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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 10 octobre 2007 à 15h00
Lutte contre la corruption — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la corruption se manifeste de manière diverse et complexe. Elle mine la confiance dans l'action publique et dans les institutions, elle fausse la concurrence entre les entreprises, elle décourage l'esprit de compétition. Bref, elle agit toujours en corrodant le pacte social. C'est pourquoi toutes les initiatives pour la prévenir et la réprimer sont les bienvenues.

Fort heureusement, sur ce sujet, notre pays dispose maintenant d'une tradition déjà longue. Au plan international, toutefois, il en est longtemps allé différemment. C'est la mondialisation mal maîtrisée et les défis qui l'accompagnent qui ont poussé la communauté internationale à se doter des instruments adéquats pour combattre la corruption. Depuis une dizaine d'années, plusieurs instruments internationaux ont vu le jour. Notre assemblée a été saisie pour permettre à notre pays de les ratifier et de se donner ainsi les moyens de les mettre en oeuvre. Le chantier est d'importance et ne souffre d'aucun répit.

Kofi Annan, alors secrétaire général de l'ONU, s'adressait aux participants de la conférence de Mérida en ces termes : « En cette fin de XXe siècle, il est peu de problèmes plus globaux que la corruption. » Il soulignait : « Touchant les pays pauvres de manière disproportionnée, la corruption détourne les maigres ressources destinées à des besoins essentiels comme l'alimentation, la santé ou l'éducation. » et ajoutait encore : « Elle constitue un obstacle majeur à la stabilité politique et à un développement économique et social réussi. »

S'il existe une forte corrélation entre corruption et pauvreté – il reste à déterminer si la seconde est la conséquence de la première ou l'inverse –, le mal ne concerne pas que les pays pauvres. Il suffit de reprendre l'indice de perception de la corruption, que publie depuis 1995 Transparency International dans son rapport. Celui pour 2007 a été publié le 26 septembre dernier. Cet indicateur, sans constituer une vérité en soi – les difficultés pour définir le phénomène se répercutent sur la fiabilité de l'indice censé le mesurer et il retrace la perception qu'en ont les individus –, est significatif.

Que disait-il de la France ? Le rapport confirme, n'en déplaise à notre amour-propre national, que « la France continue d'être perçue par les milieux d'affaires internationaux, parmi les pays riches, comme l'un des pays où l'administration et la classe politique demeurent plus perméables qu'ailleurs à la corruption. » Alors même que la note et le classement de notre pays restent stables, cette ONG témoigne cependant des progrès notables accomplis en matière de répression de la corruption d'agents publics étrangers par les entreprises françaises. La France fait certes un peu mieux que les États-Unis – c'est une maigre consolation – mais l'affaire Clearstream, note l'ONG, n'a probablement pas contribué à restaurer la réputation de la France.

Un autre rapport mérite d'être mentionné, celui relatif au suivi de la mise en oeuvre de la convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Il révèle – et nous nous en félicitons – les excellents résultats obtenus par la France dans ce domaine. Les progrès sont là, mais nous partions de loin. Il faut rappeler que, dans notre pays, jusque dans les années quatre-vingt-dix, les pots-de-vin versés à des agents publics étrangers étaient tolérés, et même, parfois, déductibles fiscalement. C'est la loi du 30 juin 2000 relative à la corruption, modifiant le code pénal et le code de procédure pénale, qui a marqué un tournant significatif puisqu'elle a autorisé, sous certaines conditions, l'incrimination d'agents publics étrangers. Elle transposait dans le droit français certaines conventions européennes et internationales.

Depuis lors, la prise de conscience de la nécessaire internationalisation de la législation anticorruption n'a cessé de se renforcer, non seulement pour des raisons d'efficacité, mais aussi, et au moins autant, parce que les États éprouvent une certaine appréhension à agir unilatéralement dans ce domaine, craignant d'instaurer une distorsion de concurrence au détriment de leurs ressortissants.

C'est dans ce contexte que s'inscrit aujourd'hui l'examen de ce nouveau texte qui, vous nous l'avez dit, madame la ministre, transpose deux conventions des Nations unies et du Conseil de l'Europe adoptées en 1999 et en 2003. Elles viennent judicieusement compléter et enrichir les textes précédents. C'est pour cette raison que, cohérents avec nous-mêmes, nous voterons ce texte. Il contribuera sans conteste à faciliter la tâche des juges et constitue une étape nécessaire dans le processus d'harmonisation juridique et d'élaboration de règles communes à l'échelle internationale. Elles seules sont susceptibles d'éradiquer un fléau qui fait fi des frontières étatiques.

Mais ce texte n'est qu'une nouvelle étape, ce n'est pas un aboutissement. Si l'harmonisation est en cours, elle reste encore largement à parfaire. Il ne faudrait surtout pas négliger les disparités qui subsistent, au sein même de l'Europe, entre les États qui ne transposent pas tous au même rythme des conventions internationales, à l'objet à et la portée variables.

Madame la garde des sceaux, vous avez cosigné dans le Figaro, le 15 septembre dernier, une tribune intitulée : « Maintenant, il faut un espace judiciaire européen ». Vous y écrivez notamment : « La construction de l'espace judiciaire européen devient une nécessité impérieuse, il est impossible de répondre isolément à des faits de délinquance. Comment peut-on accepter dans une Europe où règne la libre circulation des personnes et des capitaux que des frontières continuent à entraver une réponse pénale efficace de la part des États ? » Eh bien, madame la ministre, cette ambition est aussi la nôtre. Sa concrétisation dépendra bien sûr de la capacité des États membres à harmoniser leurs lois pénales, mais aussi à surmonter leurs divisions sur des sujets qui mettent en jeu des cultures juridiques et des conceptions de la société qui peuvent s'avérer profondément différentes.

Je voudrais, pour terminer, souligner que la promulgation d'une loi – aussi pertinente soit-elle – restera sans effet si les instances en charge de la faire appliquer ne disposent pas de ressources suffisantes. À l'occasion d'une conférence qui s'est déroulée le 12 juin dernier, Mme Isabelle Prévost-Desprez, vice-présidente à la quinzième chambre de Nanterre, chargée des délits économiques et financiers, a tenu à insister lourdement sur le manque de moyens persistant de la justice financière française, en particulier dans les affaires complexes et de grande ampleur. Nous voulons espérer que la promesse de campagne formulée par le Président de la République concernant le renforcement des moyens d'action du pôle financier parisien et des huit juridictions interrégionales spéciales sera réellement suivie d'effet.

Notre intérêt de pays riche, régi par une économie de marché, nous pousse à agir contre la corruption parce qu'elle génère une distorsion de concurrence inacceptable. Notre éthique humaniste, elle, doit nous pousser à agir parce que ce poison touche en premier lieu les pays démunis, où les pots-de-vin conditionnent l'accès à la santé ou à l'éducation, et en écarte les plus démunis. Le combat mérite d'être mené, et de la volonté qui sera la nôtre d'y consacrer les ressources judiciaires, financières et humaines nécessaires, dépendra son issue. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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