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Intervention de François Rochebloine

Réunion du 20 novembre 2008 à 15h00
Législation funéraire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Rochebloine :

Il ne serait pas raisonnable de remettre en cause, au détour de dispositions en apparence anodines, les grands principes humanistes mais aussi juridiques qui organisent les services extérieurs des pompes funèbres, qui, depuis déjà fort longtemps, déterminent la mission de service public qu'assument les communes et les établissements publics de coopération intercommunale compétents.

Certes, un certain nombre de points de cette législation méritent sans doute d'être clarifiés ou complétés. En ce sens, une intervention du législateur est nécessaire, ne serait-ce que pour accompagner les profondes transformations que nous pouvons observer en France, à l'image de ce qui se passe chez la plupart de nos voisins européens, avec le développement de la pratique de la crémation.

Bien qu'inscrite dans notre système juridique dès 1881, cette pratique, encore marginale voire inexistante il y a quarante ans, concerne aujourd'hui, comme l'a souligné le rapporteur, près d'un quart des décès et même plus encore dans nos grandes agglomérations. Les raisons de cette évolution sont multiples, mais cette pratique, à laquelle les jeunes générations apparaissent plus favorables encore que leurs aînés, devrait continuer à progresser à l'avenir.

Face à une telle évolution, pouvons-nous accepter qu'une urne funéraire puisse échapper aux règles de l'extra-patrimonialité s'appliquant à toute dépouille mortelle pour s'apparenter à un simple souvenir de famille ? La question qui nous est posée aujourd'hui est donc bien celle du respect que nous entendons porter à nos défunts. Madame la ministre, vous avez employé à plusieurs reprises ce mot « respect » : je pense que cette notion est en effet particulièrement importante, y compris après la crémation. Cette question est bel et bien centrale d'un système de valeurs d'une société. Les restes mortels, quelle que soit leur forme, doivent être traités avec respect, dignité et décence. Cette idée me semble essentielle.

M. le ministre délégué aux collectivités locales avait, en mars 2007, permis par décret de définir un premier cadre au statut des cendres, sans toutefois leur conférer un statut particulier comparable à celui de la dépouille mortelle, une telle décision ne pouvant, dans notre ordre juridique, que relever du législateur.

S'il appartient à celui-ci de conférer aux restes mortels un statut plus conforme à ce qu'ils constituent, il lui revient également, dans un domaine relevant fondamentalement de la puissance publique, de laisser un minimum de liberté aux familles en matière de destination des cendres, à la stricte condition que la volonté du défunt soit respectée, comme le réclament les associations crématistes. Il s'agit de permettre aux proches d'accomplir leur deuil et de trouver les gestes symboliques qui feront sens. L'anthropologue Louis-Vincent Thomas, spécialiste de la mort, rappelait que les rites funéraires sont d'abord une nécessité pour les vivants. Nous avons des devoirs envers les morts, non pas moraux mais vitaux, les pratiques symboliques traduisant un besoin soit de spiritualité, soit de religion.

Néanmoins, j'avoue m'interroger encore sur l'intérêt d'interdire la conservation des cendres dans un lieu privé, tel que cela est prévu par le texte. Si, pour des raisons principalement sanitaires, une telle interdiction se justifie pleinement pour une dépouille mortelle, elle ne me semble pas revêtir la même nécessité pour une urne funéraire.

Enfin, offrir le choix de la crémation suppose bien évidemment un effort d'équipement sur l'ensemble de notre territoire. Sans doute faut-il que nous nous interrogions sur les conditions à partir desquelles les communes doivent se doter d'un site cinéraire. Il est toutefois fondamental d'appuyer un développement coordonné sur l'ensemble de notre territoire.

Je voudrais aborder maintenant les dispositions du texte qui sont destinées à simplifier et à sécuriser les démarches des familles qui, dans les circonstances très particulières d'un décès, peuvent se trouver plongées dans un profond désarroi.

