Monsieur le ministre d'État, monsieur le président, chers collègues, vous vous souvenez sans doute qu'en 2007, après l'élection d'un nouveau président de la République, avait été lancée une grande consultation des forces vives de la nation – syndicats ouvriers et patronaux, associations, collectivités territoriales et État –, appelée le Grenelle de l'environnement.
S'ensuivirent des tables rondes qui donnèrent lieu, le 25 octobre 2007, à un compte rendu et à un discours du Président de la République qui, en substance, annonçait : toutes les décisions publiques feront l'objet d'arbitrages prenant en considération leur coût pour l'environnement. Bonnes paroles !
À cheval sur la fin de 2007 et sur 2008, une phase plus juridique devait aboutir à la loi « Grenelle 1 », examinée ici il y a de cela quelques mois et actuellement en navette au Sénat. Nous espérons bien la voir revenir devant nous d'ici peu, ainsi que la loi « Grenelle 2 ». Il serait en effet dommage que les circonstances plus difficiles que traverse la France ralentissent l'examen de ces deux textes dont nous attendons beaucoup, même si notre groupe s'est abstenu en première lecture. Continuer dans la voie de ces lois Grenelle est en effet une manière de rendre l'espoir à notre pays.
Puisque, selon le Président de la République, toutes les décisions publiques doivent prendre en compte leur coût pour l'environnement, nous avions, au moment de l'examen de la loi Grenelle, insisté sur la nécessité de disposer d'un instrument de mesure de ce coût. Quand on cherche à relancer l'économie, on se réfère au PIB, un instrument que nous critiquons car c'est non seulement un agrégat – comme d'ailleurs l'empreinte écologique dont je vais parler –, mais il mélange des biens et des maux. Tout ce qui crée de la valeur peut être mesuré par le PIB, ce qui donne l'impression que la croissance de ce dernier est un bien en soi. Or la croissance du PIB peut être source de maux économiques, sociaux et écologiques.
À la différence du PIB, l'empreinte écologique mesure la violence de l'impact de nos activités sur l'environnement. Réduire l'empreinte écologique de notre pays, c'est réduire cette violence. Car cet indicateur ne mesure que des maux : plus il baisse, mieux on se porte – les humains et leur santé, la France et la planète – !
Au moment de l'examen de la loi Grenelle, il n'était question que de développement durable. Par le biais d'amendements, nous avions donc proposé d'utiliser l'empreinte écologique pour mesurer si ce développement était bien durable. Nos propositions n'avaient pas été adoptées, mais tout le monde – vous-même, monsieur le ministre d'État, et M. le président de la commission ainsi que Mme Kosciusko-Morizet – reconnaissait l'intérêt de l'idée, tant en expliquant qu'il fallait continuer les recherches pour arriver à un consensus vers 2009 ou 2010. Diverses instances étatiques comme le Commissariat général au développement durable ou le Conseil économique et social et environnemental devaient être saisies pour faire l'état des recherches et voir s'il serait possible d'adopter cet instrument un jour ou l'autre.
Qu'est-ce que l'empreinte écologique ? Elle se mesure en hectares, ce qui « parle à la vue » pour le grand public. Il s'agit du nombre d'hectares disponibles pour une population donnée – celle de la France par exemple – afin de produire les ressources qui lui sont nécessaires et d'absorber ses rejets en respectant les capacités de recyclage de la planète. Or cette absorption n'est pas toujours possible, comme le montre la comparaison entre l'empreinte écologique et la biocapacité d'un territoire – Paris, la France ou la Terre. Je précise que la biocapacité est la capacité qu'à un territoire de fournir des ressources à une population et d'en absorber les rejets sans perturbations majeures pour les écosystèmes.
Depuis une quinzaine d'années, quelques recherches universitaires ont montré que l'écart ne cessait de grandir entre l'empreinte écologique et la biocapacité d'un territoire donné. L'empreinte tend à croître, tandis que la biocapacité est limitée, même si elle n'est pas forcément constante et peut varier en fonction des données climatiques – la surface des terres arables ou les rendements agricoles ne sont pas strictement identiques d'une année sur l'autre. D'ailleurs, l'une des vertus de l'empreinte écologique est de nous apprendre que le monde est fini, qu'on ne peut pas ad infinitum en extraire des ressources, notamment quand elles ne sont pas renouvelables, non plus que rejeter des quantités croissantes de déchets dans les mers, les terres ou l'atmosphère.
