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Intervention de Jean-Marc Ayrault

Réunion du 15 janvier 2008 à 21h30
Projet de loi constitutionnelle modifiant le titre xv de la constitution — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marc Ayrault :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé des affaires européennes, mes chers collègues, au moment où le Président de la République exhume cet étrange concept de « politique de civilisation », un véritable projet de civilisation se trouve en danger depuis au moins deux ans alors qu'il mérite toute notre attention : c'est l'Europe. Modèle de civilisation en effet, que d'avoir fait d'un continent divisé par l'histoire, la première et la plus grande communauté de nations et de peuples. Modèle de civilisation que d'avoir réussi pacifiquement à l'installer au coeur de la vie de nos populations. La démocratie, l'État de droit, la protection sociale constituent notre patrimoine. De Brest à Vilnius, de Nicosie à Glasgow, la moitié des législations nationales sont d'origine européenne. L'euro est notre monnaie de tous les jours. L'élargissement a permis aux nouveaux pays membres de combler avec une rapidité stupéfiante l'immense retard économique et social qu'ils accusaient avant leur adhésion. Je pourrais multiplier ainsi les exemples de cette force exceptionnelle d'intégration au quotidien. L'Europe est devenue un mode de vie, un modèle de civilisation. C'est sans doute la plus grande et la plus belle de ses victoires et l'exigence démocratique en est le corollaire. En effet, dès lors que l'Europe intervient dans la vie des gens, quoi de plus normal qu'ils exigent d'avoir leur mot à dire sur ses décisions, sur les directives et sur les traités ?

Partout dans l'Union, les opinions publiques se sont passionnées pour le référendum sur le traité de Maastricht puis pour celui sur la constitution européenne. Des élections nationales dans un pays européen peuvent désormais devenir un enjeu national dans un autre pays membre. Une opinion publique européenne émerge actuellement et exprime massivement son refus de la guerre en Irak ou sa solidarité avec des pays partenaires et amis frappés par des attentats terroristes, comme ce fut le cas de l'Espagne ou du Royaume-Uni. Nous participons désormais d'un débat commun à tous les Européens.

Je ne crois pas que nos gouvernements aient pris la mesure de cette aspiration participative. Ils en sont encore trop souvent à la conception des années soixante où l'Europe était considérée comme un sujet trop complexe pour intéresser les citoyens. Ils en sont restés à ce que j'appellerai le filtre démocratique qui consiste à confier aux gouvernants le soin de négocier, et aux parlementaires celui de ratifier. Ce qui était accepté dans la phase de construction initiale de l'Europe, ne l'est plus dès lors que l'Union est devenue un véritable espace politique et démocratique. À trop souvent refuser d'associer directement les peuples aux grandes décisions européennes, et parce qu'ils ont cru qu'une victoire aux élections nationales valait quitus pour leur politique européenne, les dirigeants de l'Union n'ont pas vu monter la déception des catégories populaires et de la masse des citoyens face à une Europe dont ils ont sous-estimé le manque de réponses aux problèmes structurels du chômage, des inégalités, des délocalisations, de la vie chère et de la précarité. Votre majorité, madame la garde des sceaux, monsieur le secrétaire d'État, porte à cet égard une responsabilité écrasante. Cette majorité – même si vous n'en faisiez pas encore partie avant 2007, monsieur le secrétaire d'État – n'a cessé de se défausser de ses propres échecs sur le dos de l'Union. C'était tellement pratique quand ça n'allait pas de dire : c'est la faute de l'Europe ! Même si ces propos ne sont pas l'apanage de votre seule majorité, combien de fois les avons-nous entendus de sa part lors de la précédente législature ? Le « non » au référendum de 2005 sur le traité constitutionnel a été la réponse populaire à cette impéritie politique et démocratique, et nous ne pouvons pas faire comme s'il n'avait pas existé. La plupart des pays européens n'ont pas ratifié le traité constitutionnel par voie référendaire – seule l'Espagne et quelques autres font exception –, ils confient souvent que s'ils avaient convoqué un référendum, le risque d'une réponse négative aurait été important – et c'est le cas pour de grand pays comme l'Allemagne. Il faut en prendre conscience.

Certains commentateurs, en 2005, ont reproché au Parti socialiste d'avoir appelé à l'organisation d'un référendum et d'avoir pris le risque de mettre l'Europe en danger. En tant que fervent militant de l'Europe, je continue d'assumer ce choix collectif. Avec François Mitterrand, avec Jacques Delors, avec Lionel Jospin, nous n'avons cessé de vouloir rendre l'Europe accessible aux citoyens. Nous avons pesé pour qu'elle devienne populaire dans tous les sens du terme, dans ses politiques comme dans ses procédures. C'est le coeur même de notre identité de socialistes et d'Européens, et j'ai la conviction que l'histoire nous donnera raison.

Je me souviens de Maastricht et quelques-uns ici s'en souviennent peut-être mieux que moi. Quand François Mitterrand a pris le risque d'envisager un référendum, nombre de ses conseillers, de ses proches, de ses ministres lui avaient dit : « Vous faites une faute politique, vous prenez le risque de mettre l'Europe en péril. » Mais François Mitterrand avait compris qu'il était essentiel que le peuple français puisse se prononcer, les électeurs ont ainsi pu le faire en répondant « oui » au référendum, à quelques milliers de voix près. Et aujourd'hui, l'euro – l'un des éléments essentiels du traité de Maastricht – est la monnaie de nombreux Européens et elle n'est pas contestée, même s'il y a toujours des nostalgiques du franc ou du mark. C'est en permettant aux citoyens de se prononcer, que ceux-ci pourront s'approprier pleinement l'Europe. En la dissimulant, on finira par rendre l'Europe impopulaire. Voilà pourquoi nous sommes pour le traité de Lisbonne. Voilà pourquoi nous sommes pour la consultation populaire par le référendum.

Les Français ne sont pas gens obtus et fermés. Ils ont parfaitement perçu le poids de leur choix de 2005. Ils ont vu les dirigeants de l'Union prendre conscience des impasses d'un libéralisme échevelé. Ils ont évalué les dégâts engendrés par la paralysie politique de l'Union. Ils voient aussi les États-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde et bien des pays émergents avancer à pas de géant pendant que l'Union se perd dans un débat institutionnel sans fin. Je suis convaincu que, dans leur majorité, les citoyens de notre pays souhaitent sortir de cette crise.

Ce qui manque aujourd'hui à l'Europe, c'est une impulsion politique, une capacité de décider plus vite, plus simplement. La principale vertu du traité de Lisbonne, ce n'est pas la seule, mais elle est essentielle, c'est de sortir l'Union de sa paralysie politique.

En effet, je crois qu'il faut dépasser le clivage entre le « oui » et le « non ». Je n'ignore pas ce qui s'est passé en 2005 et au lendemain du référendum, j'avais d'ailleurs été l'un des premiers à plaider, ici même, en faveur d'un traité plus court et plus lisible reprenant les parties institutionnelles et sociales – je pense à la Charte des droits fondamentaux – du traité constitutionnel qui faisaient consensus. Le même esprit prévalait dans l'idée d' « Europe par la preuve » défendue par Ségolène Royal durant la campagne présidentielle. Réconcilier les Européens du « oui » et du « non », les Français du « oui » et du « non » est une obligation, une ardente obligation démocratique.

Si le résultat de l'élection présidentielle avait été différent, nous aurions sans nul doute négocié un traité plus ambitieux et moins dilué.

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