Au titre des dispositions intéressantes, je relève la proposition d'harmoniser au plan national les taux de vacation funéraire. Bien qu'ouvert à la concurrence depuis la loi de 1993, le service extérieur des pompes funèbres demeure l'objet d'un encadrement strict, sous la responsabilité des communes, les opérateurs funéraires se trouvant pour leur part soumis à un contrôle étatique.

Si les activités funéraires présentent un caractère commercial incontestable, il est cependant nécessaire qu'elles s'exercent dans la plus grande transparence. La proposition d'instaurer des devis-types, obligatoires dans les communes de plus de 10 000 habitants et facultatifs dans les autres communes, constitue une avancée séduisante, le dispositif actuel n'ayant pas produit les effets escomptés, il apparaît cependant que sa mise en oeuvre sera beaucoup plus lourde que ce qui est annoncé.

À la réflexion, nous considérons que c'est une fausse bonne idée que de renvoyer aux conseils municipaux le soin d'établir ces devis-types. Pour nous, s'il s'agit bien de permettre d'améliorer l'information des familles, ne serait-il pas plus judicieux de prévoir au plan national des devis de référence détaillés ? Les professionnels du funéraire y seraient favorables, et il ne nous semble pas très pertinent de confier cette mission aux communes, d'autant que seuls les opérateurs habilités se verraient soumis à cette obligation. N'y a-t-il pas un risque de distorsion de concurrence et une forme de discrimination ? Pour prévenir ces risques, nous avons déposé un amendement à l'article 6.

J'en viens maintenant aux dispositions destinées à empêcher les pratiques commerciales abusives. Au regard, tant de la spécificité que de la sensibilité de la mission qu'accomplissent les services de pompes funèbres, il est nécessaire d'être extrêmement vigilant sur ce point, tant il est facile d'influencer des personnes fragiles ou vulnérables, lors de la vente de prestations funéraires. L'article 7 de la proposition de loi vise à définir plus clairement l'infraction découlant des textes en vigueur, en prohibant les pratiques commerciales agressives, ainsi que le démarchage à domicile dans les trois mois suivant le décès.

Seulement, en pratique, la combinaison de ces règles très strictes ne permet plus aux clients qui auraient du mal à se déplacer jusqu'à une agence de recevoir sur leur demande, à leur domicile, un professionnel du funéraire. Nous considérons qu'il y a lieu d'assouplir cette règle et d'autoriser le déplacement à domicile, pour établir les formalités nécessaires, lors de l'organisation des obsèques, à la seule condition que la personne en ait fait la demande. Tel est le sens de l'amendement que nous avons déposé.

Toujours au chapitre II de la proposition de loi, j'observe que le législateur n'a pas souhaité aborder un problème qui se pose pourtant dans certaines communes, du fait de l'interdiction faite aux petits hôpitaux ou maisons de retraites de recevoir des corps venant d'autres établissements. Cette décision a pesé directement sur l'évolution de l'offre de services funéraires, et entraîné la quasi-disparition d'entreprises de proximité au profit des entreprises gestionnaires de chambres funéraires. Le problème n'est certainement pas étranger à l'augmentation du coût moyen des obsèques enregistré au cours de la dernière décennie.

La proposition de loi qui nous est soumise a également l'ambition de renforcer la dimension exclusive de la compétence communale ou intercommunale en matière de gestion des sites cinéraires. Cette évolution était souhaitable, tant il est paradoxal que soit autorisé actuellement le principe d'une délégation par la commune ou l'EPCI de la gestion des sites cinéraires, alors qu'un tel procédé est inenvisageable en ce qui concerne les cimetières, qui appartiennent, pour leur part, au domaine public communal. Elle permettra également de mettre un terme au développement de sites cinéraires privés, en totale contradiction avec les grands principes qui traversent notre ordre juridique.

