Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour autoriser l'approbation de la décision du Conseil de l'Union européenne du 7 juin 2007, relative au système européen de ressources propres.
Si l'on considère, en ce 12 juin 2008, que l'Union européenne est à la croisée des chemins, cela vaut tout particulièrement pour son budget. En l'état actuel, le système des ressources propres présente un certain nombre d'imperfections qui se sont cristallisées tout au long de l'histoire de l'évolution du budget communautaire. Aujourd'hui, elles ne sont plus soutenables. Peu lisibles, les mécanismes correcteurs ainsi que les mécanismes destinés à les compenser – rabais sur le rabais – sont loin de contribuer à la transparence. De même, ce système de ressources propres n'instaure aucun lien entre les institutions européennes et les citoyens.
Le fait que les ressources propres n'en soient pas vraiment, dans la mesure où le budget communautaire se compose essentiellement des contributions des États membres – à près de 70 % – contribue en effet à accréditer, auprès des citoyens, l'idée que l'Union dispose d'un « droit de tirage » sur la richesse nationale, comme le souligne le sénateur Denis Badré.
Face à ce constat, la présente décision « ressources propres » ne procède pas à une refonte complète mais à un simple ajustement. Les modalités d'application du rabais britannique sont modifiées, mais le mécanisme correcteur est maintenu dans son principe. En outre, la baisse du taux d'appel de TVA a pour effet d'accroître mécaniquement le volume du chèque britannique. Cette décision est un pas dans le bon sens, mais se révèle loin d'être suffisante. Pour notre part, nous pensons que l'examen du présent projet de loi doit être l'occasion de s'interroger sur les enjeux de la réforme du financement de l'Union européenne.
Premier enjeu : la nécessité de réviser le budget. En effet, réformer le budget se révèle être aujourd'hui une ardente obligation. En décembre 2005, les États membres se sont accordés sur les perspectives financières 2007-2013. Cependant, ils n'ont pu aboutir à un compromis qu'au prix de la mention, dans l'accord, d'une clause de révision budgétaire à l'horizon 2008-2009. On peut d'ailleurs s'interroger sur la fonction et le bien-fondé de ces clauses de rendez-vous qui conduisent à toujours reporter les décisions à une période ultérieure, contribuant à créer sans cesse de nouveaux reliquats des décisions précédentes. Cela entrave durablement la progression de l'intégration communautaire dont ils constituent, en quelque sorte, le prix à payer pour pouvoir réformer.
En effet, les négociations ont montré que la structure des dépenses et des recettes, au vu de l'évolution actuelle des priorités et des attentes, devait être profondément modifiée. À cette fin, la Commission a pris l'initiative de lancer une consultation en vue d'initier un processus de révision budgétaire. Selon nous, sa structure, sa méthode et ses objectifs doivent innover. Nous les examinerons successivement.
Sur la méthode, trois points doivent plus particulièrement être mis en lumière. Il convient tout d'abord de redéfinir le lien entre moyens et objectifs. Trop souvent, on exige une restriction des dépenses de l'Union européenne en même temps qu'un accroissement de son engagement politique. Cela ne peut plus être le cas. Les dépenses doivent correspondre aux objectifs politiques. L'Union européenne doit d'abord définir ses objectifs politiques, puis leur affecter les moyens correspondants.
Ensuite, il convient de procéder simultanément à la révision du budget et à celle des principaux postes budgétaires de l'Union. Cela a été fait lorsqu'il a été décidé de procéder au bilan de santé de la PAC, tout en cherchant à réformer le budget de l'Union. De même, une consultation a eu lieu sur les fonds structurels. Enfin, il convient de s'assurer du découplage de la révision du budget 2008-2009 avec les négociations sur les perspectives financières.
S'agissant de la structure du processus de révision budgétaire, la Commission européenne a commencé, au printemps 2008, la préparation de son projet de réforme du budget qu'elle présentera au plus tard en 2009. La prolongation de la période de consultation, si elle peut être justifiée, ne doit pas retarder les travaux de la Commission ni entraver la capacité d'impulsion de la présidence de l'Union.
L'objectif principal de révision budgétaire est quant à lui de parvenir à se départir de la logique comptable qui a conduit à la pérennisation du calcul des soldes budgétaires nets nationaux. Le principe du juste retour, qui veut qu'un État membre ne consente à participer au budget communautaire qu'à condition de voir financer de manière proportionnée les politiques communes mises en oeuvre sur son territoire, plombe véritablement les négociations financières. Plus grave encore, il conditionne les orientations politiques de l'Union. Les choix de politiques communes sont ainsi aujourd'hui totalement déterminés par des considérations financières. Enfin, le principe du juste retour ne tient pas compte de tous les bénéfices potentiels et non matériels générés par les politiques communes de l'Union.
Afin de dépasser la logique du juste retour, plusieurs moyens peuvent être mis en avant, tant du point de vue du fond que de la forme : tout d'abord la réforme de la procédure budgétaire ; ensuite, la création d'une nouvelle ressource propre qui pourra prendre la forme d'un impôt européen ; enfin, l'affectation au budget communautaire de fonctions traditionnelles dévolues aux budgets nationaux. Autrement dit : quelle procédure de décision budgétaire, quel impôt européen et quel type de budget européen ? Sur la forme, la refonte de la procédure de décision budgétaire, comprise dans son sens large, permettra de dépasser le principe du juste retour.
Examinons ces différents points de manière plus détaillée, en commençant par la procédure de décision budgétaire. Afin que le budget de l'Union européenne soit en rapport avec ses objectifs politiques, il doit être procédé à une profonde réforme des mécanismes de décision qui façonnent l'issue des négociations budgétaires. Ce qui ne se borne pas à la procédure institutionnelle ; cela inclut également les accords informels, les logiques de négociation ainsi que les usages. Le processus décisionnel est dominé par les États membres, souvent contraints par des procédures institutionnelles internes qui limitent leur mandat de négociation, avant même qu'ils n'aient pu présenter leur proposition à Bruxelles. La mesure du succès est souvent résumée au meilleur compromis possible en termes de contribution nette.
La logique comptable a été encouragée par plusieurs facteurs. Tout d'abord, le fait de négocier simultanément des recettes et des dépenses conduit à se focaliser sur les contributions nettes. Il apparaît aujourd'hui nécessaire de négocier préalablement les principes définissant les dépenses avant qu'il ne soit procédé à leur ventilation en volume.
Par ailleurs, négocier pour une période de sept ans conduit les États membres à vouloir maximiser leurs gains. Ils ne peuvent faire autrement pour une période aussi longue. En outre, la faiblesse du lien entre les cycles budgétaires et les cycles politiques au niveau européen explique qu'il n'y ait pas de responsabilité politique claire pour le budget au niveau de l'Union européenne.
Enfin, négocier à l'unanimité n'incite guère les partenaires au compromis. La procédure de l'unanimité paraît relever de plus en plus de la gageure. On peut se demander si les vingt-sept États membres associés à une Commission et à un Parlement dont les pouvoir budgétaires vont croître très sensiblement parviendront, avec ce type de procédure, à s'entendre sur un accord.
Intéressons-nous maintenant à la création d'une nouvelle ressource propre. Sur le fond, la création d'un impôt européen permettra, selon nous, de dépasser la logique du juste retour. Instrument de lisibilité, ce prélèvement permettra de simplifier la structure actuelle du budget, divisée entre les ressources propres traditionnelles – droits de douane et prélèvements agricole –, la ressource TVA et la ressource fondée sur le revenu national brut des États membres. Instrument de citoyenneté, il permettra de tisser un lien plus direct entre les citoyens et l'Union européenne. Effectuer un prélèvement au titre du financement des politiques communes européennes permettra une identification et une appropriation plus grandes de la part des citoyens par rapport au budget communautaire. Instrument d'efficacité enfin, ce prélèvement pourrait permettre de créer des incitations à remplir les objectifs des diverses politiques communes. L'efficacité du financement communautaire s'en trouverait ainsi améliorée.
Un certain nombre de propositions ont déjà été émises en faveur de la création d'une ressource propre perçue par l'Union auprès des citoyens et des entreprises. Ce système conférera à l'Union non pas la souveraineté fiscale, mais le droit de bénéficier d'une certaine proportion de prélèvements fiscaux. Neutre fiscalement, il ne constituera pas une charge supplémentaire pour les citoyens. Il faut désormais passer à la mise en oeuvre et prélever des ressources propres au nom de l'Union. Il n'y a là rien d'extraordinaire si l'on se souvient des origines de l'Union et de la Communauté du charbon et de l'acier, financée uniquement par un système de ressources propres, ou du traité de Rome de 1957, lequel ne prévoyait un financement par des contributions nationales que de manière provisoire.
Les travaux relatifs à un impôt sur les bénéfices des entreprises, une TVA européenne ou encore une écotaxe sur les émissions de carbone peuvent être menés plus avant. Les parlements nationaux doivent être étroitement associés, car ils sont des acteurs incontournables de ce processus. La collaboration qui existe avec le Parlement européen doit être, dans ce cadre, poursuivie et approfondie.
Une fois cet impôt européen créé, au service de quel budget européen doit-il être prélevé ? La logique du juste retour peut être surmontée par l'affectation au budget européen de fonctions traditionnelles dévolues aux budgets nationaux. On peut ainsi se poser la question de savoir quel type de budget européen l'on souhaite. Afin de développer une véritable politique de relance, le budget européen doit pouvoir assurer des fonctions de stabilisation, d'affectation et de redistribution. Le seul moyen de mettre fin aux mécanismes compensatoires entre États membres est de mettre en oeuvre des mécanismes de redistribution.
Afin d'être en mesure de financer des grands travaux d'intérêt général européen, l'Union européenne pourrait, par exemple, avoir une capacité d'emprunt sur les marchés internationaux. Selon nous, il existe un lien, dans le cadre des politiques de promotion de l'emploi, entre, d'une part, la capacité d'emprunt et, de l'autre, l'aide à la croissance économique et la lutte contre le chômage. Le financement de la stratégie de Lisbonne implique notamment un certain nombre d'investissements en matière de recherche, de formation et d'infrastructures. Ceux-ci pourraient représenter demain les grands chantiers d'intérêt général qui redonneraient une impulsion à l'Union. Avec un budget limité et réduit à la portion congrue, nous ne parviendrons jamais qu'à un grand marché à solidarité limitée.
L'un des corollaires indispensables pour assurer ces fonctions est une augmentation significative du budget européen. Il ne peut en être autrement. La France ne peut plus demander un plafonnement du budget à 1 % tout en exigeant d'être un bénéficiaire net. La proposition socialiste en faveur d'un budget européen responsable et tourné vers l'avenir s'inscrit donc dans le cadre d'une véritable politique de relance.
Par ailleurs, l'Union européenne doit, grâce à son budget, se doter d'un véritable dispositif de protection contre les risques nouveaux liés à la mondialisation. Alors que les États, isolés, ne peuvent rien face à la nouvelle organisation de l'économie mondiale, l'Union européenne seule possède la taille critique pour assurer une régulation. Des initiatives existent déjà en ce sens, qui montrent que le dispositif est en cours d'élaboration. En 2006 a ainsi été créé un fonds européen d'ajustement à la mondialisation, le FEM, destiné à apporter une aide ciblée à la réinsertion professionnelle des travailleurs ayant perdu leur emploi par suite de modifications majeures de la structure du commerce mondial. Ce nouvel outil est mis en place pour la période de janvier 2007 à décembre 2013, mais le montant annuel maximum qui lui est alloué ne peut excéder 500 millions d'euros, ce qui reste trop faible au regard des besoins criants en matière de réintégration sur le marché du travail.
Tous ces instruments doivent permettre d'amorcer et de maintenir un cycle de croissance durable et d'investissement élevé. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'en matière d'investissement européen, la France ne s'est pas montrée très volontariste. Cette logique comptable de plafonnement des dépenses l'a conduite, dans le cadre de la loi de finances pour 2008, à réduire sa contribution à l'Union européenne afin de ne pas dépasser le seuil de déficit public autorisé par la Commission.
Quatrième et dernier sujet : la révision budgétaire et la présidence française.