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Intervention de Serge Blisko

Réunion du 30 avril 2009 à 15h00
Suppression du délit de solidarité — Article 1er

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Blisko :

Je comprends mal ce qui est en train de se produire, monsieur le ministre. Les propos de Mme Lebranchu et de M. Le Bouillonnec ont largement éclairé ce que vous feigniez de ne pas comprendre : aucun d'entre nous n'a prétendu que les condamnations pleuvaient ! Pourtant, chacun – M. Le Bouillonnec comme M. Rogemont – décrit un climat d'intimidation fait de pressions et de gardes à vue. Faut-il rappeler que la garde à vue est une privation de liberté, même brève, puisque le contrôleur général des lieux de privation de liberté est habilité à visiter les lieux où elles se produisent ? Or, les gardes à vue, les convocations et autres intimidations s'appuient sur cet article, dont nous demandons la suppression.

Il ne s'agit donc pas ici de refaire la politique de l'immigration. M. Le Bouillonnec a rappelé à juste titre que cet autre débat devrait par ailleurs avoir lieu avec – ou plutôt contre – vous, monsieur le ministre. Aujourd'hui, il ne s'agit que de dire que cet article, que M. le rapporteur et l'ensemble de nos collègues socialistes dénoncent, est, dans le contexte actuel d'intimidations et de politique du chiffre, une véritable épée de Damoclès. C'est un instrument qui permet d'intimider des militants associatifs, voire des salariés – nous évoquions plus tôt cette assistante sociale de France Terre d'Asile, que j'ai rencontrée. Paradoxe extraordinaire : France Terre d'Asile dispose d'une délégation de service public pour gérer certains centres tels que des CADA, centres d'accueil des demandeurs d'asile, et, dans le même temps, cette association est menacée de poursuites au titre de l'article L. 622-1. Voilà qui illustre combien cet article est malsain.

Il a été rédigé il y a plus de soixante ans, dans un contexte bien différent. Aujourd'hui, vous avez raison, monsieur le ministre : c'est parce qu'il existe des filières mafieuses qui envoient des gens en Occident – et en France, notamment – dans des conditions désastreuses, qu'il faut distinguer entre ceux qui se contentent de recharger un téléphone portable, de donner un peu de nourriture ou de prêter leur douche, et les vrais truands. Ignorer cette distinction, c'est faire preuve de duplicité, puisque l'épée de Damoclès ne pèsera pas sur les filières à combattre, mais sur les braves gens.

D'autre part, M. Ayrault le disait tout à l'heure et je le répète, afin d'éviter tout faux débat : nous ne croyons pas que notre pays puisse accepter sans examen tous ceux qui y demandent l'asile ou, depuis l'étranger, demandent à le rejoindre. Jamais le parti socialiste n'a souhaité des régularisations et des entrées automatiques sur le territoire, une sorte de Schengen généralisé où la circulation planétaire des personnes, sans aucun critère, serait autorisée ! Puisque la Ligue des droits de l'homme a été citée, je rappelle que Victor Basch lui-même, avant-guerre, examinait chaque dossier avant de le présenter au ministère de l'intérieur de l'époque, car il savait la nécessité de tenir compte de critères de sélection. De même, il va de soi que nous tenons ces critères pour nécessaires. À ce titre, je rappelle que vous avez supprimé l'un des critères de sélection fondamentaux, celui de la présence sur le territoire. M. Chevènement l'avait fixé à dix ans, M. Debré à quinze. Hélas, vous avez suspendu cette exigence de présence continue, qui témoigne d'une volonté d'intégration, même sans papiers. Ce faisant, vous avez déréglé un processus d'intégration qui, pendant des années, a fonctionné tant bien que mal – même si certains d'entre nous, comme certaines associations critiques, auraient souhaité qu'il soit amélioré ; au moins disposions-nous de cette soupape de sécurité, que vous avez supprimée.

Par ailleurs, la simple évocation du respect de la loi n'est pas satisfaisante, M. Le Bouillonnec l'a relevé. La meilleure preuve, c'est que la Convention européenne des droits de l'homme interdit le refoulement dans leur pays d'origine de certaines personnes eu égard aux dangers ou à l'instabilité de ces pays. C'est un paradoxe : on ne reproche pas à la France de refuser le droit d'asile mais on lui demande de ne pas exécuter le retour. Cela conduit à des situations inextricables qui concernent des milliers de cas que nous connaissons tous bien, vous, votre ministère, le ministère de l'intérieur, les préfectures, les tribunaux administratifs.

Cette question ne peut se réduire à l'annonce d'un nombre de reconduites à la frontière parce que c'est aussi un signal tout à fait péjoratif que vous donnez. De plus, je ne comprends pas qu'on puisse se vanter du fait que ce nombre soit plus élevé d'année en année, comme si le fait de passer de 27 000 à 28 000 l'année suivante signifiait la résolution du problème. Et si les conditions géopolitiques provoquent l'arrivée de 10 000 personnes ? Cela a été signalé tout à l'heure, cette année, la France est le pays d'Europe qui a eu le plus grand nombre de demandes d'asile alors que ce n'était pas le cas les années précédentes. Cela montre bien que nous sommes un point d'aboutissement, malgré tout ce que nous avons pu faire, et il faut continuer à agir pour recevoir dignement les personnes qui demandent l'asile et celles qui se le voient accordé.

Notre pays ne sort pas grandi de cette sinistre comptabilité quand des hommes, des femmes, affolés, humiliés, terrorisés se jettent par la fenêtre par exemple – excusez-moi d'être trivial mais c'est arrivé –, quand des enfants de moins de trois ans sont arrêtés à six heures du matin. Ce matin encore, à Niort, une famille avec deux enfants en bas âge a été emmenée à 500 kilomètres, à Nîmes, parce que, nous dit-on avec cynisme, là est le seul centre de rétention qui peut accueillir des bébés et des enfants en bas âge. C'est épouvantable ! Quelle image donnons-nous à nous-mêmes et à toutes ces associations ? Quelle image donnons-nous à l'étranger ?

Monsieur le ministre, je ne suis pas de ceux qui comparent cette situation à celle qui prévalait pendant l'occupation allemande lorsque les forces de l'État français arrêtaient des enfants, des femmes et des vieillards. Je n'ai jamais voulu employer ce genre de comparaison, elle n'est pas juste.

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