Madame la présidente, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, « je tiens à dire à la Polynésie française combien la France apprécie le service qu'elle lui rend en étant le siège du Centre d'expérimentations du Pacifique qui doit assurer la paix, à coup sûr, à notre ensemble français ». Cette déclaration du général de Gaulle a été prononcée le 6 septembre 1966 devant les Polynésiens. Deux jours plus tard, il assistait à un nouvel essai nucléaire aérien à Mururoa.
Il va sans dire que les Polynésiens auraient apprécié que l'on rappelle dans l'exposé des motifs du projet de loi la contribution de la Polynésie française à la politique de grandeur de la France. C'est le passé, mais nous sommes tous plus ou moins responsables du passé de la France. Il n'y a pas une responsabilité de l'État pour le passé et une responsabilité de l'État pour l'avenir : il y a une continuité dans l'exercice des responsabilités, de la responsabilité de l'État. Cela s'appelle la continuité de l'État.
Lorsque le général de Gaulle a pris la décision d'implanter le Centre d'expérimentations en Polynésie française, il a tenu à assurer les Polynésiens « du soutien indéfectible de la métropole. Votre avenir peut être magnifique. Tout vous destine à être un centre essentiel des grandes communications du grand Pacifique, entre les continents d'Amérique latine, du Japon, de Chine, d'Australie, un centre français. Votre rôle est essentiel et je le salue dès aujourd'hui. »
Élaborée pendant la guerre froide, la politique de dissuasion nucléaire française est l'expression de la politique d'indépendance nationale voulue par le général de Gaulle. Grâce à cette dissuasion, la France a pu reprendre toute sa place dans le concert des nations, se donnant les moyens d'être entendue. Ce rôle d'instrument de puissance a également été reconnu par le président François Mitterrand. Cette dissuasion a servi les intérêts internationaux de la France. Elle contribue, encore aujourd'hui, à la préservation du statut international de la France, membre permanent du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut pas parler des expérimentations nucléaires en Polynésie française au passé. La dissuasion nucléaire est l'un des piliers de notre sécurité nationale. Tant qu'elle sera d'actualité, la France aura une responsabilité envers les Polynésiens, au premier rang desquels les malades soutenus par l'association Mururoa e Tatou.
Comme vous le savez, la population polynésienne n'a pas été consultée lorsque l'implantation du CEP a été décidée. Faut-il pour autant dire qu'il s'agit d'une population candide ? Faut-il pour autant considérer que la responsabilité des élus locaux a été engagée indirectement, d'autant que l'État nous a toujours assurés de l'innocuité des essais ?
C'est fort de ces assurances que le secrétaire d'État chargé des problèmes du Pacifique sud s'est rendu dans chaque État de la région à partir de 1986 pour tenter de normaliser des relations mises à mal par les expérimentations nucléaires en Polynésie française.
Et je ne reviendrai pas sur ce que j'ai vécu en 1995 lorsque, tout juste élu maire de Papeete, j'ai dû faire face à l'incendie de ma ville par des émeutiers protestant contre la reprise des essais.
Votre projet, monsieur le ministre, est un premier pas que je salue. Toutefois, les conditions pour obtenir l'indemnisation me semblent trop restrictives. Le principe de présomption du lien de causalité entre les maladies radio-induites et l'exposition aux essais n'est pas posé et les associations de vétérans n'ont pas été intégrées dans le comité d'indemnisation.
Il a été dit que ce projet de loi avait été élaboré en concertation avec les élus et les associations. Soit. Mais entre concertations, consultations et informations, la frontière est insaisissable.
La nuance sémantique introduite dans le titre du projet de loi avec le terme de reconnaissance a une forte portée symbolique. Cela nous autorise à dire qu'il faut ouvrir le débat, un large débat qui portera sur les réparations sanitaires, mais également socio-économiques et environnementales. En effet, la Polynésie française a été victime des essais nucléaires. En matière d'assurance maladie, la caisse de prévoyance sociale de Polynésie a déjà dû consacrer une part importante de son budget aux soins des victimes des essais nucléaires. Je souhaite donc que le Gouvernement central poursuive la réparation des dommages sanitaires causés à la Polynésie française en participant aux frais de fonctionnement du nouvel hôpital territorial, notamment de son unité d'oncologie.
Je souhaite aussi l'ouverture d'un débat sur les conséquences environnementales des essais. Vous nous assurez de l'absence de radioactivité sur les atolls, mais comment prévoir l'avenir ? 147 puits d'expérimentations, remplis depuis de déchets nucléaires, reposent pour l'éternité dans nos lagons. La page du nucléaire ne sera pas tournée avec ce projet de loi.
Je souhaite, au contraire, que ce texte permette de lancer un véritable débat sur l'impact économique, sociétal et environnement des essais en Polynésie française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)