Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Jean-Marie Rolland

Réunion du 6 novembre 2007 à 9h30
Projet de loi de finances pour 2008 — Santé

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marie Rolland, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme chacun peut l'imaginer, l'appréciation que je porte sur les crédits qu'il est proposé de consacrer en 2008 à la mission « Santé » est un peu différente de celle que vient de nous exposer Gérard Bapt.

Je tiens d'abord à souligner que, dans un contexte budgétaire contraint, le maintien des crédits de cette mission à leur niveau de 2007 permettra à l'État de poursuivre les actions qu'il mène en faveur de la prévention, du pilotage de l'offre de soins et de la coordination des différentes administrations autour de la lutte contre la drogue et la toxicomanie. En effet, le projet de loi de finances pour 2008 prévoit que les crédits de la mission « Santé » s'élèveront en 2008 à plus de 432 millions d'euros en autorisations d'engagement – contre 425 millions ouverts pour 2007, soit une augmentation de 1,68 % – et à 430,35 millions d'euros en crédits de paiement, ce qui représente une hausse de 0,39 % par rapport à 2007. On peut donc dire que ces crédits sont stables, ce qui, encore une fois, mérite d'être salué, compte tenu de la faiblesse des marges de manoeuvre budgétaires pour 2008.

Afin d'avoir le temps de vous présenter la partie thématique de mon rapport, je ne m'attarderai pas sur les détails de l'évolution des crédits par programme et par action, mais je tiens à souligner que le projet de loi de finances conforte les priorités de santé publique fixées par la loi du 9 août 2004, notamment en matière de lutte contre le cancer, à laquelle il est prévu de consacrer 56,5 millions d'euros, et de lutte contre le virus du Sida, avec des moyens qui s'élèveront à 47,3 millions d'euros.

Je relève également que le projet de loi de finances permet de financer de nouvelles actions de santé publique, comme le futur plan Alzheimer, qui aura pour objectifs de favoriser la recherche, la détection précoce de la maladie et une meilleure prise en charge des patients. Je note également que les crédits de la mission « Santé » pour 2008 permettront de financer, dans le cadre du plan Psychiatrie et santé mentale, une nouvelle stratégie de prévention du suicide et le nouveau dispositif d'injonction de soins pour les auteurs des infractions les plus graves créé par la loi du 26 juillet dernier, laquelle renforce la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs.

Je veux aussi souligner, étant particulièrement attaché à cette cause, qu'il est prévu d'augmenter les moyens consacrés aux indemnités des maîtres de stages perçues par les libéraux, qui passent de 7 millions d'euros en 2007 à 9,2 millions en 2008, et ce afin de développer les stages de sensibilisation à la médecine générale pour les étudiants de deuxième cycle, conformément au plan Démographie médicale, qui mise sur ces stages pour conforter les vocations des étudiants en faveur de la médecine générale.

Ces crédits permettront aussi de renforcer la Haute autorité de santé et l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation, ainsi que de moderniser la gestion des personnels hospitaliers, confiée au nouveau Centre national de gestion dont 2008 sera la première année pleine de fonctionnement.

Pour finir sur l'évolution des crédits, je tiens à rappeler que la baisse apparente des crédits de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies s'explique par le transfert à un autre programme des crédits du groupement d'intérêt public de téléphonie sociale DATIS – Drogues alcool tabac info service – et des actions d'éducation à la santé relatives aux toxicomanies.

Voilà donc en quelques mots, madame la ministre, mes chers collègues, les grandes lignes de ce qui est prévu pour la mission « Santé » dans le projet de loi de finances pour 2008. J'aimerais maintenant en venir à la partie thématique de mon rapport, consacrée au bilan de la régionalisation de la politique de santé publique, dans la perspective de la création des agences régionales de santé.

Comme vous le savez, la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, dont la plupart des interlocuteurs auditionnés par la commission ont d'ailleurs souligné l'importance dans l'histoire de notre système de santé, a profondément rénové la gouvernance de la santé publique en lui donnant une organisation à la fois déconcentrée et partenariale : déconcentrée parce que cette loi a fait du niveau régional l'échelon territorial de référence pour la définition et la mise en oeuvre des actions de santé publique ; partenariale parce qu'elle visait à mettre en cohérence les actions de santé publique menées jusqu'alors de façon éclatée par l'État, les différentes caisses d'assurance maladie et les collectivités territoriales, qu'il s'agisse des régions et des départements, mais aussi des communes et de leurs groupements.

Ainsi, dans chaque région, une conférence régionale de santé est censée réunir tous les acteurs concernés par la politique de santé publique – professionnels, établissements, administrations, caisses, collectivités territoriales, usagers et personnalités qualifiées –, afin d'établir un bilan de santé de la population régionale qui permette de mieux prendre en compte les spécificités régionales dans la définition des objectifs pluriannuels de santé publique.

