Madame la garde des sceaux, mon collègue Michel Vaxès vient de nous mettre en garde contre le budget que vous nous présentez, dont l'augmentation indéniable – 4,5 %, pour ceux qui ne l'auraient pas encore entendu – masque les réelles conséquences de votre politique en matière de justice. Et, au risque de passer pour un récidiviste, j'insiste sur le fait que cette augmentation se construit en grande partie sur un leurre.
Un leurre, d'abord, parce que ce budget se soucie en tout premier lieu de concrétiser la logique du tout sécuritaire, lancée par l'ancien ministre de l'intérieur et reprise par votre gouvernement ; une logique qui fait de la prison l'une des seules solutions – sinon la seule – à la délinquance juvénile et qui, dans le même temps, se garde bien de s'occuper de la délinquance, autrement plus dangereuse, car insidieuse, en col blanc. Ce que vous comptez faire du droit des affaires peut légitimement nous interpeller, voire nous inquiéter.
Un leurre, ensuite, car, même s'il a le mérite de remettre à flot des secteurs judiciaires et juridiques acculés à un retard considérable en matière de moyens techniques, matériels et humains, ce budget n'est absolument pas construit autour d'une vision de long terme, qui intégrerait les besoins citoyens et les nécessaires améliorations en matière d'accès au droit, secteur qui régresse considérablement dans votre budget. Ce que vous entendez faire de la carte judiciaire pose la question de votre conception de la justice.
En ce qui concerne les moyens, il est juste de reconnaître, madame la garde des sceaux, que ceux de mon département, la Seine-Saint-Denis, sont enfin hissés au niveau de la moyenne nationale. Mais ils ne font que colmater des brèches restées béantes trop longtemps. Aujourd'hui, et sans pour autant tomber dans les travers d'un plan Marshall, que je récuserais comme je les ai tous récusés jusqu'à présent, le tribunal de grande instance de Bobigny, deuxième juridiction de France, attend des mètres carrés supplémentaires, des moyens informatiques à la hauteur des missions qui sont confiées aux juges et, surtout, des moyens en personnels qualifiés, au statut clairement défini. Dans ce même TGI, qui voit défiler, chaque année, près 12 000 personnes, toutes catégories confondues, se posent toujours des problèmes d'accueil d'un public particulier, en très forte demande d'accès au droit. Comme le note très justement Philippe-Pierre Cabourdin, dans son introduction au projet annuel de performance relatif à la protection judiciaire de la jeunesse, « le contexte socio-économique, marqué par le chômage, la délinquance ou les exclusions, ne facilite pas l'action des services éducatifs ». Je le confirme.
Or ces difficultés ne touchent pas que les seuls services de la protection judiciaire de la jeunesse. Ne serait-il pas temps d'en prendre la mesure ? Comment comptez-vous y répondre ?
Permettez-moi d'insister sur le problème spécifique des enfants relevant de la pédopsychiatrie. En Seine-Saint-Denis, où seulement 14 lits leur sont destinés, au moins 130 d'entre eux ont été confiés cette année à l'aide sociale à l'enfance faute de place dans des structures adaptées. Dans le même temps, près de 5 000 enfants à qui des soins en pédopsychiatrie ont été prescrits, n'ont toujours pas, un an plus tard, reçu de soins thérapeutiques appropriés.
Au-delà de la remise à niveau des moyens, indispensable pour garantir une certaine équité entre les territoires, il y a urgence à lancer une vaste réflexion commune sur les enjeux à long terme – dix, quinze, voire vingt ans –, associant tous les professionnels de la justice, les élus – tous les élus – et les usagers – ceux qui partagent votre avis, madame la garde des sceaux, comme ceux qui ne le partagent pas.
Pourquoi rester sourd à ces professionnels, universitaires et chercheurs, qui s'évertuent à rappeler l'urgence d'un changement ? De réforme, vous ne retenez que le nom, en le vidant de son sens, pour désigner un système d'exclusion, la dégradation du service rendu aux usagers et la stigmatisation de populations déjà largement défavorisées.
Le traitement au cas par cas, au coup par coup, en fonction d'impératifs à court terme ou en réaction aux faits les plus divers – voire à de simples faits divers – coûte extrêmement cher aux contribuables français et rend la production comme l'exécution des décisions beaucoup plus difficiles, voire quasi impossibles.
Votre budget est donc coupé des réalités, sauf peut-être en matière pénitentiaire. Mais pouvez-vous décemment, d'un côté, mettre au ban de la société une population que vous dites « déviante » et, de l'autre, ne pas nous donner les moyens d'une incarcération digne d'une démocratie occidentale ?
La discussion de ce budget est malheureusement dominée par le tollé médiatique et la grogne politique, dans votre propre camp, suscités par l'annonce de la suppression de nombreux tribunaux. Mais ce sujet grave ne doit pas masquer la nécessité d'un réel débat sur ce pilier de notre République qu'est la justice.
Parce qu'il ne fait que tirer les conséquences financières des lois votées depuis juin dernier – contre lesquelles je me suis d'ailleurs battu – le groupe de la Gauche démocrate et républicaine votera contre ce projet de budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)