Madame la garde des sceaux, vous nous présentez aujourd'hui votre premier budget de la législature, et il est vrai que vous êtes privilégiée. Vous le dites vous-même en rappelant que le budget de l'État n'augmente que de 1,6 % alors que le vôtre progresse de 4,5 %, et que l'État supprime 22 900 emplois tandis que les services de la justice bénéficient de 1 615 créations de postes. Cette augmentation est appréciable, et nous nous en félicitons.
La justice le mérite bien ! Plaçant la France au dix-septième rang des pays membres de l'Union européenne, elle est encore indigente et il faudra qu'elle poursuive son adaptation si l'on veut que la France gagne la place qui devrait être la sienne parmi les pays les plus riches de notre continent.
Se contenter d'une appréciation quantitative de ce budget serait une faute politique : comme les lois, les dotations budgétaires peuvent servir le meilleur, mais aussi nourrir le pire !
« Construisez des écoles, et vous fermerez des prisons » écrivait Victor Hugo. Il avait raison ! Privilégiez l'éducation et la réinsertion, et vous en appellerez moins à la répression ! Luttez contre l'injustice sociale, et vous garantirez la paix sociale ! C'est tout le contraire que fait le Gouvernement ! Je ne fais pas là l'apologie de la faiblesse : j'exprime la volonté de rompre un cercle vicieux, car le mal entraîne le mal.
Si, au-delà des mots, vous partagiez avec nous la conviction qu'une action efficace contre la délinquance et la récidive passe avant tout par une politique audacieuse de prévention et de réinsertion – à travers l'accompagnement social et l'action éducative –, c'est un autre budget que vous nous proposeriez.
Loin devant les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse et de l'accès au droit et à la justice, ceux de l'administration pénitentiaire enregistrent la plus forte augmentation. S'il s'agissait seulement de rendre plus dignes les conditions de détention, nous nous en réjouirions avec vous. Mais près de 63 % de ces crédits sont absorbés par la garde et le contrôle des personnes placées sous main de justice, et 80 % des effectifs de l'administration pénitentiaire sont affectés à cette mission. Comment pourrait-il en être autrement avec un taux d'occupation de 122 % ? Un quart seulement de ces crédits seront consacrés à l'accueil et à l'accompagnement.
Ces chiffres parlent : les missions de réinsertion, qui sont les meilleures armes contre la récidive, resteront malheureusement les parents pauvres de votre politique.
La mission « Protection judiciaire de la jeunesse » ne représente que 12 % de ce budget et, comme si c'était encore trop, les mesures éducatives et en milieu ouvert souffriront de la priorité accordée à l'enfermement. Enfin, l'expérimentation que vous avez décidée, et qui consiste à séparer les fonctions civiles et pénales du juge des enfants, participe de la même logique : c'est un nouveau pas vers l'abandon de la priorité éducative dans la réponse à la délinquance des mineurs.
Nos concitoyens aspirent, certes, à la tranquillité, mais vous ne pourrez répondre à cette aspiration qu'en vous attaquant aux causes de la délinquance. Et ce n'est ni en surpeuplant les prisons, ni en les multipliant, que vous y parviendrez. Regardez donc du côté du Québec, qui a réussi le pari de la prévention : dès le premier jour de détention, on prépare la sortie du détenu. Mais ce n'est pas le choix que vous faites, et j'ai bien peur que cela ne vous conduise à l'échec – je le regrette.
Compte tenu du temps qui m'a été imparti, je n'ai pu évoquer la réforme de la carte judiciaire. La présence d'un certain nombre de nos collègues à la droite de cet hémicycle montre que ce problème n'est pas seulement celui de l'opposition. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)