Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, comme je l'ai indiqué en commission des lois, notre discussion découle d'un choix fait en 1992, lors de la révision précédant la ratification du traité de Maastricht. Le constituant avait, en effet, prévu de transférer les compétences à l'Union européenne au cas par cas. Il en résulte qu'à chaque fois que la France veut ratifier un nouveau traité, nous sommes obligés de réviser la Constitution. Ce fut le cas pour Maastricht, pour Amsterdam ; ce fut aussi le cas en 2003 avec la décision-cadre portant sur le mandat d'arrêt européen. Ce n'est sans doute pas la dernière fois que nous procédons à ce genre de révision. Cette procédure extrêmement lourde est difficilement compréhensible par l'opinion. Combien de fois nous a-t-on en effet dit que nous allions aujourd'hui ratifier le traité de Lisbonne, alors que nous ne procédons qu'à une révision préalable au traité dont la ratification ne sera autorisée que lorsque le Congrès se sera prononcé. Nous pourrions donc envisager l'hypothèse que la Constitution prévoie une clause générale de transfert de compétences en faveur de l'Union, comme cela existe dans d'autres pays de l'Union européenne. Cela ne tuera pas le débat de fond portant sur l'obligation ou non de ratifier un traité. Sur un plan technique, rien dans la Constitution et dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne s'oppose à ce principe d'une clause générale de transfert de compétences. Il n'y a même pas de risque politique qu'une telle clause permette la ratification d'un traité contre la volonté du peuple ou de ses représentants, puisque, la révision acquise par le Congrès, c'est au moment de la ratification du traité que se noue le vrai débat. Le précédent de 2005 l'a montré : la révision a été largement adoptée, mais la ratification n'a pas été autorisée. Une clause plus générale permettrait donc de se limiter au seul référendum autorisant la ratification dès lors que la révision se contenterait d'indiquer que la Constitution n'est pas contraire au traité dénommé.
S'agissant de l'objet de notre révision, le débat européen me semble gagner en véhémence, mais régresser tout autant en substance. Il suscite des vocations de procureurs et de témoins à charge, plus rarement d'avocats. Certes, en l'espèce, ce traité n'est pas le meilleur possible, mais ce n'était pas davantage le cas de tous ceux qui l'ont précédé. Jean Monnet écrivait dans ses mémoires à propos du traité de Rome : « Je ne me suis pas demandé si le traité pouvait être meilleur. Il correspondait à tout le possible du moment et à la sagesse de l'époque. » Ce n'était donc pas enthousiasmant au moment de la signature du traité. Pourtant, la trace que ce traité a laissée dans l'histoire est bien différente. Il a réalisé concrètement l'utopie européenne de la paix par l'échange, douze ans seulement après un conflit mondial qui avait laissé notre continent exsangue.
Ce qui fut vrai en 1950 l'est toujours. Une aventure aussi ambitieuse que la construction européenne passe forcément par des phases de doute et d'anxiété, par des erreurs et des maladresses, par des contradictions et par des crises. Mais, au final, l'histoire a toujours fini par rendre justice à ces petits pas. Aussi, tentons de prendre un peu de recul. Essayons d'imaginer ce que les générations futures retiendront de ce traité qui nous amène à réviser notre Loi fondamentale. Je crois qu'il pourrait signifier plus qu'une imparfaite tentative d'adaptation des institutions à une union qui compte désormais vingt-sept États membres. Après le traité de Rome qui permit la paix et qui fut le seul traité signé entre puissances belligérantes européennes, après celui de Maastricht, qui fut celui de l'unification de l'Europe après la chute du mur de Berlin, – donnant raison à Willy Brandt qui avait affirmé que « maintenant peut croître ensemble ce qui appartient au même ensemble » – Lisbonne pourrait bien marquer la réunification définitive d'un continent enfin affranchi de l'encombrant héritage de Yalta.
Ce texte est donc un outil, non un aboutissement. Il importe moins pour ce qu'il dit que pour ce qu'il porte en germe. Il autorise enfin la confrontation des projets politiques à l'échelle de notre continent, notamment dans la perspective des élections européennes de 2009. C'est une porte qui s'ouvre. Voilà pourquoi il aurait été normal d'organiser un référendum. M. Lequiller écrit d'ailleurs dans son rapport d'information que, sans la légitimité de l'acquiescement des citoyens, rien n'est possible.