Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, pourquoi, au terme de cette brève discussion générale, défendre une motion de renvoi en commission ? C'est que, si présenter aujourd'hui une proposition de loi visant à démocratiser le mode de fixation des rémunérations des mandataires sociaux peut apparaître comme une bonne idée sur le fond, cette proposition est inappropriée sur la forme.
Cette idée, nous l'avions nous-même suggérée en mars dernier dans notre proposition de loi n° 1451 dite « Hauts revenus et solidarité », tant les rémunérations des grands patrons français ont progressé ces dernières années. Elles comptent en effet parmi les plus élevées d'Europe et contrastent avec celles de la grande majorité des salariés. Les dirigeants de ces entreprises tirent ainsi parti de la mondialisation, prétextant un alignement sur les rémunérations des grands patrons américains, alors que la même mondialisation justifie tous les sacrifices qu'on demande aux salariés.
Mais la forme de cette proposition de loi est inappropriée, car, après les scandales qui ont émaillé la dernière décennie et, plus récemment, cette période de crise financière, la commission des lois a décidé de créer une mission d'information sur le sujet, mission qui est sur le point de rendre ses conclusions. Son président, notre collègue Philippe Houillon, a considéré que l'on faisait ainsi un pied de nez à la commission. Je crains plutôt que la proposition de loi ne constitue qu'un effet d'annonce, tant elle est à la fois partielle – ne traitant que d'un seul aspect du sujet, la détermination de la rémunération des seuls mandataires sociaux des sociétés anonymes – et partiale, passant sous silence toutes règles de sanction et toutes mesures fiscales d'accompagnement.
Mais revenons à l'idée de fond qui devrait présider à la rédaction d'une telle proposition de loi. En réaction à la crise et à plusieurs polémiques impliquant des patrons allemands, la grande coalition du Bundestag a adopté il y a quelques jours une loi qui introduit toute une série de restrictions dont nous serions bien avisés de nous inspirer : responsabilité personnelle de dirigeants dont la justice reconnaît la gestion fautive ; franchise obligatoire de leur police d'assurance égale à un an et demi de leur rémunération ; exercice des stock-options après un délai de quatre ans passés dans l'entreprise ; composantes de la rémunération liées à la performance et versées seulement à la fin du contrat de travail ; obligation, pour le conseil de surveillance, de diminuer les salaires des membres du directoire lorsque la situation de l'entreprise se dégrade sérieusement. Nos amis allemands ont écouté et entendu le commissaire européen au marché intérieur, M. McCreevy, qui déclarait que « les systèmes actuels de rémunération des dirigeants ont trop souvent mené à des actions de gestion à court terme et parfois à une rémunération de l'échec ».
Il est effectivement temps d'en finir, mais pas comme cela nous est proposé aujourd'hui. Il nous faudrait plutôt suivre ce qu'a recommandé le Forum de stabilité financière : « utiliser la voie législative et parlementaire plutôt que l'engagement volontaire des entreprises », mais par une loi-cadre, qui aborderait sans tabou, comme l'ont fait nos amis allemands, tous les aspects de la question. Il n'est pas normal, en effet, que l'on assiste à une telle explosion des inégalités et, tout particulièrement, des rémunérations des dirigeants : plus de 40 % d'augmentation du pouvoir d'achat depuis 2002, alors que, pour 90 % des salariés, il est resté constant ; rémunération annuelle multipliée par quatre ou cinq et pouvant dépasser 4 millions d'euros, soit 300 fois le SMIC. Il n'y a aucune justification économique – ni le risque ni la performance – à un tel niveau de rémunération. Les stock-options, les bonus ne sont exercés que s'ils sont favorables, et les retraites chapeaux sont indépendantes de tout critère de performance. Dans ce système, on gagne à tous les coups !
Il n'est pas possible de proposer un texte sur ce sujet sans évoquer la question de la justice fiscale, et celle du bouclier fiscal se reposera forcément. Au moment où la crise économique exige l'effort de tous, il est profondément choquant que seuls les plus nantis de nos concitoyens soient exonérés de tout effort de solidarité.
Sur le fond, cette proposition de loi s'inscrit pleinement dans la suite du débat que nous avons eu à propos de notre proposition de loi du 30 avril dernier, relative aux « hauts revenus et à la solidarité ». Toutefois, elle ne prolonge pas assez le débat que nous avons eu sur ces mêmes sujets lors de la séance réservée à nos collègues du groupe GDR, le 28 mai dernier, au cours de laquelle fut discutée leur proposition de loi visant à « promouvoir une autre répartition des richesses ». On ne peut que regretter qu'elle concerne le seul « mode de détermination de la rémunération des dirigeants ». Désigner les décideurs en la matière par la loi ne suffit pas.
Si le renvoi à l'assemblée générale des actionnaires constitue un progrès, il convient d'indiquer clairement les règles et les modalités de la rémunération des dirigeants, qu'elle soit fixe ou variable, y compris les stock-options ou les actions gratuites.
