Nous allons aujourd'hui remplir une mission bien singulière. Il nous est en effet donné une occasion formidable de rendre justice à des hommes et à des femmes qui paient depuis cinquante ans le tribut d'avoir servi la France, le tribut le plus lourd, celui qui affecte le corps et l'esprit.
Permettez-moi d'insister à mon tour sur l'injustice que subissent ceux qui ont participé aux essais nucléaires de 1960 à 1996.
S'agissant tout d'abord des vétérans des essais militaires et civils, conscients alors de l'importance de leur mission dans la stratégie de dissuasion de la France, je voudrais rappeler que si le risque est consubstantiel à la fonction militaire, si ceux qui servent savent qu'ils peuvent y perdre la vie, c'est à un risque connu, identifié, évalué, assumé, qu'il est fait référence.
Or les essais nucléaires que la France a effectués dans le Sahara et en Polynésie n'engendrent pas des risques de cet ordre-là. Les radiations, dont on méconnaissait alors les méfaits, sont des ennemis sournois, insidieux et qui tuent à petit feu.
Pour avoir obéi, pour avoir servi, ces vétérans ont subi l'odieux : la maladie, dont on sait la plupart du temps qu'elle est incurable, une vie quotidienne rythmée par les visites aux hôpitaux, les analyses et les scanners qui vous renvoient chaque jour un peu plus l'image de votre mort prochaine et, surtout, ce corps qui vous abandonne peu à peu.
Tous ne sont pas tombés malades, mais qui peut dire la souffrance de celui qui doute, scrute avec angoisse chacun de ses symptômes et se demande pourquoi il n'est pas atteint – et pour combien de temps encore – alors qu'un autre de ses collègues vient de partir ? C'est une souffrance réelle, trop réelle pour un ennemi invisible !
Nous légiférons également, mes chers collègues, sur l'indemnisation des ayants droit : derrière la froideur de ce terme se cachent des familles, des veuves et des orphelins, qui ont subi de plein fouet le calvaire de leurs proches, tant la douleur de ceux qu'on aime est plus lourde à porter que sa propre souffrance. Je pense également à ces enfants nés de pères contaminés et qui en portent à jamais les stigmates.
Mes chers collègues, ne pensez-vous pas qu'il est grand temps de réparer une injustice parmi les plus criantes de l'histoire de la défense nationale ? Aurons-nous une lecture technocratique des zones de contamination ? Cantonnerons-nous leur définition à un calcul d'épicier, selon lequel les personnes postées à quelques degrés de la zone théorique du secteur angulaire n'ont pas été touchées ? Qui oublie que les marins revenaient souvent sur le point même de l'impact quelques heures seulement après l'explosion ?
Pouvons-nous sérieusement refuser aux victimes d'être représentées dans le comité d'indemnisation ? Confirmerons-nous un délai d'instruction de huit mois pendant la première année suivant la loi, c'est-à-dire allons-nous compter aux victimes un temps qui leur est si précieux puisqu'ils en voient souvent, hélas, le terme ?
Cette loi était attendue par tous et nous vous rendons grâce, monsieur le ministre, de l'avoir initiée, même si ce texte n'est absolument pas satisfaisant en l'état. Allons jusqu'au bout de la démarche, entendons vraiment la voix des victimes et de leurs familles.