Monsieur le secrétaire d'État, depuis septembre 2008, on dénombre près d'un demi-million supplémentaire de personnes privées d'emploi, principalement des jeunes, des ouvriers, salariés précaires en CDD ou intérim peu qualifiés. Voilà votre bilan.
D'un mois à l'autre, les chiffres du chômage n'en finissent pas de s'envoler. En mars, 63 400 personnes supplémentaires se sont inscrites à Pôle emploi, portant à 2,5 millions le nombre de demandeurs d'emploi en France, DOM non compris, sans parler des personnes en sous-activité, en formation, en situation inacceptable ou inadéquate d'emploi.
La situation dans les quartiers défavorisés classés en ZUS était déjà passablement dégradée, comme en atteste le bilan dressé récemment par la DARES. Rien de surprenant alors que ces populations soient les premières victimes du surchômage et de la pauvreté.
En un an, le nombre de jeunes inscrits au chômage a bondi de 57,2 %. Au cours des six derniers mois, la mission locale de Gennevilliers a vu son activité augmenter de 30 %. Je n'ai pas décelé dans les annonces récentes de M. Nicolas Sarkozy ou de M. Martin Hirsch relatives à l'emploi des jeunes une quelconque volonté de l'État de se réengager dans le financement des réseaux des missions locales, et d'élargir ainsi le panel de réponses aux problèmes d'emploi, de formation, mais aussi de santé, de logement, d'accès à la citoyenneté particuliers aux jeunes.
Plus globalement, ni l'audace ni l'ampleur de ce plan en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes ne m'ont frappé. Seules les organisations patronales ont approuvé sans réserve ces mesures « zéro charge » pour l'embauche d'apprentis et la « prime contrat de professionnalisation ».
Domine un sentiment de resucée de mesures standard d'aide aux entreprises à l'emploi des jeunes, mesures insuffisantes face à l'urgence de la situation, que viendra aggraver cet été la sortie du système scolaire de 60 000 jeunes. Le financement de ce plan suscite, quant à lui, beaucoup d'interrogations. Les 1,3 milliard annoncés sont-ils comptabilisés dans les fonds récupérés par le fonds d'investissement social ?
Mais ce n'est là qu'un exemple du décalage entre la parole et les actes concrets du chef de l'État, de son gouvernement et de sa majorité, lesquels restent sourds à la réalité de la violence faite à nos concitoyens ainsi qu'aux risques induits d'atomisation du corps social de notre pays.
Il n'est que de voir les difficultés aiguës auxquelles doivent faire face les responsables d'agences locales de Pôle emploi pour mesurer l'ampleur inégalée de la crise économique et sociale que traverse notre pays.
Face à l'afflux massif de nouveaux chômeurs, on constate que la fusion de l'ANPE et de l'Unedic a eu un impact négatif tant sur le travail quotidien des agents que sur le service rendu aux usagers. Cette fois, ce n'est pas la crise qui est en cause, mais bel et bien le Gouvernement, qui s'est contenté de mots – qualité, accompagnement renforcé – pour rendre acceptable sa réforme visant à libéraliser le marché de l'emploi, sans préparer le service après-vente de ce changement majeur, notamment en anticipant le recrutement et la formation des agents.
De surcroît, le Gouvernement n'a pas réagi promptement au surnombre de chômeurs en limitant à 4 % des effectifs des deux institutions les recrutements supplémentaires, soit 1 840 agents, là où les besoins étaient estimés à 5 000 conseillers supplémentaires, réservant ainsi à des sociétés privées le soin de suivre dans leur parcours de réinsertion 320 000 demandeurs d'emploi inscrits, dont 150 000 licenciés économiques, et 170 000 personnes éloignées de l'emploi.
L'importance inédite, l'urgence de la demande sociale sont également mesurables aux prévisions exponentielles du nombre d'allocataires du RSA, aux 30 000 dossiers CAF en souffrance, à l'explosion du nombre d'appels journaliers ou encore aux millions de courriers.
La crise va crescendo. Notre société, nos territoires portent les stigmates de la casse économique et sociale consécutive à la faillite du capitalisme de casino. Pas un jour ne passe sans l'annonce du même cortège de suppressions de postes, de restructurations, de charrettes de licenciements économiques, de réduction d'activité. Caterpillar, Continental, La Fnac, Goodyear, La Redoute, Les 3 Suisses, Saint-Gobain, Valeo, Whirlpool, Mittal, PSA, Renault, la liste des entreprises est longue et malheureusement non exhaustive. Difficile de dresser la liste des entreprises sous-traitantes touchées indirectement mais de plein fouet par l'irresponsabilité d'aucuns ne connaissant pas la crise, préférant toujours fragiliser la situation des salariés, détruire l'emploi pour continuer à satisfaire les exigences des actionnaires.
La crise a souvent bon dos. Malgré le retournement de la conjoncture au second trimestre, n'oublions pas que, l'an dernier, les entreprises du CAC 40 ont réalisé 75 milliards d'euros de bénéfice net, chiffre très inférieur aux profits réels. Cette année, les mêmes réduisent le coût de la masse salariale et ont liquidé des milliers d'emplois, CDD et intérimaires.
On peut citer aussi Total, qui supprime 555 postes tout en annonçant des bénéfices records de 14 milliards, ou Caterpillar, qui, malgré des dividendes en augmentation de 19 %, supprimera 600 emplois sur ses sites français, plus 1 500 emplois en comptabilisant l'impact chez les sous-traitants. Citons encore les laboratoires Pfizer, qui suppriment 1 061 emplois alors qu'ils ont versé 5,5 milliards de dividendes en 2007 et triplé leur bénéfice net au troisième trimestre 2008.
Mesdames, messieurs de la majorité, il ne suffit pas de s'émouvoir de l'attitude de ces patrons, encore faut-il essayer de mettre un terme à ces abus, à cette fuite en avant. C'est la raison pour laquelle notre groupe a déposé une proposition de loi visant à prendre des mesures urgentes afin de rendre impossibles les licenciements économiques effectués dans des entreprises ayant réalisé des bénéfices, distribué des dividendes, délocalisé leur production ou reçu des aides publiques.
L'actualité fourmille d'exemples de grands dirigeants qui osent encore se goinfrer en avalant de dodus plans de stock-options, de moelleux parachutes dorés et retraites chapeaux, souvent après avoir bénéficié d'un substantiel concours financier de l'État, en recourant massivement au chômage partiel, le tout en s'assoyant sur leur promesse de ne procéder à aucun licenciement, comme l'avaient fait PSA et Renault.
Les salariés victimes de la « smicardisation » et du symptôme des travailleurs pauvres, n'arrivant déjà plus, avant même la crise, à vivre dignement de leur travail, surexposés à la fragilité par les conséquences brutales de cette dernière, sont exaspérés par le décrochage démesuré entre le montant moyen de la rémunération des dirigeants d'entreprise – 4,7 millions d'euros – pouvant aller jusqu'à 20 000 SMIC pour les plus riches et celui de la majorité d'entre eux.
Rien d'étonnant non plus, dans ce contexte de creusement exacerbé des inégalités et de déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment de l'emploi et des salaires, que des salariés, jugeant mauvaise la politique économique du Gouvernement depuis plus d'un an et voyant s'effondrer le mythe du « travailler plus pour gagner plus », recourent à des formes extrêmes de lutte pour tenter de négocier les conditions de leur départ ou de mettre en débat des solutions alternatives aux restructurations.
Les raisons de cette radicalisation des conflits sociaux sont aussi à rechercher du côté de l'attitude du Gouvernement qui se hâte lentement de résister à la crise et n'envisage pas de s'inscrire dans un avenir autre que celui du développement capitaliste, la preuve de son échec tant pour l'homme que pour son environnement fût-elle apportée.
Je partage l'analyse de Guy Droux, directeur de recherche du CNRS au CEVIPOF, selon laquelle « à sa manière le Président influence les radicalités ». De Mittal à Caterpillar, M. Sarkozy n'a cessé de promettre de sauver les sites, avec les résultats que l'on connaît. II a beaucoup tancé, menacé les patrons voyous, retrouvant des accents de la campagne présidentielle lorsqu'il fustigeait leur outrance et assurait faire voter « dès l'été une loi qui interdirait la pratique détestable des golden parachutes ». Depuis, cette perspective a été maintes fois agitée sans que jamais l'épée de Damoclès ne tombe. Je ne m'étends pas plus sur le décret cosmétique et scandaleux auquel nous avons eu droit.
Le Président de la République protège avant tout les siens et ne s'oblige pas à être exemplaire. Le plus gros plan de licenciement organisé en France n'est-il pas le fait de l'État, avec le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, soit la suppression de 30 000 emplois ?
Si aujourd'hui les Français soutiennent à 70 % les mouvements sociaux, comprennent et justifient les séquestrations de dirigeants, ne souhaitent pas à 64 % que leurs auteurs soient poursuivis, c'est qu'ils ont pris conscience de l'impasse dans laquelle les ont conduits les choix fiscaux, économiques et sociaux ultralibéraux de ces dernières années, lorsque la Grande-Bretagne était encore un de vos modèles. Dans la rue, en janvier et mars dernier, ils ont été nombreux à crier leur exaspération face à tant d'injustices, leurs inquiétudes face à l'avenir. Ils vous ont exhortés à revenir sur des réformes contre-productives renforçant les inégalités, clivant dangereusement notre société, desservant l'emploi et la croissance.
Oublieux des promesses d'hier, campant sur les choix passés, fussent-ils inefficaces, coûteux et profondément injustes – je pense évidemment au bouclier fiscal mais aussi au dispositif TEPA des heures supplémentaires –, droits dans vos bottes, vous vous arc-boutez sur des priorités qui n'en sont pas, telle la libéralisation du travail dominical, pour tenter de faire oublier l'impasse totale faite sur d'autres urgences, prioritaires elles, que sont la préservation de l'emploi, la relance par les salaires et la protection des personnes privées d'emploi.
Au-delà du verbiage sur la moralisation du capitalisme, aucune mesure structurelle n'est à attendre. Vous ne bougez pas les lignes afin d'éviter que la profonde récession ne se mue en une durable dépression. L'INSEE et l'OFCE tablent sur une croissance négative de notre économie – moins 2,5 à 3 % pour 2009, moins 0,2 % pour 2010 – avec comme conséquence la destruction massive d'emplois – 650 000 cette année et 300 000 l'année prochaine.
Vous n'ignorez pas ces perspectives pessimistes intégrant d'ores et déjà l'effet des mesures du plan de relance. Pourquoi vous accrochez-vous ainsi à ce plan contesté dans sa nature – la relance par l'investissement – son contenu au-delà de son montant et son efficacité, même par les dirigeants de PME ?
Après vous être trompé en déclarant que la crise n'était pas systémique, pourquoi tant d'entêtement, d'autisme, de mépris ? Tout simplement peut-être parce qu'avant tout, vous souhaitez que rien ne change, surtout pas les fondements de notre économie.
À rebours, nous considérons que cette crise doit être l'occasion de repenser la place de l'État social, le sens de notre modèle de développement. Nous sommes par ailleurs convaincus de l'urgente nécessité de la réorientation des politiques au service de l'emploi durable, de la formation, du renforcement des droits des salariés.
Dans le cadre restrictif des droits accordés à l'opposition, nous défendrons des propositions en ce sens le 28 mai prochain lors de notre journée d'initiative parlementaire.
Pour l'heure, nous ne pouvons que soutenir la démarche des députés socialistes en faveur de l'augmentation des salaires et de la protection des salariés et des chômeurs, tout en regrettant d'être privés, pour cause de censure, d'un vrai débat sur l'ensemble des mesures contenues initialement dans la proposition de loi, notamment celle envisageant la prolongation de six mois des droits à indemnisation de chômage des personnes en fin de CDD ou de mission d'intérim, qui sont actuellement très mal couvertes. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.)