Une autre difficulté est posée par l'article 17, qui permet aux conseils municipaux d'imposer de façon systématique aux titulaires de concessions des règles relatives à l'esthétique des cimetières. Pour nous, cette nouvelle réglementation risque de conduire à une standardisation ou à une uniformisation de notre patrimoine funéraire, ce qui serait contraire à une tradition bien établie. M. Folliot, qui ne peut assister à notre débat, a déposé un amendement de suppression que je défendrai tout à l'heure. Il est vrai qu'il existe un réel enjeu économique, mais posons la question clairement : veut-on favoriser ou non l'importation massive de matériaux venus d'Asie, comme le granit funéraire ? Dans cette filière, la France dispose d'un réseau de PME dont le savoir-faire est apprécié. En outre, il me paraît difficile que la loi prévoie une demande d'avis systématique au Conseil d'architecture, d'urbanisme et d'environnement, alors qu'il n'existe pas dans certains départements.

En la matière, la sagesse consisterait, selon nous, à faire confiance aux communes. Elles ont la responsabilité de leurs cimetières : ne font-ils pas partie du domaine public communal ? N'alourdissons pas davantage leurs charges par des procédures qui, jusqu'à preuve du contraire, ne sont pas nécessaires. Même dans le cadre des délégations du service public, de nombreuses possibilités existent.

Sur ce chapitre, je ne saurai conclure sans évoquer la délicate question des carrés confessionnels, que le texte laisse de côté. Dans un souci d'intégration, certaines communes ont tenté de permettre des regroupements en fonction des croyances. Il est vrai que la loi de 1881 n'a pas supprimé les cimetières confessionnels communaux ou privés créés durant la période révolutionnaire, pas plus que le régime particulier des départements d'Alsace et de Moselle n'a été abrogé. Aussi, il y a quelques jours, après la commémoration de l'armistice du 11 novembre 1918, M. le Président de la République a pu se rendre au cimetière militaire de Douaumont, plus précisément dans le carré dédié aux soldats de confession musulmane morts pour la France. C'est dire que nous nous trouvons face à une règle bien établie, mais assortie d'un certain nombre d'exceptions.

Reconnaissons que la loi de 1905 avait permis de dégager un juste équilibre entre la nécessaire application du principe de laïcité aux dépendances du domaine public que constituent les cimetières, et la liberté de funérailles, tout aussi nécessaire, garantie à chacun de nos compatriotes. Ainsi l'élévation de signes religieux est-elle prohibée dans les parties communes de tout cimetière, mais autorisée sur les tombes.

Reste aujourd'hui à régler la question qui nous est posée par les communautés. Je ne crois pas, mes chers collègues, que nous puissions nous satisfaire de voir l'écrasante majorité de nos concitoyens de confession musulmane choisir de se faire inhumer à l'étranger. Au regard des règles spécifiques s'appliquant à une sépulture musulmane, une évolution sur la question des carrés confessionnels me semble particulièrement nécessaire. En outre, elle permettrait aux maires d'identifier plus aisément les personnes opposées à une crémation administrative, dans les cas de reprise de concession.

Je sais que la question divise et qu'il n'est pas envisageable de la trancher aujourd'hui. Mme la Ministre a tenté d'apporter un éclairage nouveau sur la réglementation, par sa circulaire du 19 février 2008 rappelant que le maire dispose d'un large pouvoir d'appréciation – ce qui consiste, dans les faits, à conforter la pratique des carrés confessionnels.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, dans sa rédaction actuelle, la proposition qui nous est soumise ne nous donne pas entière satisfaction. Aussi, nous ne pouvons qu'exprimer des réserves à son égard : elle ne répond pas de manière suffisamment pertinente aux attentes des familles ; elle risque de rendre encore plus complexe la gestion du secteur funéraire ; enfin, elle néglige certains problèmes. La position du Nouveau Centre est toutefois susceptible d'évoluer, en fonction des améliorations qui, au fil de la discussion, pourront être apportées au texte.

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