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Intervention de Alain Vidalies

Réunion du 30 juillet 2007 à 15h00
Dialogue social et continuité du service public dans les transports terrestres — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Vidalies :

Nous le pensions, nous l'envisagions, nous le craignions et voilà que cela est dit. D'ailleurs, jusqu'à présent, aucun des trois intervenants précédents, ni le ministre ni le rapporteur ni le président de la commission spéciale, ne s'est expliqué sur cette nouvelle tout de même considérable apportée par le porte-parole du Gouvernement selon lequel le texte est destiné à faire pression sur les grévistes. Cela remet en question tout ce dont vous nous avez parlé jusqu'à présent et la manière que vous avez de nous raconter la politique comme si nous étions des enfants.

Cette démarche est à ce point contraire à tous les principes constitutionnels que le Gouvernement a cru pouvoir s'exonérer par avance d'une sanction en précisant que le résultat de la consultation n'affecte pas l'exercice du droit de grève. Ainsi donc, la lecture du projet nous apprend que l'on organise une consultation sur la poursuite de la grève sans que son exercice en soit remis en cause…

À quoi sert donc cette consultation si ce n'est à exercer une pression sur les salariés grévistes ? Il s'agit, juridiquement, d'une transgression des principes mêmes du droit de grève dont l'exercice individuel est garanti. La grève, même minoritaire, est toujours légitime dès lors qu'elle s'exerce dans le cadre de la loi.

Une consultation dont l'objectif est d'exercer une pression sur les salariés grévistes, est contraire au principe selon lequel la grève est un droit individuel. La seule limite ne peut être que le dépôt d'un préavis par une organisation syndicale.

Dans deux arrêts des 6 novembre 1985 et 19 juin 1987, la Cour de cassation a rappelé expressément que « le droit de grève constitue un droit personnel que chacun peut exercer sans être lié par la loi de la majorité. » La consultation prévue à l'article 6 s'inscrit en contradiction totale avec ces principes.

Votre projet de loi soulève également des questions de constitutionnalité relativement au statut des collectivités territoriales.

Le principe de leur libre administration, posé par l'article 72 de la Constitution, est largement bafoué. Dans sa décision du 20 janvier 1993, portant sur la loi de prévention de la corruption, le Conseil constitutionnel a censuré le législateur qui avait limité, de manière excessive, la liberté et l'autonomie des collectivités au risque de porter atteinte aux principes de libre administration.

La région est l'autorité organisatrice des transports collectifs d'intérêt régional, le département, celle des transports scolaires, et la commune ou les établissements publics de coopération intercommunale, celle des transports d'intérêt local. La question de la contrainte excessive imposée par votre projet de loi aux collectivités territoriales est posée, ne serait-ce, plus particulièrement, qu'avec les articles 4 et 11 qui fixent le contenu de la convention d'exploitation conclue entre l'autorité organisatrice et l'entreprise. Cette immixtion est même manifeste à l'article 8 qui précise que l'autorité organisatrice impose le remboursement total aux usagers. Ces dispositions impératives, « sans égard à la diversité et à la complexité des situations susceptibles d'être ainsi affectées » – pour reprendre la formule du Conseil constitutionnel dans la même décision –, sont contraires à l'article 72 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a également érigé en principe à valeur constitutionnelle la liberté contractuelle des collectivités territoriales. Dans sa décision du 30 novembre 2006, il a précisé que ce principe obligeait au respect de la liberté dans le contenu même du contrat. Or votre projet s'immisce manifestement dans la liberté contractuelle dès lors qu'il précise que l'autorité organisatrice, c'est-à-dire la collectivité territoriale, doit imposer l'obligation de remboursement.

Manifestement, le législateur ne se contente pas de poser des principes. Il adopte, en l'espèce, un texte particulièrement directif à l'égard des autorités organisatrices en ignorant leur liberté contractuelle.

Votre projet de loi ne respecte pas non plus le principe de l'égalité des usagers devant le service public, auquel le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 25 juin 1998, a reconnu une valeur constitutionnelle, en précisant que seules les discriminations répondant à des différences de situation des usagers vis-à-vis du service étaient admises. Or, le projet de loi impose aux autorités organisatrices de déterminer, dans le plan de transport, des lignes prioritaires en cas de grève. Pour prendre l'exemple des départements, compétents pour l'organisation des transports scolaires, quels critères objectifs peuvent permettre de distinguer entre les élèves qui bénéficieront du plan et ceux qui en seront exclus ? Il existe là un risque majeur de rupture d'égalité, sans parler de l'irréalisme de la solution préconisée.

Les représentants de l'UMP qui se sont exprimés ces derniers jours, ont expliqué leur changement de position sur ce texte par rapport à celle adoptée en juillet 2006, que j'évoquais au début de mon intervention, en invoquant la rupture issue de l'élection présidentielle. Oui, il s'agit bien d'une rupture, mais d'une rupture avec le dialogue social, le risque étant de remettre en cause les résultats obtenus depuis dix ans. Il s'agit, en outre, d'une rupture juridique, qui bafoue les principes constitutionnels régissant le droit de grève et les libertés des collectivités territoriales.

Devant le danger qu'un tel projet présente, je vous invite, mes chers collègues, à voter l'exception d'irrecevabilité déposée par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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