Ces objectifs sont déclinés pour chaque région dans un plan régional de santé publique, élaboré en concertation avec la conférence régionale de santé puis arrêté par le préfet de région. Ce plan a vocation à intégrer les plans, les priorités et les objectifs nationaux fixés par la loi du 9 août 2004, tout en les adaptant aux spécificités régionales. Il intègre aussi des volets spécifiques consacrés aux personnes les plus démunies, aux risques liés à l'environnement général et au travail, à la santé scolaire, aux détenus et à la sécurité sanitaire. Il peut aussi comprendre des programmes régionaux correspondant aux objectifs spécifiques retenus par le conseil régional.

La mise en oeuvre du plan régional est confiée à un GRSP – groupement régional de santé publique. Il s'agit d'un GIP – groupement d'intérêt public –, structure administrative souple censée rassembler au minimum l'État, l'INPES, l'INVS et l'assurance maladie, membres d'office, ainsi que les collectivités territoriales, sur la base du volontariat.

Soulignons toutefois que, même régionalisé et organisé sur un mode partenarial, le pilotage de la santé publique reste contrôlé par l'État. C'est en effet le préfet de région qui nomme les membres de la conférence régionale de santé, approuve la convention constitutive du GRSP et nomme son directeur. Enfin, les textes assurent à l'État la majorité absolue des sièges aux conseils d'administration des GRSP. Or, au cours de la vingtaine d'auditions que j'ai menées, il est apparu que c'est justement cette prééminence de l'État qui explique certaines insuffisances du pilotage. C'est en effet l'État qui assure seul et directement le secrétariat des conférences régionales de santé, ce qui, d'après certains de mes interlocuteurs, limite leur autonomie et donne à leurs travaux un caractère très formel, en dépit des efforts sincères faits par les directeurs régionaux des affaires sanitaires et sociales pour animer ces lieux de démocratie sanitaire.

Quant aux plans régionaux de santé publique, leur élaboration a créé une véritable émulation autour des enjeux de santé publique, ce qui a permis aux acteurs de prendre conscience de l'importance de ces problèmes, mais leur contenu gagnerait, en général, à être plus opérationnel et plus concentré sur les spécificités régionales. En effet, les PRSP se contentent souvent de décliner les objectifs et les plans nationaux.

Mais ce sont les GPRS – groupements régionaux de santé publique – qui présentent le bilan le moins satisfaisant. Censés fédérer les actions de santé publique de tous les acteurs régionaux afin de mutualiser leurs moyens et de constituer un « guichet unique », les GRSP ne suscitent pas toujours l'adhésion de tous les acteurs. S'ils ont été créés par la loi du 9 août 2004, les décrets d'application correspondants n'ont été publiés que le 26 septembre 2005, soit plus d'un an après, et les GRSP n'ont été mis en place qu'en 2006 et en 2007, soit près de trois ans après le vote de la loi !

Plus grave, les GRSP n'ont pas réussi à fédérer les acteurs régionaux de la santé publique. Ils n'ont notamment pas réussi à mobiliser suffisamment les collectivités territoriales : neuf régions sur vingt-six et trente-deux départements sur cent ont refusé d'y adhérer, et, à ce jour, presque aucune collectivité territoriale ne mutualise au sein du GRSP les crédits consacrés à la santé publique. D'ailleurs, les différents régimes d'assurance maladie ne jouent pas non plus pleinement le jeu de la mutualisation financière : dans le cadre de leurs conventions d'objectifs et de moyens, ils ont obtenu de conserver la maîtrise exclusive d'une partie de leurs fonds de prévention, qui pour le régime général représente environ 25 %. Quant à l'INPES – Institut national de prévention et d'éducation pour la santé – il participe peu aux GRSP et conserve la maîtrise de ses appels à projets, même lorsque ceux-ci comportent un niveau régional.

Au vu de ce bilan, il me semble que la dynamique créée par la loi du 9 août 2004 en faveur de la santé publique doit être pérennisée autour d'institutions consolidées, plus solides que les GRSP et dans le cadre d'un pilotage unifié du système de santé.

Il ressort en effet des auditions auxquelles j'ai procédé que les insuffisances constatées dans le pilotage régional de la politique de santé publique ont trois causes principales : des capacités d'expertise sanitaire inégales d'une région à l'autre, une articulation encore imprécise du pilotage national de cette politique avec ses échelons territoriaux d'adaptation et de mise en oeuvre, et le cloisonnement de la prévention du secteur sanitaire et du secteur médico-social.

Pour être efficaces, les plans régionaux de santé publique doivent être suivis et évalués. Sans évaluation des dispositifs préexistants et sans observation fine de la santé de la population régionale, ils ne peuvent être adaptés aux besoins spécifiques de cette région. En outre, l'évaluation de plans aussi vastes gagnerait à ne pas être effectuée de façon ponctuelle, mais à découler d'un dispositif de suivi au jour le jour de la mise en oeuvre des plans.

