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Intervention de René Dosière

Réunion du 11 février 2009 à 9h30
Déclaration du gouvernement sur le changement de statut de mayotte et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRené Dosière :

Il faut avoir conscience que la départementalisation ne peut pas être octroyée ; elle doit être négociée. Toute autre démarche ne ferait que conduire à des désillusions.

Toute la société mahoraise doit s'approprier la décentralisation. Elle ne doit pas venir d'en haut, mais du peuple lui-même. Cela demande écoute, dialogue, compromis ; autant de qualités qui, aujourd'hui, ne sont pas toujours de mise au sein de l'exécutif.

Il conviendra également que la société métropolitaine soit préparée à accueillir le cent unième département de la République, en particulier grâce aux travaux qui se dérouleront au Parlement, particulièrement dans notre assemblée. Je regrette, à ce sujet, que la mission d'information de l'Assemblée nationale à laquelle je participais avec Didier Quentin et Philippe Gosselin n'ait pas été en mesure de publier son rapport pour informer la représentation nationale à l'occasion du débat de ce matin. Il est vrai que nous sommes rentrés de Mayotte samedi dernier. C'est pourquoi je suggère à M. le président de l'Assemblée nationale d'organiser, lorsque ce rapport sera disponible, une journée de réflexion sur les principales questions posées par la départementalisation de Mayotte.

À ce sujet, trois points importants méritent une attention particulière.

Le premier problème est celui de l'état civil.

En raison de la coexistence d'un état civil musulman avec l'état civil de droit commun, mais aussi du désintérêt avec lequel ce sujet a été traité durant la période coloniale, un nombre considérable de Mahorais – il est décemment impossible de fournir une estimation – ne disposent pas d'un état civil fiable.

Vous le reconnaissez, madame la ministre, puisque le « Pacte pour la départementalisation de Mayotte » souligne, fort justement, que « les insuffisances de l'état civil à Mayotte sont, en l'état actuel, sources, d'une part, d'incertitude sur les droits auxquels les Mahorais peuvent prétendre, d'autre part, de fraudes de personnes en situation irrégulière et, enfin, d'erreurs de la part des services publics qui verseront les futures allocations ».

Le texte précise : « Nous ne voulons pas que la mise en oeuvre de nouvelles prestations soit un nouvel appel d'air qui aggraverait l'immigration irrégulière. » Le document affirme ensuite : « Nous voulons donc disposer d'un état civil fiable et complet avant – et j'insiste sur ce terme – de mettre en place les nouvelles prestations sociales. » Je partage cette conclusion, mais si le Gouvernement continue à traiter cette question comme il le fait depuis 2002, l'état civil fiable n'est pas prêt d'exister.

En mars 2006, la mission d'information que je présidais, et dont Didier Quentin était le rapporteur, relevait déjà, avec vigueur et insistance, les insuffisances relatives au traitement de l'état civil. Nous formulions alors quelques propositions pour sortir d'une situation que je qualifierais sobrement d'ubuesque. Aucune d'entre elles – je parle de celles qui concernent l'état civil – n'a été prise en considération. Trois ans plus tard, nous venons de constater sur place que cette situation ne s'est pas améliorée ; en fait, malgré les moyens supplémentaires, elle s'est même dégradée.

Nous nous sommes même aperçus que les efforts réalisés en matière d'informatisation compliquent la remise en ordre de cet état civil, puisque les différents logiciels des services qui s'en occupent ne pas compatibles entre eux et que la maintenance des ordinateurs fait défaut.

Le sujet est trop sérieux pour que l'on puisse rire de ces situations ubuesques. Il est vrai que, de Paris, la vision que l'on peut avoir des problèmes de l'état civil à Mayotte est tout à fait différente. Il est d'ailleurs regrettable que, malgré nos alertes, les deux gardes des sceaux qui se sont succédé pendant cette période n'aient pas éprouvé le besoin ou trouvé le temps d'aller sur le terrain pour se rendre compte très concrètement de la situation. Songez, madame la ministre, qu'actuellement, 10 % des naissances ne sont pas déclarées en mairie. Fort heureusement, le centre hospitalier de Mayotte, qui dispose par ailleurs de la plus grande maternité de France – plus de vingt naissances par jour – les recense exactement.

L'absence d'un état civil fiable, et par ailleurs souvent fraudé, permet de mieux comprendre l'ampleur considérable de la population clandestine – je n'ose dire sans papiers –, qui compterait plus de 60 000 personnes, soit un habitant sur trois. Aussi est-il difficile de parler de population légale ; parlons plutôt de population totale. Par ailleurs, l'INSEE nous signale que cette population étrangère augmente désormais de plus en plus par croissance naturelle : le taux de fécondité des femmes comoriennes est de 6,4 enfants et 70 % des naissances enregistrées au centre hospitalier sont le fait de femmes comoriennes.

