L'élection présidentielle est passée. Mais, pour nous, les raisons de s'opposer aux peines plancher et, plus généralement, à ce projet de loi demeurent. Ces raisons figurent pour l'essentiel dans l'excellent rapport de notre regretté collègue Gérard Léonard, qui avait été rapporteur en 2004 de la mission de lutte contre la récidive, présidée par M. Clément, alors président de la commission des lois.
Je distinguerai deux raisons principales qui me paraissent mettre en cause le dispositif que vous nous proposez.
Premièrement, ce dispositif est inefficace. II n'aura pas le caractère dissuasif que vous supposez.
D'abord, parce qu'il est quelque peu illusoire de penser que des délinquants endurcis, des « délinquants d'habitude », comme on dit, soient sensibles à l'allongement de quelques mois de leur peine. Si c'était si simple, les pays anglo-saxons, notamment les États-Unis, auraient réglé leur problème de délinquance depuis longtemps. Les États-Unis ont le système répressif le plus féroce, notamment en matière de récidive ; malheureusement, ils ont aussi la délinquance la plus violente.
En France, que constate-t-on depuis quelques années ? Un allongement important des peines et des condamnations en augmentation pour faits de récidive. Les magistrats, madame la ministre, ne vous ont pas attendue pour faire preuve de plus de fermeté. Ils ont réagi au durcissement de la délinquance par l'allongement des peines, avec d'ailleurs des effets inattendus sur la population carcérale. Savez-vous qu' aujourd'hui, il y a un flux – si j'ose dire – moins important de délinquants incarcérés qu'il y a vingt ans. L'augmentation de la population carcérale s'explique uniquement par l'allongement des peines. Notre pays, malgré une population carcérale élevée pour l'Europe, est un de ceux qui a un des taux d'entrée en prison les plus faibles.
On ne peut donc pas dire que notre système pénal n'ait pas cherché à s'adapter à l'aggravation de la délinquance. Il l'a fait par l'allongement des peines, avec le succès pour le moins contestable que l'on connaît, puisque vous êtes amenés à légiférer régulièrement sur ce sujet. On ne peut pas dire qu'il n'existe pas de régime spécifique à la récidive, puisque la loi prévoit le doublement des peines en matière de récidive, considérée comme une circonstance aggravante.
Avec les peines plancher, vous nous proposez d'amplifier une démarche qui a largement échoué. Les professionnels de la justice : magistrats, avocats, travailleurs sociaux, personnels pénitentiaires, n'approuvent pas votre projet, car ils savent qu'il conduit à l'impasse. C'était d'ailleurs la conclusion du rapport de M. Léonard, qui suggérait d'autres pistes de réflexion.
À l'allongement des peines, il faut préférer la certitude de la peine et l'accompagnement des détenus pendant leur détention et à leur sortie d'incarcération. Il faut améliorer l'efficacité de notre système pénal, afin que chaque acte de délinquance soit sanctionné de manière adaptée et proportionnée.
Sur ce plan, l'urgence, c'est d'améliorer le taux de réponse pénale, notamment pour les délits.
L'urgence, c'est de garantir l'application des peines prononcées. Il n'est pas concevable – cela a été dit par Manuel Valls – que 30 % des peines ne soient pas appliquées dans notre pays
L'urgence, c'est d'améliorer l'information des juges pour qu'ils puissent effectivement relever la récidive.
L'urgence, c'est d'éviter les sorties sèches, qui sont encore trop nombreuses et qui sont un facteur important de récidive.
L'urgence, c'est de débloquer des moyens pour les services d'application des peines et de probation, afin d'assurer en prison et à la sortie un suivi personnalisé, social, voire médical et psychiatrique. Telles sont les priorités que vous devriez vous fixer.
Par ailleurs, ce dispositif est aveugle. Avec les peines plancher, vous restreignez de manière importante la mise en oeuvre du principe d'individualisation de la peine.
Ce n'est pas seulement un problème juridique de conformité à nos principes fondamentaux. L'individualisation de la peine, c'est d'abord la garantie d'une peine adaptée aux circonstances de l'infraction et à la personnalité de celui qui l'a commise.
L'individualisation, ce n'est pas le laxisme, ce n'est pas la faiblesse, c'est une peine juste pour la victime qui mérite réparation, pour l'auteur qui doit aussi pouvoir se réinsérer.
C'est pourquoi nous défendons ce principe qui doit s'exercer librement, sans entrave. C'est d'ailleurs, ce qu'avait décidé le législateur lors de l'élaboration du nouveau code pénal, considérant que le système des circonstances atténuantes était devenu absurde. Vous proposez aujourd'hui d'y revenir. Quel progrès !
Alors, certes, vous avez pris soin de prévoir des possibilités de dérogation aux peines plancher, pour le juge ou pour la cour d'assises. Dans les faits, cette possibilité existe en première récidive, mais est extrêmement restreinte en deuxième récidive.
Se pose aussi la question de savoir sur quel dossier, avec quels éléments d'appréciation, le juge pourra déroger aux peines plancher ?
Que vaut la latitude dans la loi si, dans les faits, elle ne peut être exercée ?
C'est pourquoi le Sénat et son rapporteur, M. Zocchetto, ont proposé deux amendements tendant à desserrer la contrainte sur le juge. L'un prévoyait les mêmes conditions de dérogation en deuxième récidive qu'en première ; l'autre imposait qu'une enquête de personnalité soit systématiquement réalisée pour que le juge puisse avoir les éléments d'information nécessaires pour exercer son pouvoir de dérogation. À ma grande surprise, vous avez rejeté ces deux amendements, émanant pourtant de la majorité sénatoriale et de son rapporteur, qui est un élu compétent et respecté.