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Intervention de Rachida Dati

Réunion du 10 octobre 2007 à 15h00
Lutte contre la corruption — Discussion d'un projet de loi

Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, dans une économie mondialisée, la lutte contre la corruption exige une action concertée, qui engage collectivement les États mais aussi les acteurs de la société civile et le secteur privé, dont le concours est essentiel pour faire reculer ce fléau. Elle engage les pays riches et les pays pauvres, afin de lutter contre les détournements de fonds liés à la corruption. Les pays développés ont une responsabilité particulière : ils doivent donner à leurs entreprises les moyens de travailler dans une compétition économique loyale et saine, à la fois en les contrôlant et en les protégeant. La communauté internationale en a conscience. Elle agit depuis une dizaine d'années avec énergie dans ce sens. Dans son rapport, M. Hunault retrace parfaitement tant les progrès de la mobilisation internationale que les progrès de la législation française. Je l'en remercie.

Outre ses aspects moraux, je veux insister sur le fait que la corruption a un coût financier, politique et humain considérable pour la communauté mondiale. Son coût financier est important puisqu'elle représenterait près de 3 % des échanges mondiaux : mille milliards de dollars seraient détournés chaque année. Sévère entrave à la croissance de certains pays, elle nuit au bon fonctionnement de l'économie de marché, fausse le jeu de la libre concurrence et favorise le clientélisme. Elle décourage également les investisseurs, qui ne souhaitent pas entrer dans des systèmes où la loi n'est pas une protection suffisante.

La corruption a aussi un coût politique. Bafouant les principes de l'État de droit en faussant l'application des règles, elle est un déni de justice, du principe de l'égalité de tous devant la loi comme des objectifs de la justice. Dans un système corrompu, la même loi ne s'applique pas pour tous. Il faut bien en mesurer tous les enjeux : lorsque les citoyens se défient de leur classe politique et de leur administration, la stabilité politique et sociale du pays est impossible. Au niveau international, la persistance de la corruption déséquilibre l'ordre mondial et favorise l'émergence de filières criminelles. Les scandales qui surgissent régulièrement dans tous les États le montrent bien.

Enfin, la corruption a un coût humain. Dans les pays les moins avancés, elle atteint d'abord les moyens qui auraient dû être alloués à la santé, à l'éducation et aux infrastructures. Les hôpitaux, les écoles, les moyens de transport sont négligés au profit d'autres dépenses qui visent d'abord à alimenter les caisses noires de leurs commanditaires. Le coût de la vie dans les pays corrompus est élevé et les populations, privées d'équipements élémentaires et d'un accès suffisant à l'éducation, vivent dans la précarité. Par ailleurs, la corruption favorise l'implantation d'une criminalité organisée.

Les gouvernements des pays où la corruption sévit le plus fortement sont bien sûr les premiers à devoir agir. Mais les pays développés ont aussi un rôle essentiel à jouer en réprimant les activités de corruption dans leur secteur privé et dans les échanges internationaux.

Comme vous le rappelez dans votre rapport, monsieur Hunault, la corruption a trop longtemps été considérée comme un mal nécessaire. Penser que l'on peut en tirer un intérêt quelconque est une illusion. Dans la lutte contre la corruption, il n'y a de place ni pour le cynisme ni pour le fatalisme ; la corruption reculera à force de détermination et si nous y mettons les moyens – politiques, financiers et législatifs.

C'est l'intérêt de tous. Nos entreprises ont tous les atouts pour assurer leur place dans une compétition internationale transparente. Elles n'ont rien à redouter d'une compétition saine et tout à gagner à respecter des règles communes, pour garantir une compétition loyale. La logique vertueuse d'un engagement international contre la corruption n'est pas une chimère. Elle produit déjà ses effets. De nombreuses conventions en la matière sont en place. Des instances de contrôle et des organismes indépendants vérifient l'application des textes qui ont été signés. La logique s'inverse : les entreprises qui se livrent encore à la corruption s'excluent durablement et entachent irrémédiablement leur notoriété, au risque de compromettre leur avenir.

Mesdames, messieurs les députés, la lutte contre le fléau de la corruption ne peut s'envisager qu'au niveau mondial. Nous témoignons notre volonté d'y prendre part avec le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui. Ce projet est la transposition de deux conventions internationales entrées en vigueur entre 2002 et 2005 : la convention pénale de l'Europe et son protocole additionnel, qui date de 1999 ; la convention des Nations unies contre la corruption, dite Convention de Mérida, qui date de janvier 2003. La France est sur le point de ratifier la première de ces conventions, car vous l'y avez autorisée. Elle a été le premier pays du G8 à ratifier la seconde.

La transposition nous conduit à introduire de nouvelles dispositions dans notre droit pénal. Naturellement, nous l'avons fait avec un souci légitime de réciprocité : les États doivent se donner des règles de transparence communes et ne pas soumettre leurs citoyens à des exigences que leurs partenaires n'imposeraient pas à leurs propres ressortissants. En cela, nos choix de transposition sont tout à fait classiques. Ils sont clairs et fidèles à nos engagements.

Les dispositions que le Gouvernement vous propose d'adopter poursuivent trois objectifs majeurs : élargir le délit de corruption des agents publics étrangers ; sanctionner le trafic d'influence exercé sur les agents des organisations internationales ; mieux protéger la justice contre toute influence extérieure et rendre plus efficace la lutte contre la corruption.

Le projet de loi prévoit de punir la corruption active ou passive des agents publics et des élus d'autres pays, ainsi que des agents des organisations internationales. Aujourd'hui, en dehors de l'Union européenne, la loi française réprime déjà la corruption d'agents publics étrangers, mais seulement dans le champ des transactions commerciales internationales – par exemple, en cas de corruption d'un fonctionnaire ou d'un élu étranger pour obtenir un marché public.

Nous vous proposons d'étendre les sanctions au-delà de ce secteur. Tous les actes de corruption seront punissables, quelle que soit leur finalité : ainsi les manoeuvres visant à obtenir une autorisation pour construire sur un site protégé ou obtenir indûment la nationalité d'un pays afin d'échapper à une extradition. Désormais, le corrupteur et le corrompu seront l'un et l'autre passibles de poursuites en France.

Jusqu'à présent, seul le corrupteur français ou celui qui agissait en France pouvait être poursuivi. Avec l'adoption de ce texte, les tribunaux français pourront juger les deux parties impliquées dans la corruption.

Dans nos choix de transposition, nous aurions pu renoncer à poursuivre l'agent public étranger ou international, et laisser à son pays le soin de s'en charger.

Nous avons souhaité prendre la même position que nos principaux partenaires, qui ont déjà ratifié la convention pénale du Conseil de l'Europe : ils ont choisi de poursuivre les deux parties coupables de corruption. Cela signifie qu'un agent public français qui aurait été corrompu par un Danois peut être jugé au Danemark.

Le Gouvernement a donc souhaité doter la France des mêmes moyens d'action. Cette réciprocité garantit par ailleurs un jugement plus équitable, puisque le corrupteur et le corrompu répondront de leurs actes devant la même juridiction.

La deuxième disposition importante de ce projet vise les trafics d'influence impliquant des agents publics internationaux.

Le trafic d'influence implique trois acteurs : le premier paie le deuxième pour qu'il exerce son influence, réelle ou supposée, sur un troisième. Le but est, pour le premier maillon de cette chaîne, d'obtenir du troisième une décision qui lui sera favorable.

Les décideurs publics, qui constituent le troisième maillon de cette chaîne, n'ont pas toujours conscience d'avoir été manipulés. Le droit français punit le trafic d'influence afin de préserver la légalité, la liberté et l'impartialité des décisions prises des agents publics et des élus français.

Cette infraction n'est pas très répandue dans les législations étrangères. Plusieurs de nos partenaires ne la font pas figurer dans leur droit. C'est notamment le cas du Royaume Uni,…

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