On peut tout autant déplorer que la question des parachutes dorés ne soit pas directement abordée dans le texte proposé. C'était pourtant le sens de notre proposition de loi présentée le 30 avril dernier et rejetée par la majorité.
Sur la forme, la présente proposition de loi est constituée d'un article unique. Cet article supprime dans le code du commerce, à partir du 1er janvier 2010, les mentions selon lesquelles le conseil d'administration d'une société anonyme détermine la rémunération de son président, du directeur général et des directeurs généraux délégués, et l'acte de nomination du directoire et du conseil de surveillance d'une société anonyme fixe le mode et le montant de rémunération de chacun des membres du directoire.
En lieu et place de ces dispositions, le présent texte confie la détermination de la rémunération de tous ces mandataires sociaux – du président aux membres du directoire – à l'assemblée générale ordinaire des actionnaires, mais sur proposition du conseil d'administration ou du conseil de surveillance.
Toutes ces mesures sont nettement insuffisantes, eu égard à l'ampleur des inégalités salariales au sein de ces sociétés anonymes. Elles relèvent davantage d'une stratégie de communication et d'agitation de la majorité parlementaire en la matière. Elles sont dénuées de toute portée réelle et ne règlent nullement le problème de l'indécence des écarts salariaux au sein de ces grandes sociétés.
Elles sont également insuffisantes, tant elles passent sous silence l'ensemble des composantes de la rémunération des dirigeants, qu'il s'agisse des éléments fixes – salaire, avantages en nature, jetons de présence au conseil d'administration – mais aussi des éléments variables, liés ou non à des objectifs de performance, tels que les stock-options ou les attributions gratuites d'actions, ou encore des éléments exceptionnels – bonus, primes, assurances, retraite chapeau, prime d'arrivée – golden hello – et indemnité de départ – golden parachute. Peut-être disposerons-nous d'ici la prochaine proposition de loi de nouveaux termes et de nouvelles idées qui ne manqueront pas de surgir à l'esprit de ceux qui trouvent toujours comment améliorer la rémunération de ces dirigeants.
De même, cette proposition de loi est muette sur les contre-pouvoirs qu'il conviendrait d'instaurer et sur la transparence qu'il faut afficher. Rien n'y est dit par exemple d'un éventuel rapport ad hoc annuel sur les rémunérations. Ce rapport détaillerait pourtant la politique de rémunération de l'entreprise, les objectifs qu'elle poursuit, les modes de rémunération qu'elle utilise ou encore les critères sur lesquels ils reposent et leur mode de calcul. Il mettrait en relation les rémunérations et les performances individuelles des dirigeants, et indiquerait le coût total pour l'entreprise du départ d'un dirigeant s'il devait intervenir dans l'année à venir. Ce rapport serait élaboré par un comité des rémunérations, composé d'administrateurs indépendants, et ne pourrait délibérer qu'en l'absence des dirigeants, avant d'être validé lors de l'assemblée générale des actionnaires après avis des représentants du personnel.
Je constate également l'absence, dans cette proposition de loi, de toute allusion aux leviers de la réglementation et de la fiscalisation pour fixer des limites précises à chaque type de rémunération et à la rémunération globale des dirigeants. Les rémunérations dépassant un certain plafond pourraient rester soumises à l'impôt sur les sociétés et subir un taux d'imposition sur le revenu exceptionnel, par exemple. La rémunération variable pourrait être limitée à 100 % de la rémunération fixe. Pour ne pas transformer en « primes à l'échec » les retraites chapeaux et les clauses de non-concurrence, celles-ci pourraient être réservées aux dirigeants précédemment salariés de la société et être non cumulatives – la prime liée à la clause de non-concurrence étant présumée compenser une perte d'employabilité.
D'autre part, nous aurions pu poser la question de la déductibilité des salaires pouvant être comptabilisés comme charges d'exploitation, en les plafonnant. La notion de rémunération excessive figure dans notre code général des impôts. C'est une disposition dont la portée se limite en fait à ceux des entrepreneurs qui seront principalement visés par le texte qui nous est proposé – les chefs d'entreprise de PME ou TPE. Nous sommes très loin de la cible recherchée !
Ne mettons pas à l'index ceux qui n'ont pas à l'être. Prenons le temps d'aborder tous les problèmes que pose la question de la rémunération des dirigeants. Nos amis néerlandais l'ont fait ; nos voisins allemands viennent de le faire, en faisant porter la responsabilité au conseil dans son ensemble, si jamais les rémunérations au sein du directoire se révèlent inappropriées.
Nous n'en sommes pas là. Aussi, vous l'aurez compris, la réflexion entamée doit-elle se poursuivre. Notre mission d'information, dont je suis les travaux, est sur le point de s'achever. Bien des sujets y ont été évoqués. Ils constituent un tout cohérent, que la seule proposition de loi que nous examinons ne permet pas d'effleurer. C'est pourquoi, au nom de mon groupe, je vous demande de voter cette motion de renvoi en commission, afin de parachever le travail entamé.