L'aréopage de savants regroupés dans le Global footprint network, le réseau des personnes qui étudient l'empreinte écologique de la planète et qui est – en plus petit – l'équivalent de ce qu'est le GIEC pour le climat, nous explique que, depuis vingt-cinq ans, l'empreinte écologique de l'humanité a dépassé la capacité d'absorption de la Terre. Nous vivons donc au-dessus de nos moyens. En septembre 2002, dans son discours de Johannesbourg qui s'adressait évidemment aussi à nos concitoyens – j'étais pour ma part dans la salle –, le président Chirac a ainsi expliqué que, si tous les humains devaient vivre comme les Français, il faudrait deux planètes supplémentaires, c'est-à-dire trois Terres. C'est évidemment impossible.
Il est donc nécessaire de réduire l'empreinte écologique de certains pays : ceux qui ont dépassé leur biocapacité, c'est-à-dire les pays de l'OCDE et notamment la France, qui vit largement au-dessus de ses moyens. L'empreinte écologique d'un Français moyen se situe en effet à 4,9 hectares par an et par habitant, contre 2,9 hectares pour le terrien moyen, pour une biocapacité de la planète estimée à 2,1 hectares. Les moyennes mondiale et française se trouvent ainsi respectivement à 30 % et 150 % au-dessus du niveau qu'il faudrait observer.
Baisser l'empreinte écologique de la France est un impératif écologique, mais aussi social et économique. Monsieur le ministre d'État, je pense que cet objectif se situe dans la droite ligne des Grenelle de l'environnement 1 et 2, car l'empreinte écologique est un indicateur chiffré qui permet des comparaisons entre territoires, populations ou pays, mais aussi entre secteurs d'activité : transport, élevage, habitat, urbanisme, énergie, etc.
Cet outil est donc extrêmement flexible – « fractal », dirais-je si j'étais pédant : il sait s'adapter à toutes les échelles, qu'elles soient territoriales ou sectorielles. Il possède aussi une vertu pédagogique : tout le monde sait ce que représente un hectare et visualise donc bien la différence entre le Français qui utilise cinq hectares pour vivre et le Burkinabé qui se limite à un demi-hectare. Notre impact sur l'environnement est dix fois plus violent que celui du Burkinabé moyen !
Certains pays comme la Hongrie, la Finlande et l'Australie, ou encore le Pays de Galles, ont déjà adopté l'empreinte écologique comme indicateur principal de leur politique globale écologique et environnementale. Nous proposons de l'appliquer dans le cadre du Grenelle de l'environnement et, plus généralement, comme le souhaitait le Président de la République lui-même, de l'appliquer à l'ensemble des activités ayant un impact sur l'environnement. Chaque loi serait ainsi complétée par une étude d'impact et se verrait assortie d'un indicateur fiable et quantifiable permettant des comparaisons à la fois dans l'espace – avec d'autres pays – et dans le temps. Nous pourrions alors savoir si notre pays va vers la réduction souhaitée de son empreinte écologique.
Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi indique que la France devrait se munir de l'empreinte écologique comme outil principal d'évaluation environnementale de ses politiques publiques, et que les régions devraient commencer à mesurer cette empreinte avant 2012.
De la même manière qu'elle vise une diminution par quatre des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2050, la France devrait se fixer comme objectif de diviser son empreinte écologique par deux, ce qui serait en outre faire preuve de solidarité à l'égard de nos frères et soeurs des pays du sud. Enfin, les derniers articles de ce texte proposent des mesures concrètes : les cantines et autres restaurants des collectivités publiques devraient par exemple utiliser davantage de produits biologiques, qui sont moins nocifs pour l'environnement que ceux de l'agriculture productiviste, et davantage de produits locaux et saisonniers.