Or, un tel suivi suppose des capacités scientifiques et administratives que tous les observatoires régionaux de la santé n'ont pas. C'est pourquoi il me semble indispensable de renforcer les capacités de connaissance et d'observation de la santé en région, notamment par un partage accru des moyens d'observation qui existent mais qui sont éclatés entre différents acteurs comme les fichiers des caisses primaires, les PMSI – programmes de médicalisation des systèmes d'information – les réseaux de l'INVS, ou encore les systèmes d'information des conseils généraux, notamment dans le domaine de la protection maternelle et infantile.

Par ailleurs, pour piloter la politique de santé publique, l'articulation entre le niveau national, l'échelon régional et les territoires doit être clarifiée. À mon sens, le niveau national est pertinent pour hiérarchiser les priorités de santé publique, qui, telles que la loi du 9 août 2004 les a définies, sont trop nombreuses. Il est également pertinent pour animer le réseau des GRSP, si possible en leur donnant un interlocuteur unique au niveau national.

L'échelon régional, quant à lui, doit constituer un niveau d'adaptation, d'appropriation et de déclinaison opérationnelle de ces priorités nationales, les GRSP servant de « relais de management » des grandes orientations de santé publique fixées au niveau national. Cela suppose qu'ils disposent de marges de manoeuvre financières, et pas seulement de crédits fléchés comme c'est le cas aujourd'hui.

Mais si la politique de santé publique peut être organisée à l'échelon régional, c'est au plus près du terrain qu'elle doit être mise en oeuvre, en lien avec les acteurs locaux – organisations départementales des professions de santé, caisses d'assurance maladie, communes et intercommunalités. Or, la territorialisation des actions de santé publique se heurte aujourd'hui à deux difficultés : le manque d'ingénierie administrative dans certains territoires et la difficulté à déterminer le zonage pertinent. Pour y remédier, il appartient aux instances régionales d'inciter les associations à professionnaliser leurs pratiques. Diverses expériences locales sont en cours, qui méritent d'ailleurs d'être évaluées et, le cas échéant, étendues.

Quant au zonage à retenir pour territorialiser les actions de santé publique, il me semble inutile, voir néfaste, d'en créer un nouveau, et je constate que sauf exception, ce sont les territoires de santé délimités dans le cadre des SROS – schémas régionaux d'organisation sanitaire – qui constituent l'échelon le plus pertinent pour mettre en oeuvre les actions de santé publique.

En effet, adopter les territoires des SROS pour mettre en oeuvre les PRSP, c'est aller dans le sens d'une meilleure articulation de la politique de santé publique avec le pilotage de l'offre de soins de ville, la planification hospitalière et l'organisation du secteur médico-social. Aujourd'hui, le pilotage territorial du système de santé est éclaté alors que la santé publique, les soins et les services médico-sociaux forment un camp professionnel cohérent. Or, si les textes prévoient l'articulation des PRSP avec les SROS, ce n'est pas le cas pour les nombreux autres instruments territoriaux de planification du système de santé. Il s'agit des PRIAC – programmes interdépartementaux d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie –, de ce qui relève de la politique des réseaux, de certains schémas médico-sociaux des départements comme les schémas gérontologiques, « Enfance et famille », « Enfants et adultes handicapés », « Accès aux soins », « Pratiques addictives », et enfin des plans départementaux en faveur de l'insertion et les plans départementaux « Solidarité santé ».

Pour toutes ces raisons, l'intégration de la politique de santé publique dans le champ de compétence des futures agences régionales de santé me paraît souhaitable. Mon but n'est pas de proposer ici une architecture pour les ARS, ce qui incombe à la mission d'information présidée par notre collègue Yves Bur. J'ai simplement cherché à savoir si la santé publique serait mieux promue si elle relevait des compétences des futures ARS ou si elle demeurait en dehors du pilotage régional du système de santé.

La majorité de mes interlocuteurs considèrent que l'agence régionale de santé est une administration plus solide pour piloter la politique de santé publique que le GRSP et qu'elle dispose d'une meilleure articulation avec les autres secteurs du système de santé. En outre, si les agences régionales sont compétentes à la fois en matière de santé publique, d'offre de soins et de services médico-sociaux, il sera difficile à l'assurance maladie et aux collectivités territoriales de ne pas s'impliquer plus qu'elles ne le font dans les GPRS.

On pourrait craindre de voir la santé publique négligée par des agences régionales au périmètre large, compte tenu de la relative faiblesse de leurs moyens financiers et du fait que leurs enjeux s'inscrivent dans le long terme. Je pense pour ma part que cette crainte peut être écartée si les moyens de la santé publique sont garantis par un mécanisme financier comme la fongibilité asymétrique des crédits au sein des ARS, et si l'État, garant de la politique de santé publique, y est représenté, même sans être majoritaire. Je considère qu'avec de telles garanties, la politique de santé publique gagnerait beaucoup à être incluse dans les ARS.

Pour l'heure, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales vous propose, mes chers collègues, d'adopter les crédits de la mission « Santé ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Nouveau Centre.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion