…sur la reconstruction de l'Afghanistan, qui se tient ce matin à Paris. Ce qui explique ma présence sur vos bancs, au désespoir de M. Loncle ! (Sourires.)
Il me revient donc l'honneur de présenter à votre approbation la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qui est une avancée majeure dans le domaine de la protection et de la défense des droits de l'homme, et ce plus de quinze ans après le dernier grand texte onusien en matière de droits de l'homme, la convention sur les droits de l'enfant. La convention soumise à votre examen s'inscrit en effet à la suite d'autres grands instruments normatifs élaborés par les Nations unies : le pacte international relatif aux droits civils et politiques, la convention sur les droits économiques, sociaux et culturels, les conventions contre la torture, la discrimination raciale ou à l'encontre des femmes et la convention sur les droits de l'enfant. Il s'agit de lutter contre le crime que constitue l'oubli atroce de victimes laissées sans mémoire et de familles privées de deuil.
Il convient d'abord de rappeler le rôle de la France dans la genèse de cette convention et sur les objectifs de celle-ci. Notre pays a en effet joué un rôle décisif en poursuivant sans relâche, pendant près de trois décennies, son effort diplomatique. Car ce projet voit ses racines remonter à une période tragique : les dictatures latino-américaine et leur cortège, de sinistre mémoire, de rassemblements dans des stades et de disparitions muettes et définitives, notamment en Argentine. Trente ans après, ce thème est toujours d'une actualité odieuse.
L'adoption par consensus de cette convention, en décembre 2006, par l'assemblée générale des Nations unies, a couronné trente années d'efforts de notre pays qui, dès 1978, avec l'Argentine, fut à l'origine de l'inscription de ce sujet à l'ordre du jour des Nations unies, en présentant une résolution à l'assemblée générale.
C'est également un expert français, M. Louis Joinet, qui a rédigé la première mouture du projet de convention ; c'est encore la France qui a présidé, du début à la fin de ses travaux, le groupe ad hoc d'experts qui, au sein du conseil des droits de l'homme, ont élaboré le projet de convention aujourd'hui soumis à votre examen. C'est enfin la France qui, en reconnaissance de son rôle majeur, a eu le privilège, exceptionnel et dérogatoire pour une convention des Nations unies, d'accueillir, en février 2007, la cérémonie d'ouverture pour la signature de cet instrument juridique, qui a rassemblé cinquante-sept États.
Ajoutons que l'adoption de cette convention n'allait pas de soi. Un certain nombre d'États, et non des moindres, y étaient hostiles ou réticents. C'est parce que nous avons su nous mobiliser sans relâche, aux côtés des ONG, des familles des victimes et de nos partenaires, notamment latino-américains, que nous avons pu bâtir patiemment et pas à pas le consensus qui a permis que ce texte soit entériné par l'ensemble des États membres des Nations unies.
Quels en sont les objectifs ? Auparavant, permettez-moi de rappeler succinctement ce que recouvre le concept de disparition forcée. En pratique, des hommes, le plus souvent en civil et armés, se présentent chez une personne – défenseur des droits de l'homme ou opposant politique – et l'emmènent de force, sans explications, vers une destination inconnue. Lorsque ses proches s'enquièrent de son sort auprès des autorités, celles-ci ne répondent pas à leurs sollicitations, ou bien elles ouvrent formellement une enquête qui n'aboutit jamais ou se conclut par un non-lieu. La torture et bien souvent la mort attendent ces disparus, dont l'existence est passée sous silence. Leurs familles demeurent parfois durant des décennies dans la douleur de l'attente et l'incertitude d'un retour improbable, sans jamais pouvoir faire leur deuil. C'est à ce crime odieux que nous souhaitons mettre un terme définitif, et ce en toutes circonstances, en temps de guerre comme en temps de paix.
Loin d'être un phénomène isolé, les disparitions forcées sont encore monnaie courante. Selon les données des Nations unies, 535 personnes en ont été victimes en 2005, et 41 000 cas n'ont toujours pas été élucidés depuis 1980 ! Initialement circonscrites au continent sud-américain, ces disparitions affectent désormais tous les continents et toutes les zones de conflit. Le projet de convention contre les disparitions forcées permettra de remédier à ces dénis de la dignité humaine.
Comment, me direz-vous ? Ne s'agit-il pas là d'un texte incantatoire, emprunt des meilleurs sentiments mais dépourvu de toute portée pratique ? Je ne le pense pas, car l'élaboration de cette convention a été guidée, selon notre souhait, par deux exigences majeures : la prévention et la justice.
Ce texte est tout d'abord un instrument de prévention. Il instaure en amont des mécanismes efficaces : les États parties s'engagent à interdire les détentions secrètes et les lieux de détention non officiels, mais aussi à renforcer les garanties procédurales entourant la mise en détention. Ce texte joue ainsi un rôle fondamental en matière de prévention de la torture et prohibe certaines pratiques trop souvent constatées dans le cadre de la lutte anti-terroriste. De même, il oblige les États parties à incriminer les disparitions forcées et à poursuivre leurs auteurs ainsi que leurs commanditaires.
Enfin, il prévoit un mécanisme de suivi innovant. Ainsi, le comité des disparitions forcées, en plus de fonctions classiques comme l'examen des rapports des États relatifs à la mise en oeuvre de la convention et des plaintes individuelles, jouera un vrai rôle préventif : il pourra lancer des appels urgents et effectuer des visites sur le terrain en cas de violation grave, voire saisir l'Assemblée générale des Nations unies de toute situation de disparitions forcées généralisées ou systématiques.
En aval, la convention satisfait l'impératif de justice, en premier lieu par l'assurance donnée aux proches de pouvoir connaître la vérité sur le sort du disparu et les circonstances ayant entraîné sa disparition. Elle ouvre également aux victimes un droit à la réparation des préjudices subis, quelle que soit leur forme, dont l'exercice sera facilité par un régime de prescription particulièrement favorable aux victimes, dont la durée tiendra compte de la particulière gravité du crime.
Enfin, la convention autorise l'annulation de toute adoption qui aurait pour origine une disparition forcée.
Pour toutes ces raisons, il est urgent que la France ratifie ce texte dans les meilleurs délais. Notre pays doit être parmi les premiers États parties à cette convention, parce qu'il a joué un rôle moteur dans la genèse de ce texte, mais aussi et surtout pour contribuer à son entrée en vigueur rapide : quatre pays seulement ont à ce jour ratifié la convention sur les vingt nécessaires. La France se doit de devenir le cinquième État partie, et, au-delà, de continuer à se mobiliser pour que ce texte acquière très rapidement une force juridique contraignante.
Dans cette perspective, notre pays a pris l'initiative, dès 2007, de créer un groupe des amis de la convention, chargé de favoriser l'universalisation de ce texte et de promouvoir sa signature et sa ratification par le plus grand nombre d'États. Tel est aujourd'hui notre objectif.
En mars dernier, la France a également fait adopter de façon consensuelle par le Conseil des droits de l'homme une résolution appelant l'ensemble des États à adhérer le plus rapidement possible à cet instrument. Soyez assurés que nous redoublerons d'efforts afin d'atteindre cet objectif, si cela est possible, au cours de la présidence française de l'Union européenne.
En cette année, soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui fut, comme vous le savez, proclamée à Paris, nous devons plus que jamais réaffirmer la primauté de la dignité humaine et des droits de l'homme face à la tentation de l'oubli qui guette les nouvelles générations, à la montée du relativisme culturelle, mais aussi face à certaines dérives qui ont pu être observées ici ou là dans le cadre de la nécessaire lutte anti-terroriste menée par certaines démocraties. La convention sur les disparitions forcées est un outil essentiel de ce combat pour respecter le droit des hommes et des femmes.
En autorisant aujourd'hui la ratification de cette convention, vous rendrez hommage à l'action de notre pays ; vous affirmerez que, pour la patrie des droits de l'homme, il ne s'agit pas d'une formule creuse et incantatoire, dénuée de sens et de portée pratique. Au-delà, vous adresserez un message d'espoir aux victimes, à leurs familles et leurs proches, mais aussi à tous ceux qui, de par le monde, croient en l'universalité des droits de l'homme et comptent sur notre pays – comme toujours – pour la faire prévaloir.