On ne mettra pas fin à l'immigration clandestine massive à Mayotte par la seule politique répressive, même si celle-ci est nécessaire et s'est améliorée. Il faut impérativement doter les Mahorais français d'un vrai titre d'identité, opération complexe qui exige une approche nouvelle. En effet, toute personne qui est doté d'un état civil doit le faire reconnaître au niveau de la liste électorale et par diverses autres administrations. Si elles ne se font pas connaître, que de complications supplémentaires, puisque ces personnes vont maintenant disposer de deux états civils !

Le Gouvernement n'a pas pris conscience de la complexité, de la gravité et de l'ampleur de cette question. Certes, des moyens supplémentaires sont nécessaires, mais il faut également développer une approche différente et plus globale : on ne peut pas traiter l'état civil à Mayotte en décalquant les procédures en vigueur en métropole. À situation spécifique, réponse spécifique. C'est pourquoi, madame la ministre, je vous suggère de mettre en place une agence publique et autonome, qui aura la responsabilité entière de l'état civil et des listes électorales. Cette agence pourrait regrouper des fonctionnaires expérimentés de l'État et de la fonction publique territoriale, tout en associant les officiers d'état civil mahorais, qui se plaignent d'être tenus à l'écart. À l'instar de ce qui se fait dans un certain nombre de pays nordiques ou au Québec, cette agence publique aurait les moyens de traiter l'ensemble des questions qui se posent.

Deuxième question : quel développement économique voulons-nous pour Mayotte ?

L'explosion démographique – dans moins de quinze ans, Mayotte comptera plus de 300 000 habitants – conduit naturellement à s'interroger sur la nature du développement économique. Actuellement, 4 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail, qui leur offre 1 000 emplois. Quel avenir réserve-t-on à cette jeunesse, qui sera de plus en plus diplômée ? Déjà, le secteur public contribue pour près de la moitié à la richesse produite à Mayotte. L'agriculture, qui représentait 65 % des emplois en 1978, n'en occupe plus qu'à peine 10 %.

Va-t-on poursuivre ce schéma de développement, qui conduit à une véritable ségrégation, les Mahorais occupant les emplois publics, bien rémunérés, les Comoriens la plus grande partie des emplois du secteur privé, faiblement rémunérés ? Que veut-on pour les jeunes Mahorais : une société de consommation financée par les transferts financiers de la métropole ou une société qui s'organise autour de la création d'emplois endogènes ? La première voie ne peut que conduire à une forme de néocolonialisme version Jules Ferry ; la seconde permettrait de mobiliser l'ensemble de la population en faveur d'un développement durable et en partie autonome, à l'instar de ce qui se passe à l'Île Maurice.

Dans le pacte que vous proposez, on peut lire notamment : « Nous devons favoriser un développement économique fondé sur les atouts propres du territoire, encourager les revenus du travail personnel, préserver l'environnement. Le modèle de départementalisation à Mayotte est à inventer. Ne plaquons pas à Mayotte des modèles qui correspondent à d'autres époques ou d'autres situations. » J'approuve ces principes, mais je souhaiterais qu'ils soient précisés, car, lorsque je lis les observations du Comité mahorais sur la décentralisation sur cette formulation – « Un modèle propre à inventer se traduit le plus souvent par des lenteurs ou inactions. […] Notre priorité est d'intégrer le droit commun de la République » –, je me dis qu'il existe des divergences quant au modèle de développement économique et que nous aurons besoin de le préciser.

Mayotte ne pourra pas rester un îlot de prospérité artificielle dans l'océan Indien. Vous l'avez dit, madame la ministre, je n'y insiste donc pas, mais il s'agit d'un point fondamental : le développement de Mayotte doit être pensé dans un cadre plus vaste, en particulier celui des politiques de co-développement avec ses voisins étrangers : les Comores, évidemment, Madagascar, Maurice et le département voisin de La Réunion. Sur ce point, je dois dire que les réflexions du comité de départementalisation m'ont paru assez imprécises et insuffisantes.

Dernière question : les rapports entre l'islam et la République.

Oui, je le crois, la départementalisation de Mayotte représente une chance pour la France, car elle permet de démontrer que l'islam a toute sa place dans la République française. Les Mahorais doivent savoir que la République reconnaît la liberté de conscience, donc de culte et que l'islam continuera donc d'avoir toute sa place dans le département de Mayotte. Quant à la laïcité, elle protège les religions, puisqu'elle implique qu'aucune d'entre elles ne puisse inspirer la vie publique. Néanmoins, il sera nécessaire de prendre des dispositions pour mettre un terme à certaines pratiques et attitudes traditionnelles peu compatibles avec les valeurs républicaines.

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