Je me réjouis que l'empreinte écologique fasse l'objet d'une discussion dans cet hémicycle, tant ce sujet essentiel mérite que nous nous en emparions sans tarder.
Les activités humaines ont toujours eu un impact sur l'environnement, mais la conjugaison de la croissance démographique et du développement technologique a démultiplié cet impact au point que le prélèvement et la destruction des ressources naturelles de la biosphère dépasse le seuil en deçà duquel leur renouvellement n'est pas menacé.
Depuis la révolution industrielle, nous n'avons pas su anticiper pour adopter un modèle de développement qui évite le pillage des ressources, l'érosion de la biodiversité et la pollution des écosystèmes. L'urgence écologique – dont nous avons débattu à l'occasion du Grenelle – et le réchauffement climatique nous ont incités – un peu tard sans doute – à nous fixer des objectifs quantifiés, assortis d'échéances, conformément à un modèle de développement durable.
Outre la réactivité formidable qu'il implique, ce modèle pose le problème de la manière dont on va contrôler la réalisation de ces objectifs. Nous devons créer des outils d'évaluation continue qui nous éclairent sur les aménagements à apporter aux décisions et aux politiques publiques. C'est précisément le sens de la proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise : l'empreinte écologique peut constituer un tel outil.
L'empreinte écologique, c'est le calcul pour un individu, pour une population, pour un pays ou pour un continent, de la surface bioproductive nécessaire à la production et à la consommation d'un objet ou d'un service et à l'absorption des déchets produits. Cette notion, développée par l'association de protection de l'environnement WWF, renvoie directement à la notion de développement soutenable par la biosphère.
Au-delà des éléments de définition rappelés dans l'exposé des motifs de la présente proposition de loi, et du contexte dans lequel ce concept est apparu, dans le sillage du club de Rome et de la conférence de Rio de 1992, cet outil de quantification de la superficie virtuelle nécessaire à la production, à l'utilisation des ressources et à l'assimilation des déchets par une population définie disposant d'un niveau de vie donné, évoque d'autres approches plus anciennes telles que l'étude d'impact, le bilan carbone ou encore le profil environnemental – notions dont l'empreinte écologique souligne d'ailleurs les insuffisances. Plusieurs logiciels ont été développés pour affiner le calcul de cette empreinte, attribuant un rôle clef à des paramètres tels que l'alimentation, l'habitat et son entretien ou encore les transports.
Compte tenu de la superficie terrestre totale, six milliards d'êtres humains disposent chacun de 8,5 hectares, à partager avec la faune et la flore – qui ont comme nous des besoins incompressibles. Une fois soustraits les espaces peu productifs, qu'il s'agisse des glaciers, des déserts ou de la haute montagne, chacun ne dispose plus que de deux hectares utilisables. Décomptons encore les besoins essentiels des autres espèces et cette part descend à 1,5 hectare par individu. Hélas, aujourd'hui, un terrien a besoin de 2,5 hectares en moyenne. Il semble donc que l'empreinte écologique globale ait dépassé – et de loin – la biocapacité de la Terre, et ce depuis les années 1970 !
Aux déficits financiers et publics s'ajoute donc désormais une dette écologique. À cet égard, retenons l'idée de la valorisation des fonctions écologiques des écosystèmes et des espèces naturelles, qu'il convient de chiffrer et d'évaluer en vue de préserver la biodiversité et de faire cesser son érosion.
Toutefois, ces statistiques globales et moyennes masquent des inégalités criantes. Ainsi, en 2003, l'empreinte écologique était de 0,8 hectare par habitant au Kenya, 2,1 hectares au Brésil, 5,6 en France, 9,6 aux États-Unis et même 11,9 aux Émirats arabes unis. La moyenne de l'Union européenne atteignait 4,8 hectares, tandis qu'elle était de 0,8 hectare en Inde et de 1,6 hectare en Chine – encore que, dans ces deux derniers cas, elle ait dû beaucoup augmenter en six ans.
