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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 25 juin 2009 à 15h00
Rémunération des mandataires sociaux dans les sociétés anonymes — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après la proposition de loi relative aux hauts revenus et à la solidarité, défendue par nos collègues socialistes le 30 mars dernier, après le texte proposé par mon groupe le 28 mai dernier et tendant à promouvoir une autre répartition des richesses, c'est au tour de nos collègues du groupe Nouveau Centre de formuler une proposition de loi visant le mode de fixation des rémunérations des mandataires sociaux.

La question de la rémunération des dirigeants des entreprises cotées est devenue éminemment politique. Le constat s'impose en effet d'un décrochage radical entre la rémunération des salariés des grandes entreprises, dont le salaire net moyen a progressé de 1 % par an ces huit dernières années, et celle des équipes dirigeantes de ces mêmes entreprises qui a bondi de 70 %, voire de 150 %, sur la même période. Une part croissante de la richesse créée est confisquée au bénéfice d'une poignée d'individus. La croissance exponentielle de la rémunération des dirigeants des grandes entreprises, pour ne rien dire de celle de certains traders, qui gagnent parfois plusieurs dizaines de millions d'euros par an, est l'une des conséquences du dogme de la création de valeur pour l'actionnaire érigé en principe d'intérêt général et en unique boussole politique depuis 2002.

Les chiffres sont là. Ils sont accablants. Le centième des Français les plus riches détient à lui seul la moitié du patrimoine financier total. En dix ans, les 500 plus grosses fortunes françaises se sont enrichies de 150 milliards d'euros. Leur fortune représente désormais 14 % du produit intérieur brut de notre pays, contre 6 % il y a dix ans.

Si je rappelle ces chiffres, c'est pour souligner combien la mesure proposée par nos collègues du groupe Nouveau Centre paraît insuffisante. En effet, elle ne s'attaque pas à la question du partage de la richesse créée, qui est au coeur du sujet qui nous occupe, non plus qu'à l'épineuse question de la démocratisation du fonctionnement des entreprises.

Avant d'en venir aux motifs qui nous conduiront à contester ce texte, je tiens à remercier M. de Courson pour la qualité de son rapport et la richesse des éléments d'appréciation qu'il nous propose. Ce rapport met tout d'abord en exergue les limites des moyens législatifs mobilisés depuis huit ans, afin d'encadrer plus précisément – affirme-t-on – les modalités de rémunération des dirigeants mandataires sociaux. Nous en tirons notamment le constat que, par-delà les difficultés que soulève la diversité des composantes de cette rémunération, les mesures visant à accroître la transparence de l'information des actionnaires n'ont guère permis, en pratique, de mettre fin aux abus.

Notre collègue souligne à raison que, si la transparence et l'exhaustivité de l'information ne suffisent pas, il n'y a rien non plus à attendre de quelconques mécanismes d'autorégulation. La piste – qu'ont proposée certains de nos collègues UMP – de nouvelles conventions réglementées n'a pas plus de chance d'aboutir à un mode de rémunération équitable que le prétendu « code de bonne conduite » présenté par les organisations patronales, auquel seule Mme Lagarde semble encore vouloir accorder quelque crédit.

En vérité, les discours sur les mécanismes d'autorégulation ne servent probablement qu'à entretenir le statu quo et M. de Courson a raison, là encore, de souligner que les instances de décision, notamment les comités de rémunération, sont composées de personnes étroitement liées par une communauté d'intérêts. Il s'agit d'un milieu qui fonctionne en vase clos, totalement déconnecté des réalités extérieures, y compris des réalités de l'entreprise comme communauté de travail. Nous ne pouvons donc espérer voir ses membres se livrer à un quelconque exercice d'autocensure. L'annexe du rapport sur la composition des comités de rémunération est à cet égard édifiante.

Nous partageons donc la conviction qu'il est devenu indispensable de légiférer de façon à garantir des modes de rétribution plus justes, acceptables par tous, y compris par les salariés.

Faut-il pour cela se contenter de confier le pouvoir de décision en matière de rémunération aux assemblées générales d'actionnaires, comme le propose notre collègue ? Cette proposition nous paraît insuffisante et insatisfaisante. Elle laisse notamment entendre que la démocratie dans l'entreprise se résume au pouvoir accordé aux seuls actionnaires, c'est-à-dire aux propriétaires de l'entreprise. Cette conception de la démocratie est pour le moins curieuse. Pour employer une analogie, le Nouveau Centre se propose ici de transposer à l'entreprise les principes de la démocratie athénienne, avec, d'un côté, des « citoyens », les actionnaires, seuls habilités à gérer les affaires de la cité, et, de l'autre, des « esclaves », les salariés, qui ne comptent pour rien, ou pour si peu, ainsi que nous le constatons chaque jour. Ce sont ces mêmes salariés que le Gouvernement s'attache à priver de l'essentiel de leurs droits et à qui l'on continue obstinément de refuser tout droit de regard sur la gestion de leur entreprise, qu'ils connaissent pourtant bien. Ils sont, en somme, condamnés à demeurer de simples variables d'ajustement dans la gestion comptable des entreprises. Avouez qu'une telle définition de la démocratie sociale apparaît pour le moins anachronique, sinon scandaleuse.

Certes, les actionnaires assument des risques que les mandataires sociaux, contrairement à un argument répandu pour tenter de justifier leurs émoluments mirobolants, n'assument pas, n'étant pas eux-mêmes détenteurs du patrimoine. C'est sans doute ce qui motive à titre principal la proposition de nos collègues. Est-ce cependant une raison pour promouvoir une démocratie de propriétaires, en écartant délibérément les salariés et leurs représentants de tout dispositif de régulation et de contrôle ?

Par ailleurs, nous voyons mal en quoi le pouvoir confié à l'assemblée générale des actionnaires permettrait en pratique d'éviter les excès constatés depuis une dizaine d'années. Les cas du Danemark, des Pays-Bas, de l'Espagne ou de la Suède, qui ont adopté des mesures similaires à celles proposées par nos collègues, ne sont guère probants. De fait, le rapport ne cite que deux cas isolés où la consultation des assemblées générales d'actionnaires a eu de réelles répercussions sur la rémunération des dirigeants.

Pour notre part, il nous semble aujourd'hui indispensable de privilégier une tout autre voie, celle du plafonnement de la rémunération des mandataires sociaux. Le 28 mai dernier, nous avions proposé de plafonner ces rémunérations à vingt fois le salaire minimal pratiqué dans l'entreprise considérée. Si l'on considère que cette rémunération minimale est proche du SMIC, le plafond s'élèverait à environ 20 000 euros par mois ou 240 000 euros par an.

On observera d'abord que ce montant est voisin de celui de la rémunération des dirigeants de PME, lesquels perçoivent des rémunérations souvent bien moindres encore. Il est encore proche du montant fixé par M. Barack Obama pour les entreprises aidées par l'État fédéral américain. Il ne s'agit donc nullement d'un chiffre arbitraire.

Mais il convient surtout d'observer que l'Allemagne et les États-Unis ont adopté une attitude plus courageuse que le Gouvernement français, estimant que la question du plafonnement de la rémunération des grands patrons devait être posée et traitée sérieusement.

En France, le rapport entre la rémunération d'un dirigeant de grande société cotée et le salaire le plus bas de son entreprise dépasse aujourd'hui 300 pour 1. Il n'en était pas de même il y a seulement vingt ans et rien ne saurait justifier aujourd'hui semblable écart, pas même les performances de tel ou tel dirigeant, notamment quand lesdits résultats sont obtenus sur le dos des salariés et se paient par la multiplication des plans sociaux pour satisfaire les appétits des actionnaires.

La fixation d'un écart maximal de vingt fois le salaire minimal pratiqué dans l'entreprise permettrait en outre de s'assurer, dans l'hypothèse où celui-ci serait atteint, que les dirigeants ne puissent voir leur rémunération augmenter sans que les bas salaires croissent dans la même proportion.

Sans doute jugerez-vous cette proposition trop dirigiste – vous nous l'avez déjà dit. Quant à nous, nous la jugeons conforme à l'intérêt général et à celui de nos entreprises, conforme à notre pacte républicain, aujourd'hui menacé, tout comme la cohésion sociale, par les excès du libéralisme sauvage, dont la rémunération des dirigeants n'est qu'une illustration parmi d'autres.

C'est parce que nous ne croyons pas à l'autorégulation, c'est parce que nous ne croyons pas davantage à la prétendue sagesse des assemblées générales des actionnaires – qui ne se vérifie jamais dans les faits et ne résiste notamment pas à l'examen des causes de la crise financière actuelle – que nous ne pouvons que nous opposer à la proposition formulée par nos collègues, dont la prétention à démocratiser la gouvernance des entreprises nous paraît par ailleurs plus qu'incertaine.

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