L'amendement n° 84 vise à amender l'article L. 103-2 tel que rédigé par le projet de loi, selon lequel « Le grand port maritime peut, à titre exceptionnel, si le projet stratégique le prévoit et après accord de l'autorité administrative compétente, exploiter les outillages mentionnés au II de l'article L. 101-3 ».
Il faut tout de même savoir comment fonctionne un port. On y trouve de grandes lignes, de grands armements, de grands navires qui arrivent avec – pour ne parler que de cela – des milliers de conteneurs, et des lignes régulières qui font le tour du monde et s'arrêtent dans certains ports. C'est là un trafic sûr et régulier. Il existe aussi des ports où le trafic, bien qu'également régulier, est moins fréquent. Je me suis ainsi rendu voici quelques jours dans un port de la côte atlantique où l'on m'a expliqué qu'une des entreprises phares de la région – dont je tairai le nom pour ne pas lui faire de publicité – dépendait d'un trafic mensuel : une fois par mois, une livraison permet à cette usine de travailler et à des centaines de salariés d'avoir un emploi.
Si demain ce trafic n'est plus assuré ou plus suffisamment rentable, que devra faire cette entreprise ? Quitter ce port pour aller dans un autre ? Dans ce cas, qu'adviendra-t-il des salariés de cette entreprise ?
Poussons un peu la réflexion : imaginons que ce port, qui n'est pas à côté d'une frontière, le soit, qu'il y ait de l'autre côté de la frontière un autre port et que l'opérateur concerné soit présent dans ces deux ports. L'opérateur pourrait bien dire aux responsables portuaires et aux autorités publiques qu'il ne voit pas d'intérêt à accueillir le trafic de ce côté-ci de la frontière et qu'il préfère l'accueillir dans l'autre port, de l'autre côté, où il est également opérateur, car cela correspond à ses besoins. Il peut alors y avoir délocalisation de l'entreprise pour la simple raison que l'opérateur juge que son intérêt est plutôt de l'autre côté, non pas « de l'eau » – c'est l'expression qu'emploient les gens du Havre pour désigner la Basse-Normandie –, mais de la frontière.
Vous voyez à quoi je fais allusion, monsieur le secrétaire d'État : dans le Nord de la France, il y a des ports très proches d'autres ports, mais si l'on passe de l'un à l'autre, on change de pays. C'est le risque auquel nos ports vont être exposés. De grands groupes considéreront prioritairement la satisfaction de leurs propres intérêts avant de prendre en compte les besoins de l'industrie concernée par leur activité portuaire.
C'est pourquoi nous proposons que les grands ports maritimes puissent exploiter l'outillage, non pas à titre exceptionnel, mais « lorsque l'intérêt général l'exige, si le projet stratégique le prévoit ». Il faut qu'en France soient pris en compte prioritairement l'intérêt national, le développement industriel et la préservation de l'emploi. Sinon, on sait très bien ce qui se passera. La SNCF trouve aujourd'hui déjà plus d'intérêt à favoriser le port d'Anvers que certains ports français, même s'il s'agit d'approvisionner le Centre de la France ; qu'est-ce que ce serait si cela se passait à quelques kilomètres de part et d'autre de la frontière ?