Que penser de ces statistiques ? Consolidées, elles révèlent que nous aurions besoin de trois planètes. Or, nous ne disposons pas d'une « planète de rechange », comme l'a découvert un peu tard Jacques Chirac effaré ! En effet, trois à huit planètes seraient nécessaires pour satisfaire sans péril les besoins d'une humanité dont l'empreinte écologique aurait le niveau de celle d'un Européen ou d'un Nord-américain. Faut-il pour autant se réjouir de ce qui pourrait apparaître comme le « bon score » de pays pauvres tels que l'Éthiopie ou la Somalie, dont les habitants ne consomment qu'une part minime des ressources mondiales, compte tenu de leur niveau de vie épouvantable et de leur très faible espérance de vie ?
C'est l'une des limites du concept d'empreinte écologique, qui pose sous un angle nouveau la question du progrès social, de l'accès aux technologies et de leur transfert, de la coopération internationale ou encore de la production et du partage des richesses. Que penser de l'empreinte écologique d'un pays industrialisé qui grève les ressources des pays du Sud et exporte ses pollutions ? Le calcul de son empreinte prend-il en compte l'impact des activités économiques et industrielles délocalisées, comme celui du PNB intègre la production nationale à l'étranger, tandis que le PIB ne tient pas compte de l'érosion de nos ressources et de la biodiversité ? L'empreinte écologique peut-elle constituer un outil de réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement fixés par les Nations Unies ? L'essor de la notion d'empreinte écologique risque-t-il de nous inciter à nous satisfaire d'une pauvreté dont l'impact est moindre, à nous laisser séduire par l'idéologie de la décroissance ? Voilà un débat passionnant !
Les théories de la décroissance, qu'il s'agisse de décroissance soutenable ou de décroissance équitable, sont toutes fondées sur un constat double. D'une part, la croissance économique issue de la révolution industrielle de la fin du XIXe siècle n'est pas durable, étant donné la raréfaction des ressources naturelles et les dégradations de l'environnement qu'elle engendre. D'autre part, les indicateurs économiques comme le PIB n'évaluent pas le coût environnemental de l'utilisation des ressources naturelles.
Dès lors, nos systèmes économiques et leurs indicateurs sont biaisés, puisqu'ils ne tiennent pas compte des coûts externes à des productions ou des activités données, faussant ainsi leur impact véritable sur les agrosystèmes et les écosystèmes, et sur la société en général. Dans ces conditions, la non-viabilité des systèmes de production et de consommation est masquée. Certes, on peut lever le voile sur le fait que produire un équivalent énergétique kilo-pommes de terre suppose d'en consommer deux. De là à prôner une société qui délaisse sa recherche scientifique et confine à l'anti-progrès technologique, il y a un pas que je ne franchirai pas.
L'empreinte écologique peut-elle se substituer aux indicateurs actuels défaillants, comme le PIB ? Je ne le crois pas. Néanmoins, cet outil doit servir à intégrer des paramètres environnementaux et sociaux dans le calcul de la croissance, via un coefficient pondérateur, afin d'en finir avec des indicateurs aveugles et ignorants de la réalité écologique – qui pourtant nous rattrape !
Patrick Jolivet, dans un article intéressant paru dans Les Échos, souligne bien les limites de cet outil, même si, pour ma part, je n'irai pas jusqu'à prétendre comme lui qu'il est incohérent, voire simpliste. Malgré les réserves légitimes qu'il peut susciter, il permet d'évaluer le niveau effectif de réalisation et d'exécution des objectifs de Kyoto, du Grenelle de l'environnement et de la Charte de l'environnement. Son caractère universel est responsabilisant, car il peut renseigner un individu, un foyer ou une collectivité autant qu'un pays ou un continent. À ce titre, il contribuera aux efforts encore à consentir pour atteindre des objectifs raisonnables en matière de protection de nos ressources naturelles.
C'est pourquoi, considérant que l'empreinte écologique n'est qu'un outil parmi d'autres pour apprécier les efforts à venir en matière de protection de la planète, le groupe socialiste votera ce texte et souhaite débattre de ses articles, dont la majeure partie reprend certains objectifs issus des discussions du Grenelle de l'environnement.
Chacun sait qu'aucun outil d'évaluation n'est parfait – le bilan carbone pas davantage que l'empreinte écologique ou le PIB. Néanmoins, monsieur le ministre, qui n'avance pas recule. Or, il y a urgence. J'ai pris acte de vos propos, et j'espère que nous pourrons rapidement examiner l'empreinte écologique comme un véritable outil – parmi d'autres – d'évaluation des politiques publiques. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe GDR.)