D'autant plus que, même s'il y avait absence de condamnation, il serait inexact d'en déduire que la loi n'est pas appliquée. Bien au contraire : lorsque l'article L. 622-1 fonde une interpellation par les forces de l'ordre ou une garde à vue, cela constitue assurément une application de la loi. De même, une personne peut se voir notifier par cet article le refus lors d'une décision administrative, ce qui est aussi une application de la loi, notamment dans le cas d'une demande de naturalisation. Mais ce sont là des cas que vous n'évoquez jamais, monsieur le ministre, dans les explications que vous donnez, tout cela n'étant par ailleurs pas quantifié aujourd'hui.
Pour que nous débattions enfin sur des faits, c'est-à-dire sur les termes précis d'une modification de la loi et sur rien d'autre, je vous rappelle le contenu de nos propositions : ne sanctionner l'aide au séjour irrégulier que dans le cas où elle serait commise à titre onéreux, c'est-à-dire en fonction d'une contrepartie quelle qu'en soit la nature, ce qui fait écho à la directive européenne du 28 novembre 2002, tout en étendant sa portée à la lutte contre les réseaux de passeurs ; substituer le terme de « transit » à celui, trop général, de « circulation » ; dépénaliser l'aide au séjour qui serait apportée par toute personne physique ou morale agissant dans le but de préserver l'intégrité physique de l'étranger ou sa dignité ; soustraire enfin à toute sanction pénale l'aide au séjour apportée dans le cadre d'établissements et de services sociaux agréés par l'État.
La rédaction large de cet article L. 622-1 transforme tout « aidant » en un délinquant présumé. C'est à cela que nous voulons mettre fin, d'autant que les exemptions de poursuites prévues à l'article L. 622-4 sont insuffisantes. Les amendements présentés en 2003 par la gauche au projet de loi de Nicolas Sarkozy visaient à introduire des garde-fous. Ces amendements étaient donc cohérents avec l'ambition, inspirant la directive européenne, de mener contre les passeurs une lutte qui ne soit pas au détriment des personnes aidant au séjour de façon désintéressée. Le Gouvernement n'a à l'époque accepté que ceux créant le troisième alinéa de l'article L. 622-4, qui est néanmoins insuffisant pour éviter la poursuite des bénévoles.
Plutôt que de les inquiéter, reconnaissons ensemble que ces personnes, ces « aidants » bénévoles au séjour, assimilés dans la loi aux passeurs, incarnent par leurs gestes de solidarité l'honneur de la République et la tradition française, cette tradition mise en mots et en musique par Georges Brassens lorsque, plutôt que les « gens bien intentionnés », il préfère louer celles et ceux qui ont donné « quatre bouts de bois » ou « quatre bouts de pain quand dans la vie il faisait froid ou faim ». Qu'il s'agisse des salariés de structures agréées par l'État, de bénévoles associatifs, ils exercent de fait des missions de service public. Et, s'ils étaient absents, s'ils renonçaient, fatigués des intimidations, chacun sait que la situation serait plus grave encore.
Eh bien, ceux-là ne nous demandent qu'une chose aujourd'hui – et je pense particulièrement à cette femme que j'ai vue récemment à Calais, dans le cadre de mon rapport, qui ne s'adressait pas à moi en tant que député de gauche, mais à nous tous, chers collègues, en tant que législateurs, et qui m'a dit, le visage un peu fatigué car elle avait préparé les repas qu'elle était en train de servir : « Faites que nous ne soyons plus hors-la-loi » ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Aussi, je m'adresse solennellement à vous, monsieur le ministre, à vous chers collègues de la majorité : si nous sommes bien d'accord sur la nécessité de poursuivre les réseaux de passeurs et d'exempter en revanche de poursuite les aidants bénévoles, écrivons donc ensemble la loi, mettons enfin en oeuvre cette collaboration législative que vous nous faites miroiter tout en fermant la porte à nos propositions. Vous en avez l'occasion à cet instant.
Monsieur le ministre, afin d'achever de convaincre mes collègues, permettez-moi de citer les propos que vous avez tenus sur France Inter, le 8 avril dernier au matin, à propos du concept d' « aidants ». Vous avez dit : « Peut-être que le mot qui a été mis dans la loi de finances était maladroit, car c'est une catégorie administrative qui couvre les organisateurs, les passeurs… Il aurait peut-être fallu dire, pour que ce soit clair, les trafiquants, pas les bénévoles. » Or, cette « catégorie administrative » des « aidants » n'est pas là par hasard : elle n'est que le résultat de la rédaction actuelle de l'article L. 622-1, qui ne distingue pas les bénévoles des réseaux de passeurs.