Nous entamons la discussion du titre Ier de la loi, intitulé « Modernisation des établissements de santé ».
À ce titre, permettez-moi, puisque ce texte est présenté comme une réforme fondamentale pour l'avenir de nos établissements hospitaliers, de me projeter dans l'avenir par le biais d'un conte, d'une qualité littéraire sans doute moyenne mais qui traduit les interrogations que nous portons sur l'orientation de ce texte, interrogations qui peuvent se résumer dans une question plus générale mais élémentaire : où voulons-nous emmener l'hôpital ?
La scène se déroule dans un hôpital de province. Nous sommes en 2045, cent ans après la création de la sécurité sociale, dont les jeunes générations se souviennent vaguement comme d'un système de solidarité généreux et déficitaire, progressivement abandonné au profit d'une logique de rentabilité rapidement investie par des groupes de santé détenus par des fonds d'investissement multinationaux.
La modernisation, la rationalisation de l'hôpital engagée à partir du début du XXIe siècle s'est accélérée. Les mécanismes importés du secteur marchand, les règles du new management public s'imposent naturellement à tous, dans un système devenu ouvertement concurrentiel entre établissements. L'objectif est d'accélérer au maximum les réponses, tout en réduisant les coûts. Les crédits du ministère de la santé et de feu la sécurité sociale ont été rattachés directement au ministère du budget, et leur répartition entre les hôpitaux – ceux qui ont survécu à la carte hospitalière des années 2010 – se fait explicitement à partir de l'analyse de leurs performances.
Le décor est planté. À présent, la scène. Un jeune médecin fraîchement nommé responsable du service de gériatrie d'un établissement hospitalier de province reçoit une femme de 82 ans qui présente un cas classique de fracture du col du fémur nécessitant une intervention : une prothèse de hanche. Une consultation rapide du logiciel de contrôle de gestion de l'hôpital lui indique les tarifs en vigueur de la T2A version 111 pour l'acte en question. Ennuyé, il se rend compte que tout dépend du nombre de jours d'hospitalisation. Si l'opération se déroule bien, la patiente sortira au bout de six jours, et l'hôpital sera gagnant, le seuil de rentabilité atteint. Mais si des complications surviennent, l'hospitalisation durera plus longtemps et l'hôpital perdra de l'argent. Le jeune médecin fronce les sourcils. Il a en effet conscience qu'une partie de sa rémunération est variable, calculée selon des indicateurs de performance très clairs : volume d'actes médicaux mensuels, marges réalisées sur les opérations, nombre de personnels du pôle, taux de couverture.
Le jeune médecin décide de consulter le directeur financier de l'hôpital, son référent direct lorsqu'il est confronté à un cas compliqué. Ce monsieur, recruté il y a huit mois, a consacré une partie de sa carrière professionnelle à optimiser les profits des assureurs bien cotés du CAC. Dès son arrivée, il est intervenu directement dans les choix de la communauté médicale, veillant à ce que tout le monde respecte le mot d'ordre général qui régit l'hôpital depuis des années : « retour sur investissement ».
Suzanne, en plus de sa fracture du col du fémur, est atteinte de maladie d'Alzheimer. Son dossier vient d'ailleurs d'être refusé par la clinique voisine, qui renvoie systématiquement les patients lourds, peu rentables, vers l'hôpital. Le jeune médecin soupire, bien décidé à rejoindre à la première occasion son maître en médecine, expert renommé de la valve cardiaque artificielle implantable par cathéter, passé dans le privé trois ans plus tôt parce que ses conditions d'exercice ne lui permettaient plus d'exercer sa spécialité, mal tarifée à la T2A.
L'histoire continue, mais je m'arrête là.