclaration individuelle de grève et de ses sanctions, ou de la consultation des salariés sur la poursuite de la grève. Suite à l'arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2006, qui, concernant Air France, a admis la grève des personnels en escale et rappelé « qu'il ne pouvait être imposé à un salarié d'indiquer à son employeur son intention de participer à une grève avant le déclenchement de celle-ci », une réaction législative était à craindre. C'est chose faite aujourd'hui ! Non seulement vous revenez sur le principe selon lequel le droit de grève ne peut être l'objet de renonciation mais de surcroît, selon le Lamy social, en prévoyant qu'une sanction disciplinaire pourra être prononcée à l'encontre d'un salarié n'ayant pas informé son employeur, vous introduisez le pouvoir hiérarchique de l'employeur dans le droit de grève, qui normalement y échappe, seule la faute lourde justifiant le licenciement du salarié gréviste.
Et vous en rajoutez dans la provocation en rappelant le non-paiement des jours de grève et en rendant nul tout accord de fin de conflit qui prévoirait des compensations.
Tout au long du débat, nous dénoncerons la perversité de votre démarche, son caractère démagogique vis-à-vis des usagers des transports et profondément irrespectueux des relations sociales. Nous proposerons d'autres choix, qui répondent aux exigences de démocratie sociale, comme aux préoccupations quotidiennes des usagers, et respectent les droits de l'ensemble du monde du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)