Monsieur le président, je ne suis pas une parlementaire chevronnée, mais, ce matin, je me sens écartelée entre la commission à laquelle j'appartiens – elle doit nommer des rapporteurs – et l'hémicycle.
À la veille de Noël, notre assemblée avait déjà été saisie en urgence d'un texte qui devait définir les dérogations au repos dominical. Face à l'émotion soulevée, et faute de réunir une majorité – la majorité est d'ailleurs aujourd'hui aussi peu nombreuse qu'alors –, ce texte avait été retiré.
Pendant les vacances d'été, sur l'injonction de l'Élysée, comme vous venez de le rappeler, monsieur le président, nous devons à nouveau débattre en urgence d'une proposition de loi dont la longueur du titre souligne l'ambiguïté. Quelle hypocrisie de prétendre « réaffirmer le principe du repos dominical », alors qu'il s'agit surtout de multiplier les dérogations en la matière !
C'est qu'entre-temps, notre pays a connu un incident diplomatique majeur : Mme Obama et ses filles ont voulu visiter les magasins parisiens un dimanche (Sourires sur les bancs du groupe SRC), et M. Sarkozy a dû téléphoner lui-même pour demander leur ouverture en toute illégalité.
Nous devrions donc comprendre qu'il y a urgence à discuter à nouveau de ce texte. Il y a urgence à modifier une nouvelle fois le code du travail ; il y a urgence à déréguler un peu plus le travail des salariés à temps partiel. Surtout, il y a urgence à légaliser l'illégal, l'usage constaté, et à étendre l'ouverture du dimanche à tous les commerces des communes touristiques.
Lors des voeux à la nation, en 2007, le Président de la République a annoncé qu'il voulait bâtir une société où la vie serait plus facile. À qui donc s'adressait ce message ? « La vie plus facile » pour qui ? Certainement pas pour les employés des commerces qui sont, pour 70 %, des femmes. En effet, ce texte ne répond nullement à l'attente de ces salariés. Une étude sur les conditions de travail, publiée en mai 2009 par le ministère de l'économie et par celui du travail, réalisée par la DARES, souligne – parmi de nombreux autres points – que les salariés dont les horaires sont atypiques sont ceux qui subissent le plus de contraintes. Il s'agit majoritairement de femmes ayant des emplois à temps partiel, le plus souvent non choisis. Plus de la moitié d'entre elles travaille moins de vingt-deux heures par semaine. On comprend que l'on veuille les faire travailler plus le dimanche pour qu'elles gagnent plus !
Selon cette étude, 15 % d'entre elles travaillent moins de quinze heures par semaine, le plus souvent en CDD, avec une disponibilité de tous les moments, entre neuf heures trente et vingt et une heures ou vingt-deux heures dans les grandes surfaces.
Lorsque le temps partiel est imposé, les horaires le sont également à 74 % – il n'y a aucun volontariat – et il n'est pas possible de trouver un autre emploi pour le compléter. Ces horaires atypiques, flexibles et toujours différents sont entrecoupés de pauses insuffisamment longues pour rentrer chez soi et alourdissent sérieusement les charges familiales, en imposant une multiplication des déplacements, ainsi que des gardes d'enfants à des horaires auxquels la nourrice coûte plus cher. Quant à la famille, quand elle est géographiquement proche, elle risque de se fatiguer si elle est également sollicitée pour s'occuper des enfants le dimanche.
Lorsqu'il était ministre, M. Xavier Bertrand avait annoncé qu'il voulait que les crèches soient ouvertes sept jours sur sept, avec de grandes amplitudes horaires, ce qui suppose que les salariés travaillent et le soir et le dimanche. Or il oublie qu'une fratrie comprend des enfants d'âge différent. Que feront les pères et mères célibataires de leurs enfants plus âgés ? La télévision servira-t-elle de baby-sitter ? Les communes devront-elles ouvrir des garderies le dimanche ?
Quant aux salariés qui travaillent ou qui sont prêts à travailler le dimanche, dont vous nous parlez si souvent, ils le font très rarement par plaisir. Il s'agit surtout pour eux d'améliorer leurs fins de mois, compte tenu de la faiblesse des salaires et du temps de travail dans les secteurs concernés. C'est ainsi que l'on en vient à travailler le dimanche pour essayer de gagner un peu plus.
En effet, comment vivre avec 850 euros par mois pour 35 heures par semaine ? Je ne cite pas ce chiffre par hasard : c'est la proposition qui a été faite à une jeune femme après qu'elle a répondu à une offre d'emploi. Responsable de son stand 35 heures par semaine, elle gagnera 850 euros par mois, auxquels s'ajouteront des primes en fonction des ventes pour atteindre le SMIC. Quant à son jour de repos, il sera variable. Cela se passe en 2009, à deux pas de l'Assemblée, dans un grand magasin chic du centre de Paris. Telle est la dure réalité que vous refusez de voir.
Votre proposition de loi est surtout révélatrice de l'exploitation de ces femmes et de ces hommes qui perçoivent des salaires trop faibles et sont soumis à une organisation défaillante du temps de travail. Aussi votre texte est-il un leurre : il concernera davantage de salariés que la précédente loi. La réaffirmation du droit au repos dominical est un leurre, car ce droit pourra disparaître si la commune est classée commune touristique. Le volontariat et les contreparties sont des leurres. Votre texte aggrave la situation existante et détruit l'équilibre créé par la loi de 1906, qui avait su concilier la nécessité légitime d'ouvrir les commerces le dimanche et les fondements de l'organisation sociale.
Les amendements ne suffiront pas. En effet, notre débat porte, non pas sur des détails, mais sur des principes, des choix de société. Une majorité de salariés considèrent comme primordial que le dimanche reste le jour de repos commun. La conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle est un souci majeur. Or le dimanche est le temps de la famille, du repos. Il permet de prendre du temps pour soi et pour les autres, de pratiquer des activités cultuelles, sportives, culturelles ou associatives. C'est la France des bénévoles, la France conviviale et généreuse des rencontres et des échanges.
La Déclaration universelle des droits de l'homme affirme que « toute personne a droit au repos, aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable du temps de travail ». Quant à la Charte sociale européenne, ratifiée par la France en 1999, elle proclame, dans son article 2, que « les parties signataires s'engagent à assurer un repos hebdomadaire qui coïncide autant que possible avec le jour de la semaine reconnu comme jour de repos par les traditions et usages du pays ».
Le Président de la République fait de cette loi une question personnelle, voire un symbole. Nous, nous en faisons une question de justice, d'égalité, une question de société qui a trait aux droits de l'homme. Le marché n'a pas toujours raison, la crise nous l'a rappelé. Cette société-là, ce n'est pas